Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— Pardon, madame, faisait-il.
— Excusez-moi, monsieur.
— S’il vous pla^it, mademoiselle ?
Quand il arriva `a la porte du palace, quand il sortit par le grand trottoir de la place Vend^ome, Th'eodore eut une exclamation de rage sourde : il n’apercevait plus ni Alice Ricard ni son compagnon.
— Mon Dieu, murmura le pauvre garcon, je parie que je ne vais plus les retrouver.
Il courut cependant jusqu’`a la rue de la Paix, et l`a, poussa un soupir de satisfaction.
— Ah j’ai eu peur ! constatait-il.
Devant lui, `a une centaine de m`etres, Alice Ricard, appuy'ee au bras de l’inconnu, regardait la devanture d’une bijouterie.
— Que vont-ils faire ? pensa Th'eodore. J’imagine bien qu’elle va le quitter.
Mais tous ses pressentiments devaient ^etre ce jour-l`a contrecarr'es par les 'ev'enements.
Deux minutes plus tard, le couple appelait un fiacre et le vieux monsieur, rest'e debout dans la voiture, expliquait un itin'eraire au cocher.
Th'eodore n’h'esita pas.
— J’en aurai le coeur net, disait-il. Je saurai o`u ils vont.
Th'eodore appela lui aussi une voiture et commanda :
— Suivez le fiacre que vous voyez l`a-bas. Suivez-le de loin, par exemple. Je ne veux pas ^etre reconnu des personnes qui s’y trouvent.
— Ca va, jeune homme, acceptait le cocher, qui sourit avec complaisance cependant que Th'eodore, rouge de confusion, furieux, se rejetait sur les coussins.
L’un derri`ere l’autre, les deux 'equipages tourn`erent la place Vend^ome, prirent la rue de Rivoli, travers`erent la place de la Concorde.
— O`u vont-ils ? O`u vont-ils donc ? se demandait Th'eodore. C’est inimaginable, `a la fin.
Sa jalousie, d’ailleurs s’att'enuait `a ce moment ; le fils de M Gauvin trouvait ses premi`eres suppositions stupides.
Parbleu, il n’'etait pas possible que ce vieux monsieur f^ut l’amant de sa belle, c’e^ut 'et'e monstrueux ; non, c’'etait un ami, rien qu’un ami.
Le doute, toutefois, reprit Th'eodore de facon angoissante au moment o`u la voiture, contournant l’Arc de Triomphe, descendait au pas l’avenue du Bois.
— Ils vont faire le tour du lac, jugea Th'eodore. C’est pourtant une promenade d’amoureux.
Et, la rage au coeur, il remarqua que les deux personnages qu’il suivait semblaient causer fort gaiement. Alice Ricard riait aux 'eclats, son compagnon se penchait `a tous moments sur elle et lui parlait `a l’oreille.
— O`u vont-ils ? se r'ep'etait quelques instants plus tard Th'eodore, voyant, de son fiacre, la voiture poursuivie prendre la gauche et tourner par l’avenue Malakoff.
Au m^eme moment, son cocher l’interrogeait :
— Je suis toujours, n’est-ce pas ?
— Toujours, allez !
Et, `a part lui, le jeune homme songeait qu’il avait eu beaucoup de chance de rencontrer un cocher habile, un cocher qui savait prudemment garder ses distances, demeurer `a cent m`etres et cependant ne pas perdre la piste.
Place Victor-Hugo, les deux voitures tourn`erent, se dirigeant `a nouveau vers l’'Etoile. Elles trott`erent longtemps avenue des Champs-'Elys'ees, puis enfin le coup'e de Th'eodore s’arr^eta brusquement.
— Faut-il que j’avance ? demandait le cocher. Ils sont arr^et'es.
Th'eodore, `a ce moment, p^alit de rage. La voiture poursuivie avait tourn'e place de la Madeleine, elle s’'etait immobilis'ee devant l’une des grandes brasseries de la rue Royale.
— Mon Dieu, supposa Th'eodore, j’imagine pourtant bien qu’ils ne vont pas d^iner ensemble ?
Mais, une fois encore, Th'eodore tressaillit.
Il paya son cocher en effet, passa devant la taverne o`u s’'etaient install'es la jeune femme et son compagnon et il les apercut, assis devant une table, commandant un menu au ma^itre d’h^otel empress'e.
— J’attendrai, pensa Th'eodore.
Il s’assit `a la terrasse d’un caf'e voisin, commanda un bock, patienta.
Th'eodore patienta deux heures.
`A neuf heures seulement, Alice Ricard, au bras de son compagnon, sortit du restaurant et monta dans une voiture arr^et'ee par le chasseur de l’'etablissement.
Th'eodore serra les poings mais, une fois encore, s’ent^eta.
— Je saurai o`u ils vont ! D’ailleurs, maintenant, il faut bien qu’il la quitte.
Le jeune homme prit un taxi-auto ferm'e, enjoignit `a son cocher de suivre.
Mais dix minutes plus tard, la col`ere du fils de M e Gauvin 'etait indescriptible. Bl^eme, tremblant, Th'eodore venait alors de renvoyer son taxi-auto. Il faisait maintenant les cent pas rue Richer, devant une maison de modeste apparence, o`u Alice Ricard et son compagnon venaient de p'en'etrer.
— Assur'ement, c’est l`a qu’habite le vieux monsieur, car enfin Alice Ricard n’a pas d’appartement `a Paris, puisqu’elle descend toujours, elle me l’a r'ep'et'e, `a l’h^otel Terminus.
Il marcha de long en large, obstin'e, plus de trois quarts d’heure sur le trottoir oppos'e.
Th'eodore, `a ce moment, souffrait le martyre. Il restait l`a, avec la conviction profonde qu’Alice Ricard allait, d’une minute `a l’autre, r'eappara^itre pour regagner son h^otel.
Il la rejoindrait alors, et il saurait d’elle ce qu’il voulait savoir, ce qu’'etait ce vieux monsieur. Mais en fait, Alice Ricard ne sortait nullement de la maison.
Or, Th'eodore s’obstinait. Il ne voulait plus songer `a ce que pouvait faire la jeune femme dans cette maison. Il se rendait compte qu’il fallait tout supposer et tout craindre, cela lui causait vraiment un r'eel chagrin.