Семь я
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Prenant a ces divers courants quelque chose de leur force sans me pousser sur aucun ecueil, l'attitude en laquelle me fixe votre universelle Presence est une admirable synthese ou se melent, en se corrigeant, trois des plus redoutables passions qui puissent jamais dechainer un Coeur humain.
Comme le moniste, je me plonge dans l'Unite totale, - mais l'Unite qui me recoit est si parfait qu'en elle je sais trouver, en me perdant, le dernier achevement de mon individualite.
Comme le paien, j'adore un Dieu palpable. Je le touche meme, ce Dieu, par toute la surface et la profondeur du Monde de la Matiere ou je suis pris. Mais, pour le saisir comme je voudrais (simplement pour continuer a le toucher), il me faut aller toujours plus loin, a travers et au-dela de toute emprise, - sans pouvoir jamais me reposer en rien, - porte a chaque instant par les creatures, et a chaque instant les depassant, - dans un continuel accueil et un continuel detachement.
Comme le quietiste, je me laisse delicieusement bercer par la divine Fantaisie. Mais, en meme temps, je sais que la Volonte divine ne me sera revelee, a chaque moment, qu'a la limite de mon effort. Je ne toucherai Dieu dans la Matiere, comme Jacob, que lorsque j'aurai ete vaincu par lui.
Ainsi, parce que m'est apparu l'Objet definitif, total, sur lequel est accordee ma nature, les puissances de mon etre se mettent spontanement a vibrer suivant une Note Unique, incroyablement riche, ou je distingue, unies sans effort, les tendances les plus opposees : l'exaltation d'agir et la joie de subir; la volupte de tenir et la fievre de depasser; l'orgueil de grandir et le bonheur de disparaitre en un plus grand que soi.
Riche de la seve du Monde, je monte vers l'Esprit qui me sourit au-dela de toute conquete, drape dans la splendeur concrete de l'Univers. Et je ne saurais dire, perdu dans le mystere de la Chair divine, quelle est la plus radieuse de ces deux beatitudes: avoir trouve le Verbe pour dominer la Matiere, ou posseder la Matiere pour atteindre et subir la lumiere de Dieu.
Faites, Seigneur, que, pour moi, votre descente sous les Especes universelles ne soit pas seulement cherie et caressee comme le fruit d'une speculation philosophique, mais qu'elle me devienne veritablement une Presence reelle. En puissance et en droit, que nous le voulions ou non, vous etes incarne dans le Monde, et nous vivons suspendus a vous. Mais, en fait, il s'en faut (et de combien 1) que pour nous tous vous soyez egalement proche. Portes, tous ensemble, au sein d'un meme Monde, nous formons neanmoins chacun notre petit Univers en qui l'Incarnation s'opere independamment, avec une intensite et des nuances incommunicables. Et voila pourquoi, dans notre priere a l'autel, nous demandons que pour nous la consecration se fasse : "Ut nobis Corpus et Sanguis fiat..." Si je crois fermement que tout, autour de moi, est le Corps et le Sang du Verbe' alors pour moi (et en un sens pour moi seul), se produit la merveilleuse "Diaphanie" qui fait objectivement transparaitre dans la profondeur de tout fait et de tout element, la chaleur lumineuse d'une meme Vie. Que ma foi, par malheur, se relache, et aussitot, la lumiere s'eteint, tout devient obscur, tout se decompose.
Dans la journee qui commence, Seigneur, vous venez de descendre. Helas! pour les memes evenements qui se preparent, et que nous subirons tous, quelle infinie diversite dans les degres de votre Presence l Dans les memes circonstances, exactement, qui s'appretent a m'envelopper et a envelopper mes freres, vous pouvez etre un peu, beaucoup, de plus en plus, ou pas du tout.
Pour qu'aucun poison ne me nuise aujourd'hui, pour qu'aucune mort ne me tue, pour qu'aucun vin ne me grise, pour que dans toute creature je vous decouvre et je vous sente,
– Seigneur, faites que je croie!
Communion
Si le Feu est descendu au coeur du Monde, c'est finalement pour me prendre et pour m'absorber. Des lors, il ne suffit pas que je le contemple, et que par une foi entretenue, j'intensifie sans cesse autour de moi son ardeur. Il faut qu'apres avoir coopere, de toutes mes forces, a la Consecration qui le fait jaillir, je consente enfin a la Communion qui lui donnera, en ma personne, l'aliment qu'il est venu finalement chercher.
Je me prosterne, mon Dieu, devant votre Presence dans l'Univers devenu ardent et, sous les traits de tout ce que je rencontrerai, et de tout ce qui m'arrivera, et de tout ce que je realiserai en ce jour, je vous desire et je vous attends.
C'est une chose terrible d'etre ne, c'est-a-dire de se trouver irrevocablement emporte, sans l'avoir voulu, dans un torrent d'energie formidable qui parait vouloir detruire tout ce qu'il entraine en lui.
