Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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— Nous allons savoir, dit-il au marquis de Tergall qui, semblable `a un ours en cage, allait et venait dans la pi`ece, nous allons savoir `a quelle heure M. Chamb'erieux a quitt'e Saint-Calais.
Le juge obtint rapidement la communication. Il raccrocha au bout de quelques instants le r'ecepteur et annonca au marquis de Tergall :
— Votre voleur n’est pas M. Chamb'erieux. Je viens d’apprendre que ce dernier n’est pas sorti de l’h^otel hier soir. Il est mont'e se coucher vers onze heures. Il a sonn'e `a minuit pour demander une tisane. Il est encore `a l’h^otel dans sa chambre. Il dort toujours.
— Si ce n’est pas Chamb'erieux, s’'ecria Maxime de Tergall, alors c’est un complice. Je suis s^ur, Monsieur le juge, que ce mis'erable usurier s’est entendu avec quelqu’un pour me d'evaliser.
— C’est possible, dit le juge, c’est vraisemblable si vous voulez, c’est m^eme trop vraisemblable pour ^etre vrai. Je tiens M. Chamb'erieux pour un homme intelligent, et si jamais il est prouv'e qu’il a concu semblable plan, il appara^itrait comme 'etant un imb'ecile.
— Que croyez-vous donc, alors ?
— Oh, s’'ecria le juge, je ne crois rien et ne veux rien croire. Notre r^ole, `a nous autres magistrats, n’est point d’avoir une opinion pr'econcue, mais de nous former un avis d’apr`es les interrogatoires.
— Monsieur Morel, que comptez-vous faire ? Le temps presse.
— En mati`ere judiciaire, monsieur, on a toujours le temps. Mieux vaut ne rien faire qu’une b^etise. Je ne vous cache pas que l’agression et le vol dont vous avez 'et'e l’objet me confirment dans mon opinion premi`ere, `a savoir qu’il y a dans toute cette affaire un tiers myst'erieux, et responsable, que nous ne connaissons pas. Cette conviction que je vous exprime sans chercher `a la dissimuler, doit avoir pour r'esultat la mise en libert'e imm'ediate de ce pauvre abb'e Jeandron, arr^et'e hier pour donner satisfaction aux deux plaignants, que vous 'etiez, M. Chamb'erieux d’une part, et vous, monsieur le marquis, de l’autre. Je ne sais pas quel est le coupable dans toute cette affaire, mais je suis de plus en plus certain que l’abb'e Jeandron est parfaitement innocent. Je me ferais donc scrupule de le retenir plus longtemps en prison.
4 – LA BANDE DES T'EN'EBREUX
— Bonno, bonno nougat, pas cher, moussi'e, moi donner `a toi joli tapis aussi pas cher. Pas cher.
Deux consommateurs attard'es vers onze heures et demie, `a la terrasse d’une paisible brasserie de la place Denfert-Rochereau, finirent par 'ecarter du geste, le marchand de nougat et de tapis de ch`evre qui les importunait.
Apr`es avoir 'et'e ainsi rabrou'e par les deux consommateurs, le marchand s’'eloigna tout en se d'eclarant `a lui-m^eme :
— Pauvre Mahamoud, pauvre moi, jamais r'eussir de bonnes affaires, toujours dans la d`eche et toujours content.
S’'etant convaincu qu’il n’aurait plus de client`ele 'eventuelle `a solliciter, Mahamoud prit brusquement une r'esolution et, tournant les talons, il rebroussa chemin dans la direction de l’avenue de Montsouris.
Il parcourut rapidement les grands boulevards plant'es d’arbres, puis s’arr^eta quelques secondes devant une bicoque de tr`es modeste apparence, au-dessus de laquelle flamboyait une inscription :
« H^otel meubl'e. On loge `a la nuit.
Ce devait ^etre sinon le domicile de l’Alg'erien, du moins un asile o`u il 'etait connu, car Mahamoud, en passant devant cet 'etablissement, frappa au carreau de la fen^etre du rez-de-chauss'ee. Celle-ci s’entreb^ailla, et la t^ete hirsute d’un gamin apparut.
