Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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— Si j’'etais galant, se dit le journaliste, j’entrerais dans ce magasin et je marcherais de vingt francs pour envoyer `a ma future conqu^ete une corbeille de fleurs !
Le journaliste entra dans le magasin. Une petite employ'ee vint au-devant de lui :
— Sapristi, pensa Fandor, en voil`a une qui est rudement plus gentille que la grosse Chonchon. Qu’elle va me trouver b^ete de faire de semblables d'epenses pour un pareil tableau.
Fandor fit part `a la vendeuse de ses intentions.
— Veuillez dire `a la caisse, monsieur, conclut celle-ci avec un gracieux sourire l’adresse de la personne `a qui il faut porter ces fleurs.
Fandor se rapprochait du bureau o`u tr^onait une majestueuse personne, et `a la mani`ere d’un 'ecolier en faute, il balbutia :
— C’est pour M lle Chonchon.
Mais la caissi`ere s’arr^eta interdite : au moment o`u Fandor, plac'e `a sa droite, venait de lui nommer la destinataire du bouquet, un autre acheteur s’approchait d’elle du c^ot'e gauche et d’une voix nette articulait :
— Les fleurs que je viens d’acheter sont destin'ees `a M lle Chonchon.
Les deux hommes s’'etaient entendu donner leurs ordres respectifs.
Ils lev`erent les yeux, se regard`erent et demeur`erent un instant interloqu'es.
Puis, `a l’ahurissement de la caissi`ere et de la vendeuse, ils d'epos`erent simultan'ement un louis sur le comptoir, et confirmaient pour ainsi dire ensemble, leurs instructions :
— C’est pour M lle Chonchon, de l’ Alcazar, avait r'ep'et'e Fandor.
Et l’autre client avait r'ep'et'e lui aussi :
— `A l’ Alcazar, pour M lle Chonchon.
Imperturbable, la caissi`ere, dont la main tremblait cependant un peu – car elle 'etait d'esol'ee de cette co"incidence f^acheuse, qui faisait se rencontrer au m^eme moment, devant elle, deux adorateurs de la chanteuse – nota l’adresse.
Lorsqu’elle releva le nez, les deux clients avaient disparu, mais ils n’'etaient pas loin, et, tous deux, dans la rue, dissimulaient mal un inextinguible rire.
— Fandor.
— Juve.
— Eh bien, mon petit Fandor, je t’y pince `a envoyer des bouquets `a des chanteuses de beuglant.
— Je vous conseille de parler. N’essayez pas de dissimuler, Juve. Je constate que vous ^etes en train de vous plonger dans la plus sombre d'ebauche. Est-ce raisonnable de la part d’un homme de votre ^age, de faire de semblables folies ?
— Soit, conclut le policier, allons d^iner ensemble. J’ai deux heures `a te consacrer, apr`es, je te quitterai.
— Juve, s’'ecria Fandor, vous me quitterez peut-^etre, mais moi, je ne vous l^ache pas. J’ai besoin de savoir comment vous allez passer votre nuit.
— Gros malin, tu t’en doutes peut-^etre.
— Parbleu, Juve, si je m’en doute. Vous avez invit'e Chonchon `a souper.
Juve sourit :
— Et apr`es tout, pourquoi pas ? Mais comment diable le sais-tu ?
— Je le sais, r'epliqua le journaliste, parce que je l’ai moi-m^eme invit'ee et qu’elle viendra avec moi, si elle ne vient pas avec vous.
— `A moins que…
Les deux hommes se regard`erent en riant :
— `A moins que, reprirent-ils l’un et l’autre, nous soupions tous les trois ensemble.
9 – CHONCHON ET SES AMANTS
M. Morel, juge d’instruction `a Saint-Calais, 'etait un homme pacifique et paisible, qui n’aimait pas les 'emotions, cela tenait, comme il le disait lui-m^eme, `a ce qu’il avait le coeur d'elicat et `a ce fait 'egalement qu’il commencait `a ^etre d’un ^age o`u les passions humaines et leurs cons'equences ne font plus sur nous qu’une impression tr`es superficielle.
M. Morel allait ^etre bient^ot remplac'e. Sur sa demande, on liquidait sa retraite, on lui cherchait un successeur et il n’en 'eprouvait pas d’amertume. Bien au contraire. Respectueux toutefois de son devoir, et r'esolu `a le remplir avec la plus parfaite correction, sinon avec le plus grand enthousiasme, jusqu’`a l’heure du repos, M. Morel cependant ne n'egligeait rien de ses affaires. Et c’est pour cette raison que ce matin-l`a, d`es huit heures moins le quart, on le vit dans les rues de Saint-Calais, se rendant `a petits pas au palais de justice.
Un pli barrait son front. M. Morel 'etait soucieux. Ses pr'eoccupations 'etaient n'ees depuis le jour du vol de bijoux, commis `a l’ H^otel Europ'een.
Ce jour-l`a, pr'ecis'ement, M. Morel pr'evoyait une grosse matin'ee, car il avait convoqu'e `a son cabinet, pour compl'ement d’enqu^ete, le bijoutier Chamb'erieux, le marquis de Tergall et l’abb'e Jeandron.
M. Morel, en arrivant au Palais de Justice, fut assez 'etonn'e de ne pas trouver son fid`ele greffier en train d’'epousseter la banquette sur laquelle attendaient d’ordinaire les personnes cit'ees par le magistrat.
— Suis-je donc tr`es en avance ? se demanda M. Morel, qui savait son greffier homme exact.
Mais, l’'etonnement de M. Morel devait s’accro^itre de plus en plus, et quelques secondes apr`es, le magistrat demeura fig'e de stup'efaction `a l’entr'ee de son cabinet.
Dans le petit salon qui attenait au bureau dans lequel se tenait d’ordinaire le magistrat, r'egnait un grand d'esordre et un tapage 'epouvantable. M. Morel s’avanca et constata que, dans la pi`ece, se trouvaient, `a c^ot'e du procureur g'en'eral, deux inconnus qui s’occupaient activement `a ranimer une jeune femme 'evanouie gisant sur le canap'e.