Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
Шрифт:
— Oh, voil`a une parole gentille, et je vous en remercie. Nous passons par le sentier ?
Et il d'esignait, quittant la grand-route, pour courir `a travers champs, un petit sentier garni de haies d’aub'epines en fleurs, un sentier discret, d'esert, et fort propice aux entretiens passionn'es.
— Acceptez, dites, suppliait-il, cela n’allonge que de cinq minutes.
— Bon, mais que me direz-vous pendant ces cinq minutes ?
— Que je vous adore.
— Et vous le r'ep'eterez tout le temps ?
Toujours mutine, et affectant de traiter son compagnon famili`erement, affectant de le consid'erer comme un enfant, Alice Ricard prit une mine d'esol'ee :
— Ce sera monotone, `a la fin, dit-elle.
— Non, dit-il d’une voix profonde et grave, ce ne sera pas monotone, parce que je vous le dirai de cent mani`eres diff'erentes, et qu’`a la centi`eme fois, peut-^etre, je trouverai moyen de vous le faire comprendre.
Ils avaient tourn'e dans le petit sentier, et, d'esormais, ils cheminaient sous des feuillages qui les rendaient imp'en'etrables au regard.
La certitude o`u il 'etait qu’on ne pouvait pas le voir donna du courage `a Th'eodore Gauvin. Brusquement, il br^ula ses vaisseaux :
— 'Ecoutez, d'eclara-t-il, d’une voix haletante et qui avait peine `a sortir de son gosier, si vous vouliez ^etre gentille, bien gentille, divinement gentille, si vous vouliez me faire le plus heureux des hommes ?
— Mon Dieu, qu’allez-vous me demander ?
— Deux choses, madame.
— Lesquelles ?
— D’abord, je voudrais que vous me laissiez vous embrasser.
— Peste !
— Ensuite que vous m’autorisiez `a passer la journ'ee avec vous. Je dirai `a mon p`ere que je vais rendre visite `a mon cousin au ch^ateau des Ifs, et je serai libre, par cons'equent.
Th'eodore Gauvin, `a ce moment, 'epouvant'e de sa propre audace, osait `a peine lever les yeux.
— Dites, demanda-t-il, exaucez mes pri`eres.
Mais `a ce moment, le sentier tournait brusquement et rejoignait la grand-route `a quelque distance de la maison de M me Ricard.
La jeune femme eut un rire 'enigmatique.
— D’abord, disait-elle, je ne peux pas vous permettre de m’embrasser, ces choses ne se font pas. Vous savez bien, Th'eodore, que je suis une honn^ete femme.
Ayant dit cela, elle s’arr^eta un instant pour cueillir une rose, pensant qu’'evidemment son jeune amoureux allait se passer de la permission demand'ee.
Comme Th'eodore Gauvin, cependant, prenait une mine d'esesp'er'ee, Alice Ricard rit derechef, haussa les 'epaules et se remit `a marcher.
— Ensuite, ajouta-t-elle, je ne peux pas non plus vous autoriser `a passer la journ'ee avec moi.
— Pourquoi, mon Dieu ?
— Parce que je dois aller faire des courses `a Paris.
— `A Paris ? Vous allez `a Paris ? Mais vous avez dit vous-m^eme `a M. Ricard que vous ne sortiriez pas de chez vous ?
— Sans doute, mais cela n’emp^eche rien.
— Qu’allez-vous donc faire `a Paris ?
Alice Ricard eut un 'eclat de rire plus moqueur encore :
— Fi, le vilain indiscret ! Est-ce qu’on demande des choses comme cela ? Mais tant pis, vous avez voulu le savoir, vous le saurez ! Je vais `a Paris pour acheter `a mon mari un cadeau que je lui remettrai lors de son retour. L`a, ^etes-vous content ?
— Oh, c’est cruel, ce que vous m’annoncez l`a. Vous n’auriez pas d^u me le dire.
Et il avait une mine si piteuse que la jeune femme le prit en piti'e :
— Allons, d'eclara-t-elle, ne boudez pas. Si je rentre de bonne heure, demain soir, vous viendrez prendre le th'e avec moi. ^Etes-vous content ?
— Non, je voudrais que vous n’alliez pas `a Paris.
— J’irai pourtant. Allons, embrassez-moi et ne boudez plus.
Elle lui tendit son front et il l’effleura, n’osant donner `a son baiser la voracit'e goulue d’un affam'e d’amour qu’il 'etait, puis joignant les mains :
— Oh, vous ^etes bonne ! Mais vous reviendrez demain, dites ?
— Si vous ^etes sage, oui.
Deux minutes plus tard, l’'epouse du courtier en vins 'etait rentr'ee chez elle et Th'eodore Gauvin, par le sentier tout embaum'e d’aub'epine, regagnait le centre de Vernon.
Le jeune homme naturellement, r^evait. Il 'etait r'eellement amoureux fou de la jolie Alice Ricard et, comme tous les amoureux, comme tous les amoureux tr`es jeunes, du moins, il 'etait incapable de s’apercevoir des moqueries de la jeune femme. Tout ce qu’elle disait lui semblait au contraire exquis, d'elicat, tendre, parfait. Il la jugeait incomparable, aussi bien pour sa beaut'e que pour son coeur.
Dans le sentier, Th'eodore Gauvin, marchant `a pas lents, t^ete baiss'ee, vivait une heure exquise.
— Je l’ai embrass'ee, se disait-il.
Et il avait aux l`evres le go^ut de ce premier baiser qu’il savourait divinement.
Cependant, le fils du notaire e^ut fr'emi s’il avait pu r'eellement conna^itre la femme qu’il aimait et soupconn'e ses intentions.
Th'eodore Gauvin, toutefois, h^ata le pas, arriva chez lui, s’attabla devant des manuels de jurisprudence, car le jeune homme pr'eparait le programme de son baccalaur'eat en droit, dont il devait subir les 'epreuves le mois suivant.