Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— En effet, dit le jeune homme.
Mais Th'eodore pensait `a tout autre chose. Il retourna pr`es de M me Ricard et demanda :
— Vous serez donc chez vous cet apr`es-midi, sans doute, madame ? Si jamais vous aviez des courses `a faire ou bien un travail, n’importe quoi, enfin, pendant l’absence de M. Ricard, je me mets `a votre disposition.
`A ce moment, dans un grand brouhaha, un bruit de freins serr'es et criant sur ses roues, le rapide du Havre entrait en gare.
— Vite, vite ! dit Fernand Ricard.
Il souleva sa valise, et, suivi de tout le monde, passa sur le quai.
— Surtout, recommanda-t-il `a sa femme, fais attention, ma ch`ere, `a bien fermer la porte `a double tour ce soir. Ne sors pas non plus sur la route sans prendre des pr'ecautions. Les automobiles passent si vite devant notre maison que j’ai toujours peur d’un accident !
— Ne te fais donc pas de mauvais sang, dit-elle. Ne t’inqui`ete aucunement. Je resterai chez moi bien tranquille, je ne sortirai m^eme pas.
— Mais, je ne t’en demande pas tant, ma ch`ere Alice ! Seulement, sois prudente.
`A quelques pas de l`a, pr'ecis'ement, le chef de gare causait avec l’un des gros rentiers de Vernon, arriv'e par le train de Paris.
— Comme ils sont gentils, disait l’honorable fonctionnaire. Vraiment il n’y a pas de m'enage plus uni dans toute la ville. Chaque fois que M. Ricard s’en va, sa femme l’accompagne jusque sur le quai, et ce sont des recommandations sans fin. Vous entendez ?
Alice `a son tour, en effet, semblait s’inqui'eter pour son mari :
— Et toi, disait-elle, sois bien prudent aussi. Regarde si la porti`ere est bien ferm'ee. Ah, et puis, ne prends pas froid. J’ai mis des gilets de laine dans le compartiment gauche de la valise.
Apr`es un petit silence, Alice ajouta une recommandation qui faisait tressaillir Fernand Ricard et que cependant, personne ne devait remarquer :
— Surtout sois bien exact, disait la jeune femme. Fais exactement ce que nous avons arr^et'e.
— Entendu.
`A ce moment, les porti`eres claquaient.
— En voiture pour Le Havre ! Allons pressons un peu. En voiture !
— Bonne route, monsieur Ricard, cria encore Th'eodore Gauvin et ne vous faites point de mauvais sang, je vais accompagner M me Alice jusque chez vous.
Il y eut un coup de sifflet bref et strident, un grand bruit de vapeur s’'echappant, des grincements de cha^ine, puis le train s’'ebranla.
— `A dans trois jours ! criait Fernand Ricard.
— Oui, c’est cela. Adieu !
Alice agita un mouchoir jusqu’`a ce que le train ait disparu au lointain de la voie, puis se tourna vers Th'eodore Gauvin :
— Vrai, vous me raccompagnez ? demanda-t-elle, d’un ton de coquetterie charmante.
— Si vous acceptez mon bras ?
Quelques instants plus tard, le jeune homme et la jeune femme s’'eloignaient dans la direction de la ville, non sans avoir 'echang'e quelques paroles avec le chef de gare qui s’informait :
— M. Fernand Ricard s’en va au Havre ? Vraiment, et c’est pour ses affaires ? Eh bien, madame Alice, il ne faut pas vous plaindre. Trois jours sont vite pass'es, que diable !
Th'eodore Gauvin lui, esp'erait bien que ces trois jours seraient longs, tr`es longs.
Et 'etant tr`es jeune, il avait l’audace de ne pas s’en cacher.
— Madame, disait-il en pressant tendrement le bras de sa compagne, savez-vous que j’aurais 'et'e fort ennuy'e si M. Ricard, tout `a l’heure, m’avait demand'e `a jeter un coup d’oeil sur les journaux du matin ?
— Vraiment. Pourquoi donc ?
— Je ne les avais pas achet'es, avoua Th'eodore.
Et, comme M me Ricard feignait d’^etre surprise, le jeune homme reprit :
— Non. D’ailleurs je n’'etais pas venu `a la gare pour chercher les journaux, mais je suis s^ur que cela, vous l’aviez devin'e.
— Pas du tout, ripostait Alice feignant une candeur parfaite. Pourquoi donc 'etiez-vous `a la gare ?
— Pour vous voir ! Je savais que M. Fernand Ricard prenait le rapide de dix heures, je pensais bien que vous alliez l’accompagner, et par cons'equent…
— Achevez donc, vous semblez avoir peur de parler.
— C’est que j’ai peur de vous.
— Et pourquoi ?
— Parce que je vous aime.
— Vous ^etes fou, et je ne vois pas du tout pourquoi vous pr'etendez m’aimer.
— H'elas, disait-il, vous riez toujours, madame, et vous ne voulez jamais m’'ecouter. Pourtant, si vous saviez comme je suis heureux en ce moment.
— Et pourquoi ^etes-vous si heureux ? Parce que vous 'etiez `a la gare ?
La jeune femme 'etait m'echante. Elle s’amusait visiblement `a tourmenter ce jeune et timide amoureux. Th'eodore Gauvin, cependant, 'etait bien loin de s’en rendre compte :
— Oui, c’est pour cela. Ah, j’avais bien combin'e mon affaire, je vous assure. Votre mari partant, j’'etais certain de pouvoir vous raccompagner et d’avoir quelques minutes de t^ete `a t^ete avec vous. Vous ne m’en voulez pas, dites ?
— Pourquoi voudriez-vous que je vous en veuille ?