Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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— Voil`a, commenca-t-elle, un peu g^en'ee, mais s’enhardissant `a mesure, voil`a : ce que j’ai dit `a monsieur, cette nuit, est exact. On m’a bien donn'e cette bague, et c’'etait bien un amant, bien mon amant, mais ni Chamb'erieux, ni Tergall.
— Alors, un troisi`eme ?
— Et reprit M. Morel, voulez-vous nous dire qui ?
Chonchon parut g^en'ee, rougit, balbutia.
— Vous dites ?
— Je dis, r'ep'eta Chonchon, que c’est le cur'e.
— Le cur'e ?
— Le cur'e, `a vrai dire, je ne sais pas s’il est cur'e, mais enfin c’est un pr^etre.
— Ce que vous venez de dire est tr`es important. Mais il faut pr'eciser, mademoiselle, n’oubliez pas un seul d'etail, racontez-nous comment la chose s’est pass'ee. Comment s’appelle ce pr^etre ?
— Ca, je ne sais pas.
— Comment, c’est votre amant, et vous ne connaissez pas son nom ?
— Dame, vous devez comprendre, surtout quand il s’agit d’un monsieur pr^etre. Ils n’aiment pas crier sur les toits comment ils s’appellent.
— Vous le connaissez depuis longtemps ?
— Moi ? pas du tout, fit Chonchon, je l’ai vu pour la premi`ere fois mercredi dernier.
— Mercredi, le jour du vol.
— Mercredi vers midi moins un quart. Je sais que c’est un pr^etre mais, naturellement, il ne s’en est pas vant'e.
— Voyons, voyons, fit M. Morel en tapant de son geste familier sur la table avec son porte-plume, si nous proc'edons de la sorte, nous n’en finirons jamais. Je vous en prie, mademoiselle, racontez-nous de a `a z vos relations avec ce pr^etre, qui, assurez-vous, vous a donn'e cette bague. Surtout, n’omettez pas un seul d'etail.
— Donc, voil`a, recommenca Chonchon, je revenais de Paris par le train du matin, qui s’arr^ete `a Connerr'e. J’allais au Mans pour rejoindre la bo^ite o`u je d'ebutais le soir m^eme, pour la saison d’automne. J’'etais mont'ee dans le wagon `a couloir premi`ere classe, et je crois bien que j’'etais seule depuis La Fert'e-Bernard. Voil`a t’y pas, qu’`a la gare de Connerr'e, je vois quelqu’un qui monte dans le compartiment `a c^ot'e du mien. Tiens, que je me dis, en voyant que c’'etait un homme habill'e d’une grande robe noire, un cur'e. Et naturellement je pense `a l’accident.
— Quel accident ?
— Vous savez bien comme ca que de voir des cur'es, ca porte la guigne. Alors tout de suite, pour conjurer la guigne, voil`a que je touche du fer.
— Je vous en prie, Mademoiselle, 'epargnez-nous vos superstitions et vos plaisanteries ridicules. Vous dites que ce pr^etre est mont'e dans le compartiment voisin du v^otre ?
— Oui, monsieur le juge.
— Continuez.
— Donc, voil`a le train qui se d'ebine dans la direction du Mans et moi qui avais achet'e les journaux illustr'es, je me mets `a regarder les images, et je ne pense pas plus `a mon voisin le cur'e qu’`a Jules C'esar. Tout d’un coup, je vois quelqu’un qui entre dans mon compartiment (car il faut vous dire qu’il y avait dans mon wagon un couloir faisant communiquer les compartiments entre eux). C’'etait un type tr`es chic, bien habill'e, avec de belles mani`eres. Le voil`a qui se met `a me faire du boniment, me faire de l’oeil, du pied, toute la lyre, vous connaissez ca, pas vrai, monsieur le juge ?
— Mais nullement, mademoiselle, je ne suis pas plus habitu'e `a faire du pied comme vous dites que je ne suis accoutum'e `a ce qu’on m’en fasse. Poursuivez votre r'ecit.