Je veux, mon Dieu, que par un renversement de forces dont vous pouvez seul etre l'auteur, l'effroi qui me saisit devant les alterations sans nom qui s'appretent a renouveler mon etre se mue en une joie debordante d'etre transforme en Vous.
Sans hesiter, d'abord, j'etendrai la main vers le pain brulant que vous me presentez. Dans ce pain, ou vous avez enferme le germe de tout developpement, je reconnais le principe et le secret de l'avenir que vous me reservez. Le prendre, c'est me livrer, je le sais, aux puissances qui m'arracheront douloureusement a moi-meme pour me pousser au danger, au travail, a la renovation continuelle des idees, au detachement austere dans les affections. Le manger, c'est contracter, pour ce qui est en tout audessus de tout, un gout et une affinite qui me rendront desormais impossibles les joies ou se rechauffait ma vie. Seigneur Jesus, j'accepte d'etre possede par Vous et mene par l'inexprimable puissance de votre Corps auquel je serai lie, vers des solitudes ou, seul, je n'aurais jamais ose monter. Instinctivement, comme tout Homme, j'aimerais dresser ici-bas ma tente sur un sommet choisi. J'ai peur, aussi, comme tous mes freres, de l'avenir trop mysterieux et trop nouveau vers lequel me chasse la duree. Et puis je me demande, anxieux avec eux, ou va la vie... Puisse cette Communion du pain avec le Christ revetu des puissances qui dilatent le Monde me liberer de ma timidite et de ma nonchalance ! Je me jette, o mon Dieu, sur votre parole, dans le tourbillon des luttes et des energies ou se developpera mon pouvoir de saisir et d'eprouver votre Sainte Presence. Celui qui aimera passionnement Jesus cache dans les
forces qui font grandir la Terre, la Terre, maternellement, le soulevera dans ses bras geants, et elle lui fera contempler le visage de Dieu.
Si votre royaume, mon Dieu, etait de ce Monde, ce serait assez, pour vous tenir, que Je me confie aux puissances qui nous font souffrir et mourir en nous agrandissant palpablement, nous ou ce qui nous est plus cher que nous-memes. Mais, parce que le Terme vers lequel se meut la Terre est au-dela, non seulement de chaque chose individuelle, mais de l'ensemble des choses, -- parce que le travail du Monde consiste, non pas a engendrer en lui-meme quelque Realite supreme, mais a se consommer par union dans un Etre preexistant, il se trouve que, pour parvenir au centre flamboyant de l'Univers, ce n'est pas assez pour l'Homme de vivre de plus en plus pour soi, ni meme de faire passer sa vie dans une cause terrestre, si grande soit-elle. Le Monde ne peut vous rejoindre finalement Seigneur, que par une sorte d'inversion, de retournement, d'excentration ou sombre pour un temps, non seulement la reussite des individus, mais l'apparence meme de tout avantage humain. Pour que mon etre soit decidement annexe au votre, il faut que meure en moi, non seulement la monade, mais le Monde, c'est-a-dire que je passe par la phase dechirante d'une diminution que rien de tangible ne viendra compenser. Voila pourquoi, recueillant dans le calice l'amertume de toutes les separations, de toutes les limitations, de toutes les decheances steriles, vous me le tendez. " Buvez-en tous. " Comment le refuserais-je ce calice, Seigneur, maintenant que par le pain auquel vous m'avez fait gouter a glisse dans la moelle de mon etre l'inextinguible passion de vous rejoindre, plus loin que la vie, a travers la mort. La Consecration du Monde serait demeuree inachevee, tout a l'heure, si vous n'aviez pas anime avec predilection, pour ceux-la qui croiraient, les forces qui tuent, apres celles qui vivifient.
Ma Communion maintenant serait incomplete (elle ne serait pas chretienne, tout simplement) si, avec les accroissements que m'apporte cette nouvelle journee, je ne recevais pas, en mon nom et au nom du Monde, comme la plus directe participation a vous-meme, le travail, sourd ou manifeste, d'affaiblissement, de vieillesse et de mort qui mine incessamment l'Univers, pour son salut ou sa condamnation. Je m'abandonne eperdument, o mon Dieu, aux actions redoutables de dissolution par lesquelles se substituera aujourd'hui, je veux le croire aveuglement, a mon etroite personnalite votre divine Presence.
Celui qui aura aime passionnement Jesus cache dans les forces qui font mourir la Terre, la Terre en defaillant le serrera dans ses bras geants, et avec elle, il se reveillera dans le sein de Dieu.
Priere
Et maintenant, jesus, que voile sous les puissances du Monde, vous etes devenu veritablement et physiquement tout pour moi, tout autour de moi, tout en moi, je ferai passer dans une meme aspiration l'ivresse de ce que je tiens et la soif de ce qui me manque, et je vous repeterai, apres votre serviteur, les paroles enflammees ou se reconnaitra toujours plus exactement, j'en ai la foi inebranlable, le Christianisme de demain :