Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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Maintenant, il regardait le tiroir-caisse du bureau et il se r'ep'etait :
« Il y a de l’argent l`a-dedans. »
Un lent travail se fit alors dans son cerveau. Th'eodore Gauvin apercut devant lui la vision charmante de la jolie Alice Ricard, elle prenait le train, elle s’en allait vers Paris. Qu’allait-elle y faire ?
La pens'ee de la jeune femme se m^elait avec le sentiment de son manque d’argent.
« Ah, si maman vivait, soupira Th'eodore, bien s^ur elle ne me refuserait pas les cent francs dont j’ai besoin. »
Mais M me Gauvin 'etait morte depuis deux ans, et elle seule, 'evidemment, e^ut satisfait les caprices de son fils unique, de ce Th'eodore qu’elle avait passionn'ement ch'eri. Que faire ? Longtemps Th'eodore h'esita, puis une r'esolution soudaine le transfigura.
— Tant pis, murmura-t-il, on croira ce que l’on voudra.
Th'eodore s’agenouilla derri`ere le bureau de son p`ere. Il essaya successivement d’ouvrir le tiroir-caisse avec diff'erentes cl'es qu’il portait dans sa poche.
Aucune ne faisait jouer la serrure.
— Tant pis ! r'ep'eta encore le jeune homme.
Et cette fois, Th'eodore n’h'esita plus. Il courut `a la chemin'ee, il prit une pelle, dont le manche en fer forg'e pouvait faire office de levier.
Th'eodore Gauvin, introduisit la lame de l’instrument dans la ramure du tiroir.
La besogne qu’il s’efforcait d’accomplir 'etait malais'ee, d'elicate, mais il s’acharnait `a la r'eussite.
Un quart d’heure, le jeune homme fit effort, puis, enfin, il poussa une exclamation de triomphe.
Th'eodore venait de r'eussir `a engager la pelle dans la rainure du tiroir. Il venait de faire sauter le placard d’acajou. Le surplus de la besogne 'etait ais'e.
Sans grande peine, Th'eodore achevait son cambriolage.
Un violent coup de talon arrachait la serrure, le tiroir s’ouvrait.
Th'eodore, alors, d’un geste enfi'evr'e, fouillait dans le tiroir ouvert. Il y avait l`a une liasse de billets de banque.
— Riche affaire, murmurait-il, les yeux exorbit'es, une rougeur au front. Dix-huit billets de cent francs. Oh, je pourrai lui acheter une jolie bague !
Le fils du notaire, le voleur, sortit avec pr'ecaution du cabinet de travail.
« On ne m’a pas vu, se disait-il.
Au m^eme moment, dans l’'etude, deux clercs s’esclaffaient en compagnie du caissier Robert Jollet.
— Croyez-vous, disait le troisi`eme clerc en levant les bras au ciel, quelle crapule, que ce garcon-l`a !
— Quel mis'erable ! r'ep'eta l’autre clerc.
Pour le caissier, il affectait un air atterr'e :
— Surtout, recommandait-il, pas un mot l`a-dessus, le scandale serait abominable, naturellement, mes amis. Je vous ai pr'evenus. Je vous ai fait venir pour qu’il y ait des t'emoins de la chose. Vous comprenez, j’ai voulu me mettre `a couvert d’une accusation, mais ce n’est pas une raison.
— C’est abominable, r'ep'etaient d’une m^eme voix les deux clercs.
Et l’un d’eux demandait encore :
— Qu’est-ce que vous allez faire ? Pr'evenir le papa ?
— Je n’en sais trop rien, r'ep'etait le caissier. Ah, c’est bien une triste affaire. J’ai peur qu’une nouvelle pareille, ca ne le tue sur le coup. Un garcon de cet ^age-l`a, se conduire ainsi, c’est inimaginable, et cela peut vous faire craindre pour l’avenir. Mon Dieu, que je suis donc ennuy'e !
Mais, en m^eme temps qu’il disait cela, le sournois ricanait et paraissait au comble de la satisfaction.
3 – JALOUX
Th'eodore sortit du cabinet de travail de son p`ere `a la facon d’un v'eritable voleur. Fort 'eloign'e de penser que le caissier et les clercs de l’'etude avaient 'et'e t'emoins de son larcin, il r'efl'echissait qu’il ne viendrait, `a coup s^ur, `a l’id'ee de personne de le soupconner, et, qu’en cons'equence, il pouvait esp'erer la plus tranquille et la plus d'efinitive impunit'e.
Le coeur pourtant lui battait. Th'eodore n’avait jamais commis d’acte aussi bas, aussi ignoble que celui-l`a. Il n’appartenait pas `a la cat'egorie de ces jeunes gens qui traitent pareille chose de peccadille, il en comprenait au contraire toute la gravit'e et toute l’infamie, mais la passion 'etait `a ce moment plus forte que la conscience.
Rentr'e dans sa propre salle de travail, Th'eodore se rassit devant son bureau et se prit `a songer.
— On n’accusera certainement pas quelqu’un de l’'etude, on n’accusera pas non plus la vieille bonne, on ne m’accusera pas davantage. En somme, personne ne se doutera, ne pourra se douter de la v'erit'e.
Mais il n’'etait toutefois pas tranquille lorsqu’`a midi et demie la vieille Eulalie, qui 'etait depuis dix ans au service de son p`ere, vint le chercher pour d'ejeuner.
Sournois cependant, Th'eodore fit bonne mine aux questions et au bavardage de la domestique.
Il d'ejeuna vite. L’air de la maison paternelle lui paraissait 'etouffant.
Dans sa pens'ee, il revoyait perp'etuellement la sc`ene du matin, la sc`ene heureuse qu’il avait eue avec Alice Ricard, il songeait au baiser 'echang'e, et plus encore, il pensait que si tout allait bien, si tout se d'eroulait selon ses d'esirs, il serait le jour m^eme `a Paris, en t^ete `a t^ete avec celle qu’il aimait de toute son ^ame.
Th'eodore se leva de table `a une heure un quart.
Il ne fallait pas songer, il le comprenait, `a partir imm'ediatement, cela e^ut donn'e l’'eveil. M e Gauvin obligeait son fils `a travailler chaque jour jusqu’`a quatre heures. Il resterait donc tranquillement jusqu’`a ce moment dans sa salle de travail. M^eme, il feindrait une application soutenue, de facon `a pouvoir s’en aller `a quatre heures moins le quart, pr'etendant avoir fini sa t^ache, et courir `a la gare pour l’express de quatre heures qui l’emm`enerait vers Paris.