L'agent secret (Секретный агент)
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Aux derniers mots de Bobinette, l’homme eut un ricanement :
— Tu crois cela ?… Il est certain que maintenant il ne se doute plus de rien !…
La facon dont le vieillard avait articul'e le mot « maintenant » intriguait la jeune femme.
— Que voulez-vous dire ?
— Le capitaine Brocq est mort.
— Mort !
Bien qu’elle n’aim^at gu`ere son amant, Bobinette avait bondi.
— Oui, mort, dit l’homme, froidement. Et d’abord fais-moi le plaisir de t’asseoir. Sapristi, joue ton r^ole, tu es en ce moment une jeune femme qui parle `a un vieux mendiant. N’oublie pas cela !…
Bobinette, machinalement se rassit.
— Mort ? Que s’est-il donc pass'e ?
— II s’est pass'e que tu n’es qu’une sotte. Brocq a parfaitement vu que tu lui as vol'e le document…
— Il a…
— Oui, il l’a vu… je me m'efiais de la chose, heureusement !… Donc ce maudit capitaine s’est jet'e dans un taxi et t’a suivie… au moment o`u ta propre voiture tournait sur la place de l’'Etoile, la sienne allait te rejoindre… d'ej`a Brocq te h'elait, sans moi, tu 'etais bel et bien pinc'ee…
— Mon Dieu… mon Dieu… Mais qu’avez-vous fait ?
— Je viens de te le dire… clac ! une balle au coeur et il est rest'e sur place… sans jeu de mot…
— Mais o`u 'etiez-vous ?
— Cela ne te regarde pas !…
— Que faudra-t-il donc que je dise, si par hasard on m’interroge ?…
— Comment ce qu’il faudra que tu dises ? la v'erit'e…
— Je vais avouer que je le connaissais ?…
Vagualame tapa du pied, exc'ed'e.
— Que tu es b^ete, mais comprends donc une chose : `a l’heure actuelle il est `a peu pr`es certain que l’identit'e de ce bonhomme est 'etablie. C’est bien le diable si quelque policier n’est pas d'ej`a `a son domicile, si l’on n’enqu^ete pas sur la vie du capitaine Brocq. Donc ne nie rien. Tu diras…
Mais Vagualame s’interrompit :
— Voil`a du monde, je te quitte, si j’ai besoin de te voir, je te reverrai… Ne t’inqui`ete pas… Je prends tout sur moi… attention.
Et changeant de ton, soudain, il eut des mots de mendiant.
— Merci bien, ma bonne dame… le bon Dieu vous le rendra en pluie de b'en'edictions… Au revoir.
3 – L’H^OTEL DU BARON DE NAARBOVECK
Malgr'e novembre, l’aube et la pluie, J'er^ome Fandor, r'edacteur au journal du soir La Capitale, chantait `a tue-t^ete, au risque d’ameuter le voisinage.
Dans le tr`es confortable petit appartement qu’il habitait, rue Richer, depuis d'ej`a de longues ann'ees, le jeune reporter allait et venait fort affair'e : placards, tiroirs, armoires, b^aillaient ouverts, des v^etements, des piles de linge se r'epandaient dans les pi`eces.
Sur la table de la salle `a manger, gisait ouverte une grande valise, dans laquelle, aid'e par la femme de m'enage, J'er^ome Fandor empilait fi'evreusement des v^etements de rechange.
Tout en proc'edant `a cette importante besogne, r'esign'e aussi, sachant que l’on s’en va rarement sans oublier quelque chose d’essentiel, le reporter discutait de facon enjou'ee avec sa vieille bonne :
— Dites-moi, demanda le journaliste, que sont devenues mes chaussettes ?
— Elles sont dans le coin, `a droite, sous vos gilets de flanelle…
— N’oubliez pas, en allant me chercher tout `a l’heure mon d'ejeuner, de remonter les journaux !…
— Comme je fais toujours, observa M meAng'elique…
— Comme vous faites toujours, en effet. Et puis vous r'eglerez ce que je dois chez les fournisseurs, autant arr^eter ces comptes-l`a…
— Ah ca ! monsieur Fandor, interrogea-t-elle, resterez-vous donc bien longtemps absent ?
