Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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— Fils, dit-il, tu n’es qu’un imb'ecile de m’avoir fait peur. C’est un copain qui fait signe. Il doit d'ej`a y avoir du monde `a l’entr'ee du trou.
L’'El`eve, en avancant d’un pas, fit craquer sous son poids quelques brindilles de bois sec.
— Animal, maladroit, tu ne seras jamais qu’un apprenti. C’est pas la peine d’^etre mon 'el`eve, pour faire plus de bruit qu’un r'egiment ou qu’un autobus.
— Ca va bien p`ere Grelot. Je comprends ces pr'ecautions lorsqu’il s’agit de s’installer dans une t^ole, mais ici, on est tranquilles. Pas de danger qu’on rencontre des flics.
— Vaut toujours mieux se m'efier.
Au moment o`u les deux hommes p'en'etraient sous les arbres, quelque chose s’agita `a c^ot'e d’eux et, aux modulations du sifflet, succ'eda une voix qui disait :
— Salut vous autres, c’est Mahamoud.
Le vieillard et le jeune homme se nomm`erent simultan'ement :
— P`ere Grelot.
— L’'El`eve, dit le fils.
Les trois hommes se serr`erent les mains, silencieusement. Puis, le p`ere Grelot, toujours inquiet, interrogea :
— Pas de mouche, dans le voisinage ?
— Non, r'epondit l’Alg'erien, moi ai pu installer toute la m'ecanique pour descendre sans ^etre d'erang'e.
Ils avanc`erent encore de quelques pas avant de se pencher sur un trou noir creus'e `a fleur de sol et dont les bords 'etaient entour'es de robustes parois m'etalliques.
Mahamoud, tr`es leste, enjambait d'ej`a le bord de la fosse, comme s’il allait se pr'ecipiter dedans. Mais sa main courut au pr'ealable le long de la paroi m'etallique, et rencontra fix'ee `a l’une des saillies du m'etal, une grosse corde solidement assujettie. Il la d'esigna `a ses deux compagnons et leur fit palper dans l’obscurit'e le noeud robuste qui maintenait la corde `a son point d’attache.
— Ca beau travail, d'eclara-t-il, porter dix hommes et jamais casser.
— Es-tu bien s^ur ?
Mais l’'el`eve se mit `a rudoyer son ma^itre :
— Dirait-on pas, p`ere Grelot, que t’as les foies blancs `a c’t’heure et que c’est le premier soir que tu d'egringoles dans la salle de bal en passant par la chemin'ee ? Allons-y, Mahamoud, les aminches doivent se faire du mauvais sang `a nous attendre.
Les trois hommes alors se livr`erent `a une manoeuvre aussi p'erilleuse qu’inattendue.
L’Alg'erien, le premier disparut dans le trou, s’agrippa `a la corde et se laissa glisser. Au bout de quelques instants, on entendit sa voix tr`es att'enu'ee, semblant sortir des entrailles de la terre, qui disait :
— Amenez-vous, moi suis arriv'e.
Le p`ere Grelot, malgr'e ses soixante-dix ans, empoigna le cordage `a son tour et, tout en grommelant, se laissa descendre dans la fosse, puis ce fut le long et maigre 'El`eve qui lui succ'eda.
Quel 'etait cet orifice 'etrange et o`u conduisait-il ? N’'etait-il donc pas connu des gardiens du parc et se pouvait-il qu’il exist^at en plein Paris, dans une promenade fr'equent'ee, un tel repaire sans que l’administration en e^ut connaissance ? La chose e^ut 'et'e en effet impossible, si ce trou avait 'et'e clandestin. Mais il 'etait connu, officiel, car la fosse par laquelle les trois bizarres personnages avaient disparu n’est autre que le tunnel creus'e dans la terre et communiquant d’une part avec le parc de Montsouris, tandis que de l’autre il vient d'eboucher au sommet de la vo^ute de chemin de fer creus'ee dans le m^eme parc.
