Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
Шрифт:
Chonchon s’'etait tourn'ee `a contre-jour, elle avait pris dans son sac `a main un petit flacon d’eau de Cologne dont elle humectait son mouchoir dans le s'ev`ere cabinet du juge. Chonchon avait 'etal'e son manteau doubl'e de soie, son 'echarpe de fourrure, on se serait cru dans un boudoir. Et cet aspect inattendu du bureau occup'e par le magistrat instructeur ne fut pas fait pour peu surprendre Chamb'erieux et Tergall lorsqu’ils y p'en'etr`erent.
Apr`es avoir d’une l'eg`ere inclinaison de t^ete salu'e M. Morel, les deux hommes virent Chonchon et parurent abasourdis. Juve, sans se pr'eoccuper des nouveaux venus 'etait all'e se placer `a c^ot'e de Chonchon. Il lui avait pris la main doucement et la jeune femme intrigu'ee, r'esign'ee, s’'etait laiss'ee faire sans comprendre. Juve, toutefois, avait un but : il enleva de l’annulaire de la main droite de Chonchon une fort belle bague qu’elle portait au doigt, puis il l^acha la main de la jeune femme et, d'eposa le bijou sur le bureau du magistrat au beau milieu du buvard.
— Mademoiselle, demandait M. Morel, vous avez cette nuit, en soupant avec ces messieurs…
Et le magistrat, d’un geste large de la main, d'esignait Juve et Fandor.
Mais `a ce moment deux exclamations 'etouff'ees l’interrompirent. Elles 'emanaient de Chamb'erieux et de Tergall :
— Comment Chonchon ? avaient murmur'e l’un et l’autre.
— Silence, messieurs.
Le magistrat poursuivit :
— … En soupant cette nuit avec ces messieurs, mademoiselle, vous leur avez fait une d'eclaration des plus graves, si grave m^eme qu’elle a d'etermin'e M. l’Inspecteur de la S^uret'e ici pr'esent `a vous amener en mon cabinet. Je vais vous demander de la confirmer de la facon la plus pr'ecise. Cette bague – et le magistrat d'esigna le bijou – vous la portiez il y a un instant. M. Juve en vous interrogeant, sur son origine, cette nuit vous a dit :
« Vous lui avez r'epondu : « C’est un cadeau de mon amant ». Voulez-vous confirmer ? »
Mais cette fois le magistrat fut encore interrompu. Deux protestations violentes avaient retenti :
— Ca n’est pas vrai, dit le bijoutier.
— C’est faux, dit le marquis.
Or, ces deux protestations 'emanaient, l’une du bijoutier Chamb'erieux, l’autre du marquis de Tergall…
Et l’infortun'ee Chonchon, baissant la t^ete, se r'ep'etait in petto : la gaffe la voil`a bien. Ah, il n’y manque rien.
Fandor et Juve avaient compris, et malgr'e le s'erieux de la situation, ne pouvaient s’emp^echer de sourire.
Chamb'erieux et le marquis de Tergall s’apostrophaient d'ej`a :
— Qu’avez-vous donc `a dire, monsieur ?
— Et vous-m^eme, monsieur, de quel droit r'epondez-vous lorsqu’on demande `a mademoiselle le nom de son amant ?
Les deux hommes s’arr^et`erent soudain, ils avaient compris l’un et l’autre, et ils s’en prirent `a Chonchon :
— Chonchon, demandait Chamb'erieux, qu’est-ce que cela signifie ? Tu es la ma^itresse du marquis de Tergall ? R'eponds, dis la v'erit'e. Ah, je m’en doutais bien que tu me trompais.
Le marquis de Tergall avait crois'e les bras, furieux il consid'erait la chanteuse, grommelant `a part :
— Parbleu, j’en 'etais s^ur, elle me le cachait, mais elle 'etait la ma^itresse de cet usurier.
Sur un signe de Juve, M. Morel n’avait pas interrompu cette petite sc`ene de m'enage – ou pour mieux dire de faux m'enage – et il esp'erait que de cette discussion allait peut-^etre jaillir la lumi`ere.
Quelques instants auparavant, Juve en effet avait dit `a M. Morel :
— La bague de cette femme est l’un des bijoux vol'es `a l’ H^otel Europ'een. Elle l’ignore 'evidemment, sans quoi elle ne l’aurait pas port'ee de facon ostentatoire. Il faut savoir d’elle quel est le donateur de ce bijou, et puisqu’elle m’a d'eclar'e que c’'etait son amant, 'etant donn'e qu’elle en a deux, il faut l’obliger `a pr'eciser.
Mais non, ce n’'etait ni l’usurier-bijoutier, ni le gentilhomme. M. Morel r'ecapitula :
— La situation me para^it tr`es simple : M lle Chonchon a formellement d'eclar'e que cette bague lui avait 'et'e offerte par son amant. Or, nous venons d’apprendre, de l’aveu m^eme des int'eress'es, que mademoiselle `a deux amants. Je lui repose donc la question : lequel de ces deux messieurs…
Juve l’emp^echa de terminer.
Depuis quelques instants, il 'echangeait des signes avec l’infortun'ee Chonchon.
— Je vous serais tr`es reconnaissant, monsieur le juge, dit-il, de faire sortir pendant quelques instants M. Chamb'erieux et M. de Tergall.
Ils protest`erent `a grand bruit, mais M. Morel s’inclina.
— Je vous en prie, messieurs, n’insistez pas et sortez, leur dit-il. Toutefois, demeurez `a la disposition de la Justice, j’aurai peut-^etre besoin de vous tant^ot.
Baissant la t^ete, Chamb'erieux se retira, suivi du marquis.
Chonchon remercia Juve d’un sourire.
Quant au policier, il expliquait au magistrat :
— Mademoiselle m’a fait signe, il y a un instant, qu’elle avait une r'ev'elation int'eressante `a nous faire, mais qu’elle pr'ef'erait ne pas s’expliquer devant
M. Morel comprenant qu’avec de la douceur on obtiendrait tout ce qu’on voudrait de Chonchon, la regarda d’un air bienveillant.
— Venez aupr`es de moi, mademoiselle, lui dit-il, et ne craignez rien. Vous voyez que nous ne demandons qu’`a arranger les choses, qu’`a vous ^etre agr'eables.
Chonchon ne l’entendait pas de cette oreille :
— Eh bien, merci, vous pouvez me passer de la pommade maintenant et me casser du sucre sur le nez, cela n’emp^eche qu’avec vos sacr'ees questions de tout `a l’heure, vous m’avez brouill'ee avec mes amants, et des amants par le temps qui court, g'en'ereux comme ces types-l`a, ca ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval.
— Ca s’arrangera voyons.
— Non, mais c’est vous qui allez r'eparer la casse ?
Le magistrat redevint s'erieux :
— Voyons, assez plaisant'e. Nous voulons bien avoir `a votre 'egard, mademoiselle, de la condescendance et de la familiarit'e, mais il y a des limites, que l’on ne saurait d'epasser sans porter atteinte au prestige de la magistrature. Maintenant, dites-nous vite comment les choses se sont pass'ees dans la r'ealit'e.
Chonchon se d'ecida `a parler, plus libre, plus confiante d'esormais, depuis qu’on l’avait 'eloign'ee de son couple d’amants.