Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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— Parce qu’il me semble que votre conduite…
— Ma conduite ? qu’est-ce que tu lui reproches ?
Fandor s’'etait install'e `a califourchon sur une chaise, appuyant son menton au dossier, se balancant, au grand risque de perdre l’'equilibre.
— Ce que je reproche `a votre conduite, digne Juve, c’est tout et rien. Vous ^etes 'enigmatique comme le sphinx, assommant comme une mouche, muet comme une taupe.
— Explique-toi.
— Je m’explique : Juve, vous ^etes dormeur comme une marmotte, parce que de Saint-Calais `a Paris, aussi bien dans le wagon du tortillard que dans le compartiment de l’express, vous avez roupill'e sans arr^et. Vous ^etes muet comme une taupe parce que, quand vous dormez, vous ne fournissez aucune explication. Vous ^etes 'enigmatique comme le sphinx parce que tout dans vos attitudes est incompr'ehensible. Vous ^etes assommant comme une mouche, enfin, parce qu’`a chaque minute `a chaque instant, quelque effort que l’on fasse pour vous comprendre, on demeure stupide devant l’ing'eniosit'e de vos pens'ees. Voil`a, c’est clair ?
— Ca n’est pas clair du tout. Tr`es s'erieusement, je ne te comprends pas, Fandor ?
— Oui ou non, Juve, vous moquez-vous de moi ?
— Oui ou non, r'epondait Juve, vas-tu m’expliquer ce qui t’intrigue si fort ?
— Juve, quand je vous ai rencontr'e au Mans, je vous ai dit que j’avais recu deux avertissements de Fant^omas et que Fant^omas, par cons'equent, 'etait m^el'e aux affaires de Saint-Calais. L`a-dessus, vous m’avez trait'e d’idiot. Est-ce exact ?
— Tr`es exact, Fandor.
— Alors, pourquoi, Juve, hier soir, parlant `a la personne m^eme de M. Morel, avez-vous d'eclar'e que Fant^omas 'etait le coupable du vol ? Et pourquoi ce matin m’avez-vous fait prendre `a Saint-Calais le train de Paris en me d'eclarant, sans autre explication, que nous allions nous occuper de Fant^omas ?
— Allons, Fandor, un peu de calme. J’avoue que tu peux ^etre furieux `a bon droit et je t’annonce que je vais t’expliquer tout ce qui te para^it incompr'ehensible. C’est simple comme bonjour.
— Juve, je suis sur le gril.
— D’abord, Fandor, tu es un serin.
— C’est admis. Voyons la suite ?
— Non. Arr^etons-nous au contraire `a cette premi`ere 'evidence. Tu es un serin, mon petit Fandor, car tu n’as pas 'et'e capable d’inventer qu’il 'etait fort possible que, pour toi et pour moi, Fant^omas n’'etait nullement m^el'e aux affaires de Saint-Calais alors qu’il y 'etait directement m^el'e pour M. Morel, le procureur g'en'eral, et consorts.
— Ce qui veut dire, Juve ?
— Mais ce qui veut dire, parbleu, que j’ai menti hier soir quand j’ai dit que je croyais Fant^omas le coupable !
— Pourtant, mes t'el'egrammes, le coup de t'el'ephone ?
Juve, `a nouveau, hoqueta de fou rire :
— Mon pauvre ami, cela ne prouve pas grand-chose. Le coup de t'el'ephone de Fant^omas, c’'etait quelque chose d’absolument idiot destin'e `a quelqu’un de rigoureusement imb'ecile. La d'ep^eche 'etait du m^eme go^ut.
Puis, comme Fandor ouvrait des yeux abasourdis, comme il paraissait ahuri, Juve expliqua :
— Mais na"if que tu fais, voyons, Fandor, c’est moi, moi, Juve, qui t’ai donn'e le coup de t'el'ephone de la part de Fant^omas. Et c’est moi, moi, Juve encore, qui t’ai envoy'e la d'ep^eche sign'ee Fant^omas.
— Vous, Juve, c’est vous l’auteur de ces myst'erieuses communications ? ah c`a, par exemple, je ne m’en serais jamais dout'e.
