L'agent secret (Секретный агент)
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M. de Naarboveck, famili`erement, avait pos'e sa main sur l’'epaule du jeune homme que confondait tant de bonne gr^ace ; il le fit passer dans la pi`ece voisine.
C’'etait une biblioth`eque, tr`es haute de plafond. La pi`ece sobrement meubl'ee 'etait 'el'egante, soign'ee. Devant une grande chemin'ee de bois, deux jeunes gens se tenaient debout, causant famili`