Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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L’orchestre du Gr"uber'ecorchait toujours des valses lentes, il 'etait minuit et demie, heure tr`es tardive pour une ville de province, on rentrait les tables `a l’int'erieur du caf'e, que J'er^ome Fandor et Chamb'erieux causaient toujours.
8 – A L’ALCAZAR, L’HEURE DE L’AP'ERITIF
— Un bock `a l’as.
Apr`es avoir annonc'e la commande, le garcon se rendait au comptoir.
— Diable, pensa le consommateur, je ne me suis pas attir'e l’estime du garcon, j’ai demand'e la consommation la moins ch`ere. J’aurais d^u prendre autre chose pour me faire bien voir. Enfin, je m’en vais t^acher de r'eparer ma sottise en le gratifiant d’un pourboire royal. Mon vieux Fandor, tu mettras cela sur ta note de frais, car, n’oublie pas que tu voyages en ce moment, pour le compte de ton journal.
Le journaliste heurta d’une pi`ece d’argent le bord de la soucoupe, de facon `a attirer l’attention du garcon. Celui-ci, 'emergeant soudain de l’office, s’empressa de rentrer dans la salle, mais loin de se diriger vers le journaliste, il alla `a la table voisine et s’enquit avec un air aimable et une intonation respectueuse, de la commande qu’allait lui donner un consommateur `a peine assis.
Celui-ci l’interpella famili`erement :
— 'Ecoute ici, Boum-Voil`a, j’ai une soif terrible et j’ai tellement chant'e `a la r'ep'etition qu’il faut me retaper les cordes vocales. Tu vas me servir une pur'ee bien tass'ee.
— Vous pouvez ^etre tranquille, monsieur Marius, vous allez ^etre content.
Le consommateur, un habitu'e 'evidemment et un artiste, s’'etala sur la banquette, lanca son chapeau sur une chaise, puis en attendant la consommation demand'ee, apostropha Fandor :
— Ces gaillards-l`a, d'eclarait-il, en d'esignant le garcon qu’il avait surnomm'e Boum-Voil`a, ne sont pas mauvais, mais il faut toujours les avoir `a l’oeil, c’est chapardeur, ficelle et compagnie.
Fandor laissa parler le cabotin, estimant que le ronron de ses paroles constituait un bercement tr`es favorable aux r'eflexions qui lui venaient `a l’esprit, de m^eme qu’`a l’'elaboration du plan de campagne qu’il m'editait.
Le journaliste, au lendemain de sa rencontre avec M. Chamb'erieux, avait d'ecid'e qu’il 'etait int'eressant de faire la connaissance de cette fameuse ma^itresse dont le bijoutier manceau semblait faire si grand cas.
Toutefois, Fandor avait refus'e de se faire pr'esenter `a Chonchon par son seigneur et ma^itre, il estimait que mieux valait, pour se former une opinion sur la demoiselle, faire sa connaissance sans attirer sur soi une attention particuli`ere. Et, Fandor, apr`es avoir err'e tout l’apr`es-midi dans les rues d'esertes du Mans, 'etait venu s’installer avec toutes les apparences d’un bon d'esoeuvr'e, `a l’ Alcazar, `a l’heure de l’ap'eritif.
Fandor, depuis une bonne demi-heure qu’il 'etait install'e `a l’ Alcazar, regardait avec insistance le grand portrait de couleur repr'esentant la vedette de l’'etablissement : la c'el`ebre Chonchon, corps souple, voluptueux, que surmontait une ravissante t^ete de poup'ee inexpressive mais jolie.
`A la table de Fandor, apr`es quelques h'esitations, les deux petites artistes que M. Jules avait accus'ees d’avoir d'emoli le piano, 'etaient venues s’asseoir timidement, elles se pos`erent sur l’extr'emit'e de leurs chaises, et, soudain, feignant de s’apercevoir que la table 'etait occup'ee, se levaient brusquement, lorgnant Fandor, en d'eclarant tr`es haut, de facon que toute la galerie puisse avoir une haute id'ee de leur tact et de leur savoir-vivre :
— On vous demande pardon, monsieur, on n’avait pas remarqu'e que vous 'etiez l`a, nous allons nous mettre ailleurs pour ne pas vous d'eranger.
Mais, Fandor, galant homme, ne voulut pas laisser partir ces dames.
— Restez donc, mesdames, au contraire, et permettez-moi de vous offrir quelque chose.
Fandor, du reste, faisait une folie qui ne lui co^uterait pas bien cher.
La porte, du fond de l’ Alcazar, s’'etait ouverte sous une violente pouss'ee, et une petite femme blonde, boulotte, emmitoufl'ee d’un boa `a longues plumes, 'etait entr'ee en coup de vent. Elle annonca son arriv'ee, en lancant d’une voix fra^iche, mais stridente et commune, un tonitruant :
— Bonsoir la compagnie.
Puis, `a petits pas pr'ecipit'es, tournant la t^ete `a droite et `a gauche, pour s’assurer que les rares personnes se trouvant dans la salle, l’avaient bien remarqu'ee, la nouvelle venue gagna le pied de la sc`ene en fredonnant des paroles stupides, sur un air d’une sinistre vulgarit'e.
— Et voil`a, ajouta-t-elle, ponctuant la fin de son refrain, de ce commentaire, et voil`a le truc avec lequel je les emballe tous les soirs.
Un jeune homme, aux v^etements r^ap'es, au visage blafard, avait surgi de derri`ere le piano :
— Veux-tu r'ep'eter, Chonchon ? demanda-t-il.
Et, sans attendre la r'eponse, il s’installa au piano, plaqua quelques accords.
Chonchon commencait `a chanter, sans se pr'eoccuper le moins du monde de la mesure. Mais, le pianiste se garda bien d’en faire l’observation `a une vedette aussi notable que Chonchon, et de toute la rapidit'e de ses doigts d'eli'es et nerveux, il s’efforcait de la rattraper :
— Rendez-vous au point d’orgue, avait d’ailleurs pr'evenu la chanteuse.
Elle avait ajout'e :
— Les premiers arriv'es attendront les autres.
Soudain, apr`es quelques vocalises plus ou moins 'echevel'ees, Chonchon s’arr^eta net. Elle venait de penser `a quelque chose d’important et, se tournant vers la porte de l’office, elle s’'ecria :
— Boum-Voil`a, au lieu de rester `a b^ailler, tu ferais mieux de me servir mon vermouth. Allez, grouille-toi, va-t’en porter ca `a la table, o`u sont les copains.
Puis Chonchon reprit la phrase interrompue tout en regardant discr`etement autour d’elle, non pour voir ceux qui l’entouraient, mais toujours pour s’assurer qu’elle ne passait pas inapercue.
`A vrai dire, les camarades de la vedette se pr'eoccupaient relativement peu d’elle. Mais au milieu du groupe qu’ils formaient, se trouvait quelqu’un qui, depuis l’arriv'ee de Chonchon, ne l’avait pas quitt'ee des yeux, n’avait pas perdu un seul de ses gestes ni m^eme n'eglig'e d’'ecouter un seul de ses propos.
Le journaliste, d`es qu’il avait vu entrer la grosse petite femme, l’avait reconnue.
— Voil`a Chonchon, s’'etait-il dit.
Et Fandor ne doutait pas un seul instant qu’il parviendrait `a faire sa connaissance. Le hasard le servait, Chonchon avait ordonn'e au garcon de lui porter une consommation `a la table de Fandor. Il n’avait donc plus qu’`a l’attendre.