Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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Le directeur technique grommela :
— Moi ca m’est parfaitement 'egal, je n’ai pas `a choisir. Vous savez que tout le monde doit travailler ici, d'ecidez-vous pour l’une des professions suivantes.
Le vieillard, alors, prit un carton sur lequel quelques lignes 'etaient trac'ees, d’une belle 'ecriture de ronde, tr`es administrative :
— Voici les m'etiers que l’on peut exercer ici : cordonnier, serrurier, relieur, tailleur, fabricant d’engins de p^eche, copiste ou traducteur. Nous manquons un peu de serruriers. Savez-vous tenir la lime ?
— Oui, monsieur.
— Eh bien, alors, vous serez serrurier.
Puis, heureux d’en avoir termin'e, il ordonna au gardien :
— Emmenez-le.
Au second 'etage d’un des six corps de b^atiments, `a droite en allant vers l’extr'emit'e, apr`es avoir pass'e devant une quantit'e de portes ferm'ees, le gardien qui pilotait le num'ero 33 dans cette immense demeure, lui ouvrit une cellule et l’invita `a y p'en'etrer :
— Voici la r`egle de la maison, expliqua-t-il, r'eveil `a cinq heures, toilette et d'ejeuner. De la chicor'ee avec du lait et du pain sec. Puis, travail jusqu’`a midi, une soupe pour d^iner, reprise du travail de une heure jusqu’`a cinq heures, souper : pommes de terre avec un autre l'egume. `A cinq heures et demie, reprise du travail jusqu’`a neuf heures du soir, puis, extinction des feux et coucher. Ah, j’oubliais de vous demander : ^etes-vous fumeur ?
— Pourquoi ?
— Parce que, d'eclara le gardien, l’administration vous autorise le matin, pendant que vous vous promenez dans le pr'eau, `a y fumer la pipe. La journ'ee est trop avanc'ee, pour qu’on vous occupe aujourd’hui. Demain, vous recevrez votre t^ache.
Puis il se retira, verrouilla la porte. Son pas s’att'enua. Puis ce fut le silence. Le 33 'etait seul dans sa prison.
La cellule avait environ deux m`etres cinquante de large et trois m`etres de haut. Elle 'etait 'eclair'ee par une fen^etre grill'ee pourvue d’un petit vasistas. Au plafond, une lampe 'electrique dont un commutateur g'en'eral pour toutes les cellules commandait la lumi`ere. La porte, 'epaisse et lourde, ne s’ouvrant que de l’ext'erieur, 'etait en bois doubl'e de fer, au centre se trouvait un guichet permettant de passer les aliments. Au-dessus, un trou, sorte de monocle appel'e
Le 33 'etudia son mobilier : un lit qui, repli'e, formait une v'eritable table ; une chaise, un paillasson, une gamelle et un couvert. C’est tout.
Le 33, ayant rapidement termin'e cet inventaire, se prit la t^ete entre les mains et soupira :
— Est-ce le tombeau ? Est-ce la fin ? Fant^omas, es-tu d'esormais retir'e du monde des vivants ?
Un 'eclair d’espoir brillait dans les yeux du prisonnier.
— J’en ai, pensa-t-il, au moins pour quatre mois encore.
Et si Fant^omas 'emettait cette opinion en son for int'erieur, c’est qu’il avait, pour cela, ses raisons.
Comme on le transf'erait de Bruxelles `a Louvain, dans le convoi de prisonniers dont il faisait partie, il avait remarqu'e un certain gaillard `a la mine 'eveill'ee. Fant^omas le connaissait pour l’avoir d'ej`a rencontr'e dans les bouges de Paris, alors que le sinistre malfaiteur 'etait `a la t^ete de bandes dont les membres ne lui c'edaient en rien sous le rapport de l’audace ou de la f'erocit'e. Le gaillard avait reconnu Fant^omas.
Sans pouvoir 'echanger de paroles, ils avaient correspondu par signes.
Fant^omas avait compris que le d'etenu qui s’entretenait avec lui, n’avait que quatre mois `a faire `a la prison de Louvain, et qu’apr`es cela, il s’occuperait des int'er^ets du Roi de l’'Epouvante, du Ma^itre de l’Effroi.
C’'etait en cette conversation silencieuse que Fant^omas, placait d'esormais tout son espoir.
***
Avec une monotonie d'esesp'erante, car les jours succ'edaient aux jours selon une uniformit'e absolue, quatre mois et demi s’'ecoul`erent.
Le 33, comme les autres prisonniers, mat'e par le r'egime rigoureux de la prison cellulaire, effectuait ponctuellement son travail quotidien. De Fant^omas, il n’'etait plus question, et le directeur lui-m^eme avait cess'e de renouveler aux gardiens, qui sans cesse se succ'edaient, suivant l’usage, `a la division D, ses recommandations, relativement au forcat. 33.
Fant^omas en effet avait une conduite exemplaire, et faisait preuve d’une intelligence qui lui valait la consid'eration de ceux qui surveillaient son ouvrage.
Fant^omas, n'eanmoins, devenait de plus en plus sombre, et de plus en plus pr'eoccup'e, encore qu’il dissimul^at ses appr'ehensions et ses impressions.
Fant^omas s’exasp'erait de voir passer le temps et de n’entendre point parler de B'eb'e, de l’apache incarc'er'e en m^eme temps que lui au bagne de Louvain, et qui devait avoir achev'e sa peine.
`A quoi pensait-il donc ? et dans la p`egre de Paris, avait-on d'ecid'e de se passer d'esormais de Fant^omas ? Et peu `a peu, Fant^omas sentait avec terreur que ses facult'es intellectuelles allaient diminuant, que sa sant'e d'ep'erissait. Il voyait approcher l’h'eb'etement, la folie. Pour peu que cela continu^at, Fant^omas, le Roi de l’'Epouvante, le G'enie du Crime, terrass'e par la solitude et l’incarc'eration, ne serait plus qu’une loque.
— Le 33 au pr'eau.
Comme tous les matins, `a sept heures et demie, cet ordre venait d’^etre formul'e d’une voix s`eche et br`eve, par le gardien qui avait dans sa section les num'eros de 30 `a 40 de la division D.
Fant^omas appr'eciait particuli`erement cette heure de la journ'ee car, pendant vingt-cinq minutes, il respirait l’air libre, l’air directement venu du ciel. Il faisait ce matin-l`a un clair soleil d’automne, et le temps 'etait frais.
Fant^omas contemplait machinalement le mur en face de lui, mur 'elev'e, r'ebarbatif, maussade, mur d’une des ailes de la prison, mur haut de vingt-cinq m`etres, et large d’autant, lorsque soudain il r'eprima un tressaillement.
Sur ce mur noy'e d’ombre, car il 'etait orient'e vers l’ouest, venait de se projeter un rayon lumineux et ce rayon disparaissait, et r'eapparaissait. Soudain, le rayon d'ecrivit un cercle, et cette fois, Fant^omas poussa un long soupir, cependant que ses yeux s’'ecarquillaient. Il n’y avait pas de doute, c’'etait un signal : quelqu’un s’occupait de lui.
Fant^omas, sans para^itre s’hypnotiser dans la contemplation de ce mur, ne le quittait pourtant pas des yeux. Il avait compris non seulement qu’on s’occupait de lui, mais encore que l’on tentait de le renseigner au moyen de l’alphabet lumineux que Fant^omas lui-m^eme avait imagin'e pour la Bande des T'en'ebreux.