— Ca n’est pas l’envie qui m’en manquerait, mais si vous croyez qu’on a des cong'es comme cela dans mon m'etier…
— Ou alors, peut-^etre, monsieur Fandor, c’est-y que vous avez l’intention de changer de femme de m'enage `a votre retour ? pourtant…
— Vous ^etes folle, madame Ang'elique ! voil`a au moins vingt fois que je vous r'ep`ete : je pars en vacances pour une quinzaine de jours. Un point c’est tout. Jamais il ne m’est venu `a l’id'ee de me s'eparer de vous, bien au contraire, je suis enchant'e de vos services… Tenez… je passerai par Monaco… je m’engage `a mettre cinq francs pour vous sur la rouge :
— Sur la rouge ?
— Sur la rouge… oui, c’est un jeu et si cela gagne je vous ferai cadeau du b'en'efice…, madame Ang'elique, d'ep^echez-vous d’aller me chercher ma culotte…
Le journaliste s’arr^eta, rit d’un large rire satisfait. L’avait-il d'esir'e ce cong'e qu’il allait enfin prendre apr`es vingt-deux mois de labeur ininterrompu. Vingt-deux mois pendant lesquels, en sa qualit'e de reporter charg'e de la grande information `a La Capitale, il n’avait pour ainsi dire, pas pass'e une journ'ee, sans avoir quelque d'eplacement `a faire, quelque aventure `a d'ebrouiller, voire m^eme quelque criminel `a poursuivre. Au surplus, sa profession l’int'eressait prodigieusement… Son apprentissage de reporter 'etait `a peine commenc'e qu’il se trouvait, par suite des circonstances, m^el'e `a diverses affaires myst'erieuses qui avaient eu le plus grand retentissement dans le public. Il avait b'en'efici'e, `a son entr'ee dans la carri`ere d'elicate du journalisme, de l’appui pr'ecieux du policier Juve. Et ainsi J'er^ome Fandor dans beaucoup de circonstances ne s’'etait pas content'e d’^etre le t'emoin impassible des 'ev'enements plus ou moins dramatiques dont il avait `a faire l’histoire. Fandor, volontairement ou non, avait 'et'e m^el'e – ces derni`eres ann'ees surtout – aux crimes les plus sensationnels, aux affaires les plus myst'erieuses, y jouant, par suite du hasard ou de sa volont'e, un v'eritable r^ole.
Et puis enfin, et puis surtout, il y avait que J'er^ome Fandor, comme d’ailleurs l’inspecteur Juve, s’'etait `a la fois, glorifi'e ou rendu ridicule, mais en tout cas signal'e `a l’attention publique, par ses combats 'epiques avec la personnalit'e la plus angoissante du si`ecle, l’insaisissable Fant^omas.
Mais J'er^ome Fandor, tout en sifflant le dernier air `a la mode, ne songeait plus `a tout cela :
Son esprit 'etait ailleurs, sa pens'ee, toute joyeuse `a l’id'ee que d’ici quelques heures, profitant enfin d’une permission bien gagn'ee, il s’installerait dans un confortable sleeping et se r'eveillerait le lendemain sur la c^ote d’Azur, parfum'ee, radieuse d’un 'eternel 'et'e. Alors huit cents kilom`etres le s'epareraient des bureaux de La Capitale, des commissariats de police, des bouges aux relents pestilentiels, des perp'etuels mauvais temps, du froid, de l’humidit'e, attributs ordinaires de son existence quotidienne. Au diable tout cela, plus de copie `a faire, plus de gens `a interviewer ; c’'etaient les vacances, les cong'es, la libert'e. Soudain la sonnerie du t'el'ephone… Un instant, J'er^ome Fandor h'esita : allait-il r'epondre ?