— C’est ce que je te reproche, Fandor. Mais, sapristi, si tu avais r'efl'echi deux minutes, tu te serais dit qu’il 'etait impossible que Fant^omas e^ut recu en prison ton article intitul'e :
— J’ai parfaitement song'e que Fant^omas n’avait pas pu avoir mon article `a sa prison de Louvain, mais j’ai imm'ediatement admis qu’il s’'etait 'evad'e, qu’il n’'etait plus l`a-bas. Or, d’apr`es vous, Juve, Fant^omas est toujours en prison ?
Juve haussa les 'epaules, ricana, puis lentement, appuya sur les mots il d'eclarait :
— Oui. Fant^omas est encore en prison. Mais pas pour longtemps.
— De plus fort en plus fort, Juve. Que diable voulez-vous dire ? Si vous saviez – et vous le saviez – que Fant^omas 'etait en prison, par cons'equent hors d’'etat d’agir, pourquoi, Juve, m’avez-vous envoy'e un coup de t'el'ephone de la part de Fant^omas, une d'ep^eche sign'ee Fant^omas. Pourquoi avez-vous dit hier : « Fant^omas, c’est le coupable » ?
— Parce que je n’entends pas que Fant^omas reste trop longtemps `a la prison de Louvain…
— Mais, mon Dieu, o`u voulez-vous donc qu’il aille ?
— `A l’'echafaud.
Il ne plaisantait plus.
— 'Ecoute, Fandor, voici mon plan de guerre : il est incontestable que Fant^omas nous a roul'es, m’a roul'e, lorsqu’il s’est fait arr^eter en Belgique, en Belgique o`u l’on ne guillotine pas. Fandor, tant que Fant^omas sera en Belgique d'etenu `a la prison de Louvain, d'etenu `a perp'etuit'e en raison de sa qualit'e de condamn'e `a mort dont la peine a 'et'e commu'ee, il sera hors d’atteinte. Donc, co^ute que co^ute, il faut faire revenir Fant^omas en France. En France, o`u l’'echafaud saura rendre ce bandit inoffensif d'efinitivement. Tu comprends cela, je suppose ?
— Sans doute, Juve, je comprends que nous ne pouvons rien contre Fant^omas tant qu’il est en Belgique, mais…
— Laisse-moi parler. Quand j’ai appris les vols de Saint-Calais, je me suis imm'ediatement rendu sur les lieux. J’y ai enqu^et'e, j’ai interrog'e, `a droite et `a gauche, les personnalit'es susceptibles d’'eclairer ma religion, bref, et je te l’ai racont'e, je suis arriv'e `a 'etablir de la facon la plus certaine que le vol avait 'et'e commis par des individus appartenant `a une bande d’apaches, la bande des T'en'ebreux, compos'ee d’anciens complices de Fant^omas. Bon. Que penses-tu que j’aie fait alors ?
— Juve, j’imagine qu’imm'ediatement vous avez 'et'e faire part de vos d'ecouvertes au Parquet de Saint-Calais, qu’imm'ediatement vous avez pris les mesures n'ecessaires pour que l’on coffre le plus rapidement possible la bande des T'en'ebreux en entier.
— Eh bien, r'epondait-il, je n’ai rien fait de tout ca. Non. Sachant que les T'en'ebreux 'etaient des complices de Fant^omas, mon petit Fandor, j’ai pens'e que, de sa prison de Louvain, Fant^omas devait avoir organis'e cette affaire. Je supposais, pour tout dire, que Fant^omas entretenait toujours des intelligences avec les apaches group'es dans la bande des T'en'ebreux. De l`a `a me dire que je ne devais rien tenter contre les T'en'ebreux, de peu d’importance en somme, tant que je n’aurais pas pu m’emparer de Fant^omas, et cela afin que le bandit ne soit pas inform'e de mes projets, il n’y avait qu’un pas. Mon petit Fandor, persuad'e que les T'en'ebreux 'etaient les auteurs du vol, j’ai laiss'e les T'en'ebreux tranquilles. J’ai m^eme fait autre chose.