Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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Th'eodore, fid`ele `a son plan, ne leva pas la t^ete de dessus le manuel jusqu’`a trois heures et demie.
`A ce moment, comme M e Gauvin n’'etait toujours pas de retour, Th'eodore jugea les pr'ecautions inutiles.
— Zut, marmotta-t-il, zut pour ceux qui s’occuperaient de moi maintenant.
Et avec une h^ate f'ebrile, il bondit dans sa chambre, bouleversa ses tiroirs, s’emparant d’un col propre, d’une cravate neuve, changeant de veston, soignant la raie de sa chevelure, se campant devant la glace pour v'erifier le bon ordre de sa tenue.
`A quatre heures moins vingt, il descendit l’escalier de la maison, et sursauta en se trouvant nez `a nez avec la vieille Eulalie.
— Seigneur J'esus ! s’'ecriait la servante. Comme vous descendez vite, monsieur Th'eodore, et o`u donc courez-vous comme cela ? Vous allez vous mettre tout en nage !
Th'eodore fut sur le point de temp^eter. Il se contint cependant et r'epondit avec bonne humeur :
— Bah, voyez-vous, Eulalie, j’en avais assez de travailler. L’immobilit'e, moi ca me p`ese, mais j’ai tout de m^eme fini ce que j’avais `a faire. Si papa rentre, vous lui direz que j’ai 'et'e passer la fin de la journ'ee chez Victor. M^eme, si papa vous le demande, vous lui direz que sans doute je resterai coucher au ch^ateau des Ifs.
Et sans donner d’autres explications, Th'eodore ouvrait la porte, se jetait dans la rue, prenait sa course vers la gare.
« Bon sang, je vais manquer mon train, pensa-t-il.
Il n’avait pas fait vingt m`etres qu’une voix bien connue, famili`ere, le h'elait :
— Th'eodore, Th'eodore, o`u vas-tu ?
Th'eodore s’immobilisa net et devint bl^eme.
Il se trouvait en face de son p`ere qui rentrait enfin et bien mal `a propos.
En un instant, le jeune homme imagina les pires catastrophes. N’allait-il pas ^etre oblig'e de retourner `a la maison ? Son p`ere ne trouverait-il pas devant lui le tiroir fractur'e ? Que dire ? Que faire ?
— Papa, r'epondit Th'eodore d’un ton de voix qui lui semblait 'etrange, tremblant, et qui cependant 'etait le ton ordinaire de sa voix, papa, j’ai fini tout mon travail, et si vous me le permettez, je vais me rendre chez mon ami Victor. J’ai l’intention de coucher au ch^ateau car je sais que demain Victor prend une r'ep'etition avec son professeur de math'ematiques et je voudrais lui demander l’explication d’un th'eor`eme de g'eom'etrie que je ne comprends pas.
M e Gauvin, fort 'eloign'e, bien entendu, de soupconner les intentions v'eritables de son fils, de deviner le mensonge qui lui 'etait fait, interrogea simplement :
— Tu as fini tout ton travail ?
— Oui, p`ere.
— Va alors. Mais si tu reviens demain matin, fais en sorte d’^etre l`a pour onze heures. Tu sais que tu as toi-m^eme une r'ep'etition.
Th'eodore inclina la t^ete en signe d’assentiment, et, sans demander son reste, reprit sa course.
Il en 'etait quitte d’ailleurs pour allonger un peu son chemin.
Ne voulant pas risquer que M e Gauvin s’aperc^ut de la direction qu’il prenait, il tournait sur la droite comme s’il e^ut eu r'eellement l’intention de se rendre chez son ami Victor.
Cent m`etres plus loin, par exemple, il se faufilait par une ruelle en prenant garde d’^etre vu et rejoignait la route de la gare.
Th'eodore avait peur d’^etre en retard ; il fr'emissait `a la pens'ee qu’il pourrait manquer le rapide. Cela prouvait tout simplement son impatience, car il arrivait `a quatre heures moins dix `a la petite station de Vernon.
Le jeune homme prit h^ativement son billet, payant avec l’or d'erob'e `a son p`ere, puis, toujours pour 'eviter de se faire reconna^itre en attendant le train, il se promena au bout du quain du c^ot'e des signaux, l`a o`u personne ne passait.
***
Deux heures plus tard, Th'eodore 'etait `a Paris.
Le jeune homme arriva dans la capitale, fort nerveux, et de plus en plus troubl'e. Il avait naturellement consacr'e le temps du trajet `a r^ever `a ses projets.
Il s’'etait vu en compagnie d’Alice Ricard, lui faisant la cour et la touchant enfin, gr^ace `a des protestations enflamm'ees de d'evouement.
Anxieusement aussi, il s’'etait demand'e s’il retrouverait bien la jeune femme, si le hasard le favoriserait et l’aiderait `a la d'ecouvrir.
Th'eodore, en effet, passait par des alternatives de confiance et d’abattement.
Sur quel indice vague 'etait-il parti `a Paris ?
Il savait tout juste, pour l’avoir entendu dire `a Alice, que la jeune femme allait souvent au th'e du Korton, place Vend^ome. Mais 'etait-ce bien la v'erit'e ?
`A peine d'ebarquait-il `a la gare Saint-Lazare, cependant, que Th'eodore courait chez une fleuriste, achetait une boutonni`ere qu’il payait royalement, intimid'e par le luxe d’une boutique toute en marbre blanc, puis sautait dans un fiacre, jetant l’adresse :
— Au Korton, place Vend^ome.
Il 'etait six heures vingt, lorsque le fils de M e Gauvin p'en'etrait dans les salons de th'e.
Ils 'etaient naturellement remplis d’une foule 'el'egante de jeunes femmes assises sur de moelleux fauteuils, et flirtant audacieusement avec de galants cavaliers, jeunes gens allant et venant, 'echangeant des poign'ees de main, jetant des coups de chapeau h^atifs, d'evisageant les 'el'egantes, et enfin, de loin en loin, se d'ecidant `a prendre place aupr`es d’une belle, affectant une grande surprise `a la trouver l`a, alors que le plus souvent la rencontre 'etait le fait d’un rendez-vous laborieusement mis au point.
Th'eodore avait maintes fois fr'equent'e de semblables 'etablissements.
Il n’'etait nullement intimid'e par la foule, mais en revanche, il 'etait fort anxieux. Le coeur battant, bousculant un peu ceux qu’il rencontrait, car il voulait vite parcourir les salons, cherchant de tout c^ot'e, Th'eodore traversa une enfilade de petites salles sans d’abord apercevoir qui il cherchait. C’'etait au moment o`u il p'en'etrait dans le dernier des salons, celui-l`a o`u les hommes avaient licence de fumer, que Th'eodore sursautait.