Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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Le directeur de plus en plus en col`ere avait soulev'e sur son bureau un lourd presse-papier de bronze qu’il laissa retomber.
— C’est inimaginable ! Enfin, gardien, racontez-moi exactement comment les choses se sont pass'ees.
Le gardien rougit, p^alit, se pencha en avant pour examiner le bout de ses pieds, puis se renversa en arri`ere :
— Monsieur le directeur, commenca-t-il, moi, je n’ai fait qu’accomplir mon service. Et voici comment. Tout `a l’heure, `a neuf heures du soir, comme je faisais ma ronde, aile D, et que par les « espions » je surveillais les prisonniers, j’ai 'et'e avis'e par le D. 33 qu’il 'etait souffrant, il se plaignait de terribles crampes d’estomac.
— Eh bien, c’est excessivement simple. Il fallait pr'evenir le major et le conduire `a l’infirmerie.
— C’est bien ce que j’ai fait, monsieur de directeur.
— Et alors ?
— Alors, monsieur le directeur, une fois le major pr'evenu et l’un de mes coll`egues mis en garde `a ma place, j’ai ouvert la cellule et j’ai invit'e le D. 33 `a venir `a l’infirmerie.
— Bon. Apr`es ?
— Apr`es, monsieur le directeur, nous sommes sortis de l’aile D, et pour gagner l’infirmerie, mon prisonnier et moi, nous avons long'e le mur d’enceinte.
— C’'etait votre chemin, je le reconnais, et ensuite ?
— Ensuite ? Monsieur le directeur, voyez-vous, c’est `a ce moment-l`a que le malheur a commenc'e. Voil`a-t-y pas que, tout d’un coup, pendant que nous marchions c^ote `a c^ote le long du mur d’enceinte, je vois le D. 33 qui sursaute `a la facon d’un homme qui a une vive 'emotion. Et puis, avant que j’aie eu le temps de me reconna^itre, vlan ! je recois une bourrade `a l’'epaule. Une bourrade, sauf votre respect, qui m’envoie m’aplatir par terre.
— C’est le D. 33 qui vous la donne, cette bourrade ?
— Oui, monsieur le directeur, c’est le D. 33 qui me la donne, et je vous assure qu’il ne perd pas son temps. Je ne suis pas encore par terre, monsieur le directeur, que je le vois qui prend sa course comme un fou. Il s’'elance en avant, il s’approche du mur d’enceinte. Je ne suis pas relev'e qu’il a saisi une corde, une corde lisse qui pend l`a, et en deux temps trois mouvements, il est sur le mur, sur le sommet et il a retir'e la corde.
— Alors, qu’est-ce que vous faites ?
— Qu’est-ce que je pouvais faire, monsieur le directeur ? Il avait retir'e la corde, donc je ne pouvais pas le poursuivre. Mais, tout de m^eme, je me mets `a crier, `a hurler, `a gueuler. Ah ouitche ! je vous assure, monsieur le directeur, que ca n’avait pas l’air de l’impressionner beaucoup. Je vous ai dit qu’il 'etait mont'e en moins de dix secondes sur le haut du mur, s^ur comme je vis qu’il n’y est pas rest'e plus de cinq secondes, le temps de crier trois fois, et je ne voyais plus rien du tout. Du mur d’enceinte, il avait saut'e sur le mur de cl^oture. Moi, naturellement, monsieur le directeur, quand je ne l’ai plus vu, je me suis sauv'e comme un voleur pour aller donner l’alarme au poste. Et voil`a tout.
Le directeur ronchonna quelque chose d’indistinct, puis, brutalement, interrogea le soldat :
— Et vous ? qu’est-ce que vous savez ? `A quoi sert-il que vous soyez de garde si vous n’^etes m^eme pas capable d’emp^echer un prisonnier de se sauver ?
Le soldat se gratta la t^ete.
— Mais, monsieur le directeur, protesta-t-il, c’est tout de m^eme moi qui l’ai emp^ech'e, en l’emp^echant pas et en l’emp^echant tout de m^eme.
— Expliquez-vous.
— Eh bien, voil`a la chose. Monsieur le directeur. J’'etais de garde dans le chemin de ronde, entre les deux murs, le mur d’enceinte et le mur de cl^oture. Bougez pas, m’avait dit le caporal, surtout ne bougez pas, seulement levez la t^ete tout le temps parce que si un d'etenu se sauve, il faut que vous lui tiriez dessus.
— Et vous n’avez pas os'e tirer sur le D. 33 ?
— Pardon, excuse, monsieur le directeur, j’aurais tr`es bien os'e, seulement j’ai pas eu le temps.
Et s’'echauffant `a son tour, le malheureux militaire expliqua :
— Il y avait d'ej`a une heure et demie que j’'etais de garde. Je ne voyais rien. Tout 'etait tranquille. Je ne pensais m^eme pas `a grand-chose. Et puis, tout d’un coup, voil`a que j’entends de l’autre c^ot'e du mur d’enceinte, des hurlements, des cris, des jurons, des appels. Bref, un raffut du diable. Bon, que je me dis, y en a encore un qu’est en train de s’empoigner avec les gardiens. Ca ne me troublait pas autrement, vous comprenez. Et puis tout d’un coup, ah sapristi, monsieur le directeur, ca m’en a fait une 'emotion ! je vois un grand diable qui est pour ainsi dire `a cheval sur le mur d’enceinte. Oh, que je pense, ca devient grave. Bien s^ur, je ne me trompais pas, l’individu en moins de rien court sur le mur et je le vois qui empoigne quelque chose, une corde qui 'etait jet'ee du mur d’enceinte sur le mur de cl^oture. Cette corde-l`a, monsieur le directeur, ca faisait comme qui dirait un pont pour passer. L’homme la suit comme un gymnaste : en deux secondes, il 'etait sur le fa^ite du mur de cl^oture.
— Et vous ne tiriez toujours pas ?
— J’aurais bien tir'e, monsieur le directeur, mais il allait vite, le bougre. Et puis je ne voyais pas clair. Je me disais : c’est-y un d'etenu ? c’est-y un gardien ?
— Imb'ecile. Et alors ?
— Alors, ca c’est le plus 'etrange ! Tandis que je l’ajustais avec mon mousqueton, pr^et `a le descendre ni plus ni moins qu’un lapin, voil`a qu’il me crie :
Le soldat n’ajouta rien `a son r'ecit. Il avait l’air de ne pas comprendre ce qu’il disait.
Pour le directeur, apr`es avoir hauss'e les 'epaules deux ou trois fois, il se tourna vers le gardien-chef :
— Et vous, major, qu’est-ce que vous savez ?
— Moi, monsieur le directeur, ne pensant qu’`a mon service, je suivais le mur d’enceinte bien tranquillement, dans le sens oppos'e `a celui o`u venait le D. 33 et son gardien. Je ne les voyais pas encore. Ils 'etaient masqu'es par les b^atiments. Et puis, subitement, `a l’improviste, j’entends crier, j’entends hurler ! Devant moi ou derri`ere moi ? Ma foi, je n’en savais rien. Naturellement, je m’arr^ete, je cherche `a m’orienter, `a deviner ce qui se passe. Et voil`a que pendant que je r'efl'echis, j’entends au-dessus de ma t^ete, `a ma hauteur, un bruit extraordinaire. Le temps de me d'etourner, monsieur le directeur, et crac, j’apercois le D. 33 qui saute du mur d’enceinte `a mes c^ot'es. Il a fait un bond formidable. Il y avait de quoi ^etre surpris, vous pensez bien.