— Bref, de fil en aiguille, je lui raconte ma vie, il me raconte la sienne, soi-disant qu’il 'etait un fils de famille, voyageant pour son plaisir, qu’il avait beaucoup d’argent, et patati et patata. Toujours est-il qu’en arrivant au Mans, j’avais plus grand’chose `a lui refuser. Je dois reconna^itre que ce garcon-l`a s’est tr`es bien conduit avec moi. Il y en a qui, apr`es avoir obtenu ce qu’ils voulaient, m’auraient laiss'ee l`a sur le quai de la gare, `a me d'ep^etrer toute seule. Eh bien, non, il a 'et'e plus chic que ca.
— Je voudrais bien, mademoiselle Chonchon, que vous nous reparliez de ce pr^etre qui 'etait mont'e dans le train `a Connerr'e.
— Le pr^etre, vous n’avez pas devin'e que c’'etait lui ? Ce jeune homme, mon amant, l’homme `a la bague quoi. Vous pensez bien que je l’ai reconnu. Il avait des yeux c’t’homme-l`a, quand on les voit une fois, on ne les oublie jamais. Seulement, vous comprenez, avant de venir me faire du boniment, il est probable qu’il avait chang'e de costume. Car, bien entendu, j’aurais tout de m^eme pas 'et'e d'ejeuner avec un pr^etre en soutane.
Juve demanda :
— L’avez-vous revu ce monsieur ?
— Non, dit Chonchon. Mais il a promis de m’'ecrire. Seulement, vous comprenez, c’est fort emb^etant pour moi d’aller raconter cette histoire devant Chamb'erieux ou devant Tergall qui se figurent qu’ils sont les seuls.
Juve r'efl'echissait :
— Naturellement, demanda-t-il, vous reconna^itriez cet homme, je veux dire l’homme `a la bague, si on vous le montrait. M^eme habill'e en pr^etre ?
— Comment donc, si je le reconna^itrais.
— Oui, dit Juve `a mi-voix, au juge, il faut faire compara^itre l’abb'e Jeandron. Il est cit'e si je ne me trompe.
— Introduisez l’abb'e, ordonna M. Morel.
Quelques instants plus tard, le pr^etre p'en'etrait dans le cabinet du juge. Il s’inclina devant Chonchon, toute troubl'ee, salua Juve, et Fandor, puis s’adressant au magistrat :
— Monsieur le juge, j’ai oubli'e la derni`ere fois que vous m’avez fait l’honneur de me recevoir, de vous signaler un d'etail qui peut-^etre aura de l’importance `a vos yeux : lorsque je suis revenu coucher `a l’ H^otel Europ'een, j’en suis reparti, comme vous le savez – comme je vous l’ai d'eclar'e du moins – le lendemain matin, de fort bonne heure. J’ai laiss'e dans ma chambre quelques menus bagages. Notamment une soutane et un chapeau de rechange dont j’avais fait emplette le jour pr'ec'edent et que je rapportais `a la cure. Or, je me suis apercu, il y a deux ou trois jours seulement, que cette soutane et ce chapeau me manquaient. J’ai interrog'e ma m'emoire, et acquis la certitude que j’avais laiss'e ces v^etements dans la chambre de l’h^otel et que je ne les avais pas revus depuis.
— De mieux en mieux, s’'ecria Juve.
Le pr^etre s’arr^eta, d'evisagea le policier :
— Ma d'eclaration vous int'eresse, monsieur ?
— 'Enorm'ement, r'epondit le policier.
Cependant, M. Morel s’adressait `a Chonchon :
— Voici M. l’abb'e Jeandron, persistez-vous dans vos d'eclarations ?
— Quelles d'eclarations ?
— Le pr^etre qui est mont'e dans le train du Mans `a Connerr'e avec lequel vous avez pass'e l’apr`es-midi, est-ce monsieur ?