L'agent secret (Секретный агент)
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— Nom de Dieu ! hurla le capitaine Brocq qui, d’un coup de poing assen'e sur son bureau avait fait trembler les papiers qui gisaient alentour… Nom de Dieu ! c’est impossible !…
Cinq heures ! Il 'etait plus que temps d’aller au minist`ere. Rev^etant, en h^ate son pardessus, coiffant son chapeau, le capitaine 'etait all'e dans son bureau chercher la grande serviette de cuir qu’il emportait habituellement avec lui pour transporter ses travaux du Bureau `a son domicile.
Brocq, qui, vu ses connaissances toutes particuli`eres de l’artillerie de forteresse, avait 'et'e charg'e de mettre au point un travail confidentiel sur la d'efense des forts de l’Est de Paris et la r'epartition des effectifs des compagnies d’ouvriers en temps de mobilisation, avait cherch'e fi'evreusement son rapport relativement peu volumineux dans ses tiroirs.
Or, depuis dix minutes d'ej`a il fouillait avec anxi'et'e et ne trouvait rien.
— C’est impossible… avait-il cri'e, jurant tout haut, comme pour mieux se convaincre lui-m^eme ; le titre est en grosses lettres, j’ai 'ecrit
Brocq `a plusieurs reprises bouleversa ses documents, secoua sa serviette, retourna son sous-main. Il haussa les 'epaules, agac'e :
— Cette excellente Bobinette, se dit-il, en farfouillant par ici a compl'et'e mon d'esordre d'ej`a bien grand !
Mais il s’arr^etait soudain. Il tomba dans un fauteuil, une sueur d’angoisse lui perlait au front.
Le souvenir du rouleau de papiers qui sortait du manchon de sa ma^itresse lui revenait soudain `a la m'emoire.
— Mon Dieu, prof'era-t-il, pourvu que ?…
Il n’acheva pas sa pens'ee…
Un instant il venait d’avoir l’id'ee que, par 'etourderie, par maladresse involontaire assur'ement, Bobinette avait pu prendre ce document pour envelopper ses lettres, sans m^eme s’en douter.
Oui, la jeune femme emportait, peut-^etre `a son insu, un plan secret de mobilisation… ah ! c’en 'etait une aventure… et si le plan s’'egarait ?… tombait dans la rue ?…
Brocq maudissait de plus en plus son d'esordre, mais l’instant n’'etait pas aux r'eflexions, il fallait agir, retrouver `a toute force la pi`ece 'egar'ee. Brocq en 'etait s^ur, le document n’'etait plus chez lui…
***
— Bonjour, mon capitaine !
Le gardien de la station des fiacres du quai des Saints-P`eres, au coin du pont, saluait, d’un accueil cordial, l’officier qu’il connaissait bien de vue.
Le capitaine Brocq l’interrogea, haletant :
— Dites-moi ! tout `a l’heure, il y a dix minutes, cinq minutes… n’avez-vous pas vu une femme… une femme jeune… un peu rousse… passer par ici ?…
Le gardien de la station interrompit l’officier :
— Ma foi, mon capitaine, ca tombe `a pic, il n’y a pas deux minutes qu’une femme, comme vous dites… et m^eme plus jolie que ca… ma foi, est mont'ee dans un taxi, celui de t^ete…
— Ah ! savez-vous quelle adresse…
— Ma foi, oui, j’'etais tout pr`es… `a la toucher, quand elle a parl'e au m'ecanicien…
— Eh bien ? interrogea Brocq.
— Ma foi, qu’elle a dit, conduisez-moi au Bois ! Et la voiture a tourn'e par le pont des Saints-P`eres, probable qu’elle a pris le quai des Tuileries ensuite ?…
Le capitaine coupa la parole au gardien :
— Le num'ero… le num'ero de ce taxi ?
— Attendez donc ?… on va le demander au sergent de ville du kiosque ; il l’a s^urement inscrit comme d’habitude !
***
Tr'epignant d’impatience au fond d’un landaulet dont il avait fait abaisser la capote afin de mieux voir autour de lui, le capitaine Brocq, `a tout hasard s’'etait 'elanc'e `a la poursuite, plus ou moins hypoth'etique, du 249-B Z, le taxi-automobile o`u 'etait mont'ee Bobinette.
L’officier, fr'emissant, qui serrait sous son bras sa serviette de cuir dans laquelle se trouvaient tous les documents qu’il d'esirait soumettre au minist`ere, moins, h'elas, le plan des forts de l’Est 'egar'e, scrutait la place de la Concorde, l’avenue des Champs-Elys'ees.
Pourquoi Bobinette, si press'ee de partir, se faisait-elle conduire au Bois comme les gens qui n’ont rien `a faire ?… Cela troublait l’amant autant que le militaire ! Brocq n’avait en somme aucune raison pr'ecise de s’'elancer ainsi `a la poursuite de sa ma^itresse.
Et cependant le capitaine avait le pressentiment, plus encore la conviction, l’instinctive certitude qu’il fallait rattraper Bobinette… qu’il le fallait absolument.
Pourquoi ?
Brocq n’aurait pu le dire. Il ne raisonnait pas. Il sentait.
— Mais marchez donc, nom du diable ! avait-il cri'e `a maintes reprises `a son conducteur, stup'efait, car le taxi roulait aussi vite que le permettait l’encombrement.
Soudain comme on franchissait le Rond-Point des Champs-Elys'ees, Brocq eut un cri de joie !
Son oeil percant avait d'ecouvert `a cinquante m`etres en avant le taxi-automobile de Bobinette, il venait d’en identifier le num'ero.
— La voil`a !…
Il conjura le m'ecanicien de pousser co^ute que co^ute.
— Si vous ramassez une contravention, je vous la ferai lever ! assura-t-il.
Le m'ecanicien acc'el'era.
— Encore un instant, pensait Brocq et nous aurons rattrap'e le 249…
En effet, on gagnait du terrain ; toutefois les pronostics du capitaine Brocq ne se r'ealis`erent pas aussi rapidement qu’il l’esp'erait.