— Toi prendre mon paquet, d'eclara Mahamoud, qui, joignant le geste `a la parole, se d'ebarrassa rapidement de ses tapis et de ses nougats.
Puis il ajoutait :
— Pas manger la marchandise quand je ne suis pas l`a. Moi revenir tr`es tard cette nuit, peut-^etre demain matin.
— Ca va bien, Peau-de-Z'ebi, on a compris, r'epliqua le garcon qui semblait faire fonction de concierge.
Mahamoud s’enfonca dans la nuit, `a grands pas et rapidement il atteignit l’extr'emit'e de l’avenue.
Il s’arr^eta `a la petite grille qui emp^eche, sit^ot la nuit venue, l’acc`es du Parc de Montsouris. Mahamoud quelques instants regarda autour de lui, pour s’assurer que nul ne l’'epiait. Puis s’'etant rendu compte qu’il 'etait seul, avec la souplesse d’un chat ou pour mieux dire, d’un acrobate exerc'e, il bondit par-dessus cette grille et s’introduisit dans le jardin. L`a, Mahamoud se mit `a longer les massifs, marchant pr'ecautionneusement sur l’herbe et la terre, 'evitant les all'ees sabl'ees, pour ne point faire de bruit, et sans doute ne pas 'eveiller l’attention des gardiens, si d’aventure il s’en trouvait dans le jardin public. L’Alg'erien marcha pendant quelques minutes, puis, avisant un bouquet d’arbres au milieu d’une pelouse, il le gagna sans la moindre h'esitation. Tandis que le marchand de nougat effectuait cette 'etrange promenade, la receveuse de la gare du chemin de fer de Sceaux d'elivrait pour le dernier train, deux billets de troisi`eme classe `a un grand diable d’individu flanqu'e d’un vieillard, `a longue barbe blanche.
Ce voyageur avait demand'e s’il pourrait obtenir `a Sceaux-Ceinture la communication avec le train circulaire qui passait en gare de Montrouge, `a minuit cinquante.
— Je le crois, monsieur. Mais vous savez que la correspondance n’est pas garantie.
Quelques instants plus tard, le train venant de la station souterraine du boulevard Saint-Michel entrait en gare, prenait ces deux voyageurs et s’engageait sur le remblai qui traverse le parc de Montsouris.
Avant d’arriver `a Sceaux-Ceinture, au moment o`u le convoi ralentissait, les deux hommes se laiss`erent glisser de leur compartiment, `a contre-voie, puis, b'en'eficiant de l’obscurit'e, se gliss`erent le long des rails et partirent en courant dans la direction oppos'ee `a celle du train. Ils n’all`erent pas loin. Soudain ils obliqu`erent `a gauche, enjamb`erent la cl^oture qui s'epare la voie du chemin de fer des fourr'es du parc de Montsouris et s’introduisirent dans le jardin obscur.
— Ca va-t-il, p`ere Grelot ? interrogea le plus jeune des deux hommes.
— Ca va toujours, l’'El`eve, r'epliqua en grommelant le vieillard `a la grande barbe blanche. N’emp^eche, poursuivit-il, que sur ces sales cailloux du « balastre » j’ai failli me tourner le pied. Enfin, pour mes soixante-douze ans, car c’est aujourd’hui mon anniversaire, je ne suis pas encore trop « ingambe ».
— Soixante-douze ans ? p`ere Grelot, tu dois nous monter le cou. Probable que tu comptes doubles les ann'ees pass'ees `a Londres.
— T’as toujours le mot pour rire, fils, mais tu pourras causer lorsque tu en auras vu autant que moi. Il y a vingt-trois ans, lorsque j’'etais `a la prison de Montpellier…
Mais, d’un « chut » 'energique, l’'El`eve interrompit son ma^itre.
Il avait entendu du bruit dans les feuillages, et les deux hommes, inquiets, redoutant sans doute d’^etre surpris, s’'etaient arr^et'es net, se taisaient, retenaient leur souffle.
Le p`ere Grelot prit son compagnon par le bras :