Mahamoud, le p`ere Grelot et l’'El`eve savaient, connaissant les heures, que le dernier train 'etait pass'e. D'esormais, ils 'etaient tranquilles jusqu’`a cinq heures du matin. Ce tunnel, d’ailleurs, devait ^etre un lieu de rendez-vous, car les trois hommes ne s’y trouvaient pas seuls.
De part et d’autre, par les deux extr'emit'es, venaient de nouveaux personnages, qui sans doute, avaient emprunt'e tels ou tels itin'eraires prescrits et pr'evus `a l’avance, pour 'eviter, en un point quelconque, un encombrement qui aurait pu para^itre suspect.
Le tunnel de Montsouris.
Ce passage souterrain servait en effet de lieu de rendez-vous `a une certaine bande dont l’organisation encore ignor'ee de la police, 'etait soumise `a des r`egles tr`es s'ev`eres.
Les membres de cette bande se rencontraient rarement ensemble, mais lorsque d’aventure ils 'etaient convoqu'es, si on leur ordonnait de se r'eunir dans le tunnel de Montsouris, c’'etait avec l’obligation de venir y tenir s'eance en pleine obscurit'e, de l`a le nom que les associ'es s’'etaient donn'e :
Qui donc dirigeait cette association, dont le but n’'etait 'evidemment pas de concourir pour le prix Montyon, mais, bien au contraire, de s’entendre pour accomplir toute la gamme des exploits, depuis d’insignifiants chapardages jusqu’aux plus 'epouvantables forfaits, et de s’arranger, de s’entendre, afin d’'echapper dans toute la mesure du possible aux poursuites de la Justice ?
Cependant, les T'en'ebreux, peu `a peu, se rapprochaient les uns des autres, ils se fr^olaient au passage, dans le noir et d`es lors, d`es qu’ils se rencontraient, ils avaient pour devoir de se nommer imm'ediatement.
C’est ainsi que dans le murmure confus de la foule grossissante, on entendait prof'erer `a mi-voix des noms connus, c'el`ebres d'ej`a dans les annales de la p`egre et dans les couloirs des juges d’instruction.
`A deux ou trois reprises, une voix nasillarde avait prof'er'e :
— Bec-de-Gaz.
Bec-de-Gaz, l’apache c'el`ebre, terriblement compromis quelques ann'ees auparavant, avait 'et'e arr^et'e pour avoir assassin'e sa ma^itresse La Panth`ere.
Par suite d’une chance inesp'er'ee, il n’avait 'et'e condamn'e qu’aux travaux forc'es `a perp'etuit'e puis conduit avec d’autres forcats au p'enitencier de l’^ile de R'e, d’o`u il devait ^etre dirig'e sur la Guyane mais d’o`u il avait r'eussi `a s’'evader avant son embarquement.
Une voix aigre et percante, celle de la m`ere Toulouche, avait aussi retenti dans le tunnel. Elle existait donc toujours, cette affreuse m'eg`ere qui perp'etuellement d'egringol'ee, tomb'ee au dernier 'echelon de l’'echelle sociale, en 'etait r'eduite d'esormais `a racoler des enfants en bas ^age, qu’elle louait aux faux mendiants pour mieux apitoyer le passant ? Des femmes jeunes aussi se trouvaient au nombre des invit'es de cette f^ete inqui'etante, 'etrange.
La pierreuse, Fleur-de-Rogue, fille sombre et farouche dont on aurait pu compter les paroles, depuis le jour o`u son amant, Jean-Marie, aide du bourreau, avait trouv'e une mort sanglante sous le couperet de la guillotine qu’il 'etait charg'e de monter pour le service de la Justice. `A c^ot'e de Fleur-de-Rogue, se trouvait une autre femme, jeune, jolie, belle, dont l’existence 'etait un myst`ere pour tous. Bonne fille, bonne camarade, elle n’avait que des sympathies et des amiti'es autour d’elle, mais nul ne lui connaissait d’amant, nul ne savait quelle 'etait sa demeure et cependant, c’'etait une copine `a coup s^ur. Depuis qu’elle appartenait `a la bande, on l’avait dot'ee d’un sobriquet, on l’appelait la Gu^epe, parce qu’elle avait la taille fine, souple, harmonieuse.