Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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— Soit, `a demain, surtout ne manquez pas de venir.
***
Rosa s’'etait `a peine 'eclips'ee que Juve s’'elanca dans la rue.
Le policier se retrouvait assez `a temps devant la gare Montparnasse, pour suivre des yeux la gracieuse silhouette de Rosa. Dissimul'e derri`ere un kiosque `a journaux, il la vit contourner l’autobus, puis, au lieu de monter dans un des v'ehicules en station, elle revint sur ses pas et s’engagea d'elib'er'ement dans la rue de la Ga^it'e, qui longe la voie du chemin de fer et est c'el`ebre, comme on sait, par les bars interlopes qui s’y trouvent. Juve sentit le coeur lui bondir dans la poitrine. Cette attitude nouvelle de Rosa paraissait tout `a fait concluante.
Qu’allait donc faire la jeune femme dans ces r'egions mal fam'ees ? Il importait de le savoir. Avisant un couloir obscur dont la porte qui donnait sur la rue de la Ga^it'e 'etait entreb^aill'ee, Juve y p'en'etra brusquement. En une seconde, il avait retourn'e son v^etement, jet'e son chapeau `a terre, avait remplac'e celui-ci par une casquette graisseuse prise dans sa poche, puis, enlevant son faux col et ramenant les cheveux sur les tempes, il avait modifi'e compl`etement l’aspect de sa physionomie. L’honn^ete 'electricien, subitement, s’'etait transform'e en un individu sinistre habitu'e `a fr'equenter les quartiers du crime : le Montparnasse et l’Avenue du Maine.
Sous ce nouvel aspect Juve s’'elanca `a nouveau dans la rue et se heurta presque dans un groupe de jeunes voyous qui commentaient `a haute voix le passage aupr`es d’eux, quelques instants auparavant, de la jeune femme de chambre :
— Mince alors, disait l’un d’eux, la voil`a joliment requinqu'ee la d'enomm'ee Mirette.
— Penses-tu que c’est Mirette ?
— Si c’est elle, j’en mettrais ma main au feu. Je parie une chopine que j’ai raison.
Et sans attendre la r'eponse, l’apache courut derri`ere la jeune femme, suivi de ses acolytes, auxquels Juve embo^ita le pas.
Le policier venait d’entendre les propos 'echang'es par les r^odeurs et il 'etait 'emu au plus haut point de la r'ev'elation qu’il avait surprise, il pensait :
— Rosa est connue de ces individus ; d’apr`es eux, elle s’appelle Mirette. S’ils ne se trompent pas, c’est la piste.
Il fut vite 'edifi'e. Les jeunes apaches avaient entour'e Rosa. Et le plus jeune lui lancait `a br^ule-pourpoint :
— Dis-le voir sans blaguer, que tu n’es pas Mirette ?
— Caltez, vous autres, dit la jeune femme, j’ai pas le temp'erament `a me faire attiger par des zigues de votre esp`ece. D'ebinez, ou je fais du foin.
Ils s’'ecart`erent et Rosa en profita pour bondir hors du cercle et fuir `a toutes jambes.
— Zut alors, lanca l’un des apaches, on l’a chang'ee, la Mirette. S^ur qu’elle ne faisait pas la mariolle comme ca quand B'eb'e 'etait `a l’ombre.
— Il est donc sorti, son homme ?
— Il y a d'ej`a une quinzaine de ca, dit un autre. Laisse tomber.
Quelqu’un cependant s’'etait 'elanc'e `a la poursuite de la jeune femme de chambre. Ce quelqu’un-l`a, c’'etait Juve. Mirette et B'eb'e n’'etaient pas des inconnus pour Juve. Au contraire. Juve, depuis d'ej`a plusieurs mois, 'etait renseign'e par les services de la Pr'efecture sur les exploits d’une bande de malfaiteurs connue sous le nom de
Il y avait dans cette association, fort bien organis'ee d’ailleurs, puisque nul ne connaissait son repaire, quelques anciens clients tels que Bec-de-Gaz, la M`ere Toulouche, le P`ere Grelot, et des nouveaux venus, parmi lesquels : Fleur-de-Rogue, la ma^itresse de feu Jean-Marie, Ribonard, l’ancien forcat, et deux jeunes gens : Mirette et B'eb'e.
Alors, si Rosa 'etait Mirette, la cam'eriste-pierreuse, le fil n’'etait pas rompu entre Saint-Calais et Montparnasse, entre les T'en'ebreux et les vols dont Chamb'erieux, et Tergall avaient 'et'e les victimes.
Il fallait risquer le tout pour le tout.
Filer Mirette jusqu’au bout du monde, au besoin.
Ne se doutant en aucune facon de la piste dont elle 'etait l’objet, Rosa dite Mirette, effectuait un 'etrange parcours. Elle avait gagn'e les fortifications, puis se penchant sur la tranch'ee dans laquelle passait le chemin de fer de Ceinture, entre la gare de Montrouge et le tunnel de Montsouris, elle avait longuement attendu.
Juve, dissimul'e non loin d’elle, 'epiait chacun de ses gestes. C’est ainsi qu’il avait vu Rosa se pencher du c^ot'e de la tranch'ee du chemin de fer, puis, au bout de quelques instants, tandis que d’une horloge voisine, douze coups s’'egrenaient, le policier avait distingu'e des ombres suspectes le long de la voie ferr'ee. Il les avait vues s’aborder, se parler myst'erieusement, puis s’enfoncer nous le tunnel.
Cette fois, plus de doute.
Rosa se rendait `a un rendez-vous, elle allait `a une r'eunion de malfaiteurs. Juve, d'esormais, en avait l’absolue certitude.
Avec son beau courage, son admirable m'epris du danger, Juve avait murmur'e :
— Il n’y a pas `a h'esiter. Risquons le tout pour le tout. `A la gr^ace de Dieu.
Franchissant la petite cl^oture de la voie du chemin de fer, le policier s’'elanca derri`ere Rosa dite Mirette, parvint en m^eme temps qu’elle au bas de la tranch'ee, au niveau de la voie, et se dressa soudain devant la pierreuse :
— Mirette, 'ecoute-moi, d'eclara-t-il brusquement.
La jeune femme, r'eprimant un cri de surprise, se retourna, s’arr^eta net, consid'era l’homme qui venait vers elle, ne le reconnut pas tout d’abord. Mais Juve s’'etant approch'e, l’'enigmatique femme de chambre ouvrit des yeux hagards, et d’une voix qu’'etranglait l’'emotion, elle s’'ecria :
— Ah, par exemple, que faites-vous ici ? O`u voulez-vous aller ? Vous m’avez donc suivie ?
— Non, d'eclara Juve sombrement, je suis ici parce que je devais y ^etre.
Le policier prononcait ces paroles au hasard. Il avait une id'ee : il sondait le terrain.
Par bonheur cela devait r'eussir `a merveille.
— Vous deviez y ^etre, et pourquoi ?
— J’ai `a causer avec B'eb'e.
— `A mon amant, s’'ecria Mirette, tu ne vas pas lui faire une histoire au moins.