Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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Le journal lu, Fernand Ricard, cette fois, jeta la feuille :
— `A Paris, d'eclara-t-il, sur les boulevards, tout le monde en parle. D’heure en heure, il y a des 'editions sp'eciales, c’est une vraie r'evolution !
— Cela se comprend, ripostait M e Gauvin. Il y a des moments pour moi, je l’avoue, o`u, en pensant `a Fant^omas, j’'eprouve le d'esagr'eable petit frisson de la peur. Il est d’ailleurs inadmissible, 'etant donn'e les imp^ots tous les jours accrus, que la police ne soit pas assez puissante pour arr^eter ce monstre.
Et le notaire se lancait dans des dissertations complexes que Fernand Ricard 'ecoutait, ou du moins feignait d’'ecouter.
Au m^eme moment, Th'eodore se pencha vers sa voisine et, tendrement, lui murmura :
— Vraiment, disait-il avec un enthousiasme un peu enfantin, je voudrais me trouver un jour en face de Fant^omas. Tenez, j’aimerais qu’il s’attaqu^at `a quelqu’un qui me f^ut cher, `a une femme que j’adorerais. Alors, madame, je vous assure, on verrait ce que peut l’amour, car je suis persuad'e que j’aurais la victoire.
— Vous ne doutez de rien, ripostait Alice. Moi j’aime mieux ne jamais rencontrer cet effroyable bandit sur ma route.
— M^eme si c’'etait moi qui devait vous d'efendre ?
Alice Ricard eut un sourire 'enigmatique.
— Ah ca, dit-elle, c’est une d'eclaration que vous me faites ?
Th'eodore Gauvin allait r'epondre lorsque le notaire enfin se leva :
— Mon fils, appelait-il, je crois qu’il est v'eritablement l’heure que nous nous retirions. M me Ricard nous avait offert de nous reposer quelques instants, et voil`a pr`es d’une heure que nous l’importunons, il faut que nous rendions cette visite.
— Vous n’^etes pas press'es, protestait Fernand Ricard. Voyez comme il fait chaud encore, attendez donc. Vous ne refuserez pas un verre de bi`ere ?
— Si, si, nous refuserons, affirma le notaire. D’ailleurs, vous devez avoir `a travailler, monsieur Ricard, je sais que vous ^etes actif et que vos affaires vous occupent 'enorm'ement. Vous ^etes content ?
— Assez, oui. Par exemple, que de soucis, que de tracas. Le public se figure que les courtiers gagnent leur vie `a ne rien faire. Eh bien, il se trompe lourdement. L’interm'ediaire a, je vous assure, ma^itre Gauvin, plus de mal que le producteur. La chasse aux clients est la plus dure de toutes les chasses. Tenez, croyez-vous qu’il est amusant, par le temps qu’il fait, et alors qu’il serait si bon de rester oisif, d’^etre toujours `a courir `a droite et `a gauche ? Demain, il faut que je parte pour Le Havre.
`A ces mots, Th'eodore Gauvin se rapprocha.
— Vraiment ? demandait le jeune homme, vous ^etes oblig'e d’aller au Havre ? Vous vous absentez pour longtemps ?
— Non, trois ou quatre jours. Mais c’est d'ej`a bien suffisant. Je prendrai demain l’express de dix heures, et j’imagine que je rentrerai chez nous vendredi. Ah que voulez-vous, les affaires sont les affaires.
— Bien entendu.
Et, s’inclinant devant Alice Ricard, M e Gauvin reprit :
— Madame, je d'epose mes hommages `a vos pieds et je rends gr^ace une fois encore `a votre amabilit'e.
Puis, il serra les mains de Fernand Ricard :
— Au revoir, mon cher !
Or, tandis que le tabellion, en compagnie du courtier en vins, s’acheminait `a petits pas vers la grille du jardin, Th'eodore saluait aussi la belle Alice :
— Merci, dit-il avec une gravit'e qui e^ut 'et'e comique si sa jeunesse ne l’e^ut rendue excusable, merci de nous avoir fait signe tout `a l’heure. Les instants pass'es pr`es de vous, madame, sont les plus heureux de ma vie. Vous m’aiderez `a les multiplier, vous me permettez de vous en exprimer ma gratitude, pour tout cela, pour tout ce bonheur, merci, merci encore !
Quelques instants plus tard, Alice Ricard et son mari, ayant pris cong'e de leurs visiteurs, retournaient s’installer sous la tonnelle o`u 'etait encore le service `a caf'e.
— Eh bien ? interrogeait Alice.
— Eh bien ? r'epondait Fernand.
Et, sans avoir ajout'e d’autres mots, il semblait que le mari et la femme s’'etaient compris.
— Tu es donc d'ecid'e ? reprenait Alice.
— Absolument d'ecid'e.
— J’ai tressailli quand tu as annonc'e ton d'epart.
— Bah, il fallait en finir !
Fernand Ricard tira de sa poche un 'etui `a cigarettes, alluma un mince rouleau de tabac, puis, nerveux, d'eclara :
— Il faut en finir ! Vois-tu, ma ch`ere, plus j’y r'efl'echis et plus je m’en apercois. Ce que je gagne n’est rien. Dans le train, j’ai encore refait mes comptes. Les courtages me rapporteront cette ann'ee trois mille cinq cents tout au plus. Avec les quinze cents francs de rente de ta dot, ca nous fait tout juste cinq mille francs en tout et pour tout. Eh bien, oh ne peut pas vivre avec cinq mille francs.
— Non, on ne peut pas vivre avec cinq mille francs. Tu as raison, on ne peut pas vivre, du moins de la facon dont nous voulons vivre.
— Et qui n’est pas exag'er'ee, interrompit le courtier. Sapristi, j’en ai assez, moi, de fumer des cigarettes `a cinquante centimes, de porter des vestons us'es jusqu’`a la corde, de voyager en seconde classe, quand ce n’est pas en troisi`eme, d’'economiser sur tout, de me priver de tout.
— Et moi ? Crois-tu que je ne sois pas exc'ed'ee par notre existence de mis'erables. Tu ne te rends pas compte des prodiges que je dois r'eussir. Je suis contrainte de me passer de tout ! Et encore ce n’est rien ca, mais vraiment je suis mise comme une pauvresse, mes robes me font un an, je n’ai pas un bijou.
Fernand Ricard, sur ces mots se leva. Il s’approcha de sa femme et la regardant bien dans les yeux :
— Tu vois, disait-il, que tu es de mon avis, il faut en finir.
Mais, `a ces paroles, Alice Ricard fronca le sourcil et se tut.
— C’est que j’ai peur, dit-elle enfin. Si jamais nous 'etions pris.
— Bah, en faisant attention, nous ne serons pas pris. D’abord, il n’y a que les imb'eciles qui se font pincer. Et puis m^eme, veux-tu que je te dise ?