Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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La chanson termin'ee, Chonchon, avec une parfaite d'esinvolture, se dirigea vers le groupe, serra famili`erement quelques mains, puis son regard tombant sur Fandor :
— Tiens, dit-elle, comment ca va depuis dimanche dernier ?
— Ah ? fit Fandor.
— Ne te frappe pas, si je t’ai dit ca, c’est l’histoire de rigoler. C’est mon habitude de demander aux gens comment c’est qu’ils vont depuis dimanche dernier.
— Tr`es dr^ole, en effet.
— Je ne te connais pas, tu n’es pas d’ici. Qu’est-ce que tu fais ?
— Je… commenca Fandor.
— Non, fit-elle en protestant du geste, ne me le dis pas, je m’en vais le deviner.
Famili`erement, la vedette examinait Fandor :
— Toi, d'eclara-t-elle, tu es un voyageur de commerce.
— Peut-^etre, consenti le journaliste, qui ne tenait pas autrement `a faire conna^itre, pour le moment, son identit'e et sa profession.
— Peut-^etre ? reprit la grosse fille, s^urement m^eme. Ca se voit tout de suite `a ton air et `a ta facon de ramasser les soucoupes pour payer les consommations. Dans quoi es-tu ?
— Tu l’as devin'e r'epliqua Fandor, dans le commerce.
— Parbleu, je le sais bien, mais quel commerce ? La pommade ? l’'epicerie ? les machines `a battre ?
— Ma foi non, r'epliqua Fandor, qui, au hasard r'epondait : je suis dans les draps.
— Eh ben, mon vieux, s’'ecria Chonchon, en tapant un vigoureux coup de poing sur la table, ca doit pas ^etre un m'etier emb^etant que de vivre dans les draps, surtout si on n’y couche pas tout seul.
Et, effront'ement, la grosse fille clignait de l’oeil en regardant Fandor.
Le journaliste 'etait de plus en plus stup'efait, surpris.
Cette cr'eature 'etait assur'ement la plus stupide et la plus vulgaire qu’il e^ut jamais rencontr'ee. Vraisemblablement, elle devait ^etre bonne fille avec sa grosse face blonde, toute peinturlur'ee, ses cheveux teints comme une perruque, mais elle devait ^etre bonne fille `a la mani`ere des oies, trop b^etes pour imaginer la moindre m'echancet'e.
'Eclips'ees par la diva, les deux petites femmes `a qui Fandor avait galamment offert une consommation s’'etaient discr`etement retir'ees et le gros Marius lui-m^eme, qui, pourtant ne brillait pas par le tact, avait jug'e d'elicat, quelques instants apr`es, de s’en aller aussi.
'Evidemment, le nouveau venu qui payait si largement les ap'eritifs, et Chonchon la vedette allaient avoir `a causer de choses qui ne regardaient pas les camarades.
Boum-Voil`a en eut rapidement, d’ailleurs, la confirmation.
Il 'etait all'e r^oder aupr`es du couple compos'e de Fandor et de Chonchon. Il revint quelques instants apr`es `a l’office, et d’un air d'edaigneux, annonca au patron :
— Voil`a d'ej`a qu’ils discutent d’un rendez-vous.
M. Jules haussa les 'epaules.
Fandor, en effet, avait `a br^ule-pourpoint, pos'e la question d'ecisive `a Chonchon :
— Alors, avait-il dit, quand soupons-nous tous les deux ? Demain ? apr`es-demain ?
La bonne grosse figure de Chonchon devint tout d’un coup s'erieuse. Il ne s’agissait plus de plaisanter :
— Ma foi, dit-elle, ce serait avec plaisir, mais demain j’ai mon ami.
— Ah, fit Fandor d'epit'e, il n’y a pas moyen de le l^acher ?
— Oh, s’'ecria Chonchon tr`es choqu'ee, vous n’y pensez pas.
— Et apr`es-demain ? poursuivit Fandor.
— Apr`es-demain, c’est la m^eme histoire. J’ai mon amant.
— Votre ami ? votre amant ? interrogea Fandor, n’est-ce donc pas le m^eme ?
— Vous ^etes trop curieux.
Fandor prit la main de la jeune femme.
— Alors, dit-il, ce sera entendu pour ce soir.
Le journaliste esp'erait que devant son attitude d'ecid'ee, la chanteuse allait c'eder. 'Evidemment, Chonchon 'etait tr`es ennuy'ee d’opposer un refus aux demandes si flatteuses de son compagnon de rencontre.
— Je suis d'esol'ee, avoua-t-elle sinc`erement, mais justement, ce soir, j’ai un rendez-vous et…
— Alors zut, grommela Fandor, qui, faisant mine d’^etre tr`es vex'e, se leva brusquement.
Chonchon le rattrapa par le bras :
— Vous f^achez donc pas, apr`es tout, cela pourrait peut-^etre s’arranger. 'Ecoutez. Je ne vous promets pas absolument pour ce soir, parce que, comme je vous l’ai dit, j’ai d'ej`a un rendez-vous avec quelqu’un, mais je ne connais pas plus que ca cette personne, et si des fois c’'etait une blague, qu’elle ne vienne pas, eh bien, nous pourrions passer la soir'ee ensemble. Venez toujours au spectacle, vous m’applaudirez, et puis, on se verra avant minuit et on d'ecidera de ce qu’il y a `a faire.
***
Fandor, `a sept heures et demie, errait seul et d'esempar'e, dans les rues du Mans.
Il avait rendez-vous sans avoir rendez-vous, il 'etait oblig'e d’aller passer la soir'ee `a ce caf'e-concert qui ne l’int'eressait que m'ediocrement, et il n’'etait pas s^ur de pouvoir finir utilement sa soir'ee en interrogeant, comme il en avait l’intention, la fameuse Chonchon, sur ses relations avec Chamb'erieux. Car c’'etait l`a le but que se proposait Fandor.
Machinalement, Fandor s’'etait arr^et'e devant une boutique brillamment illumin'ee et consid'erait `a travers la glace un assortiment superbe de fleurs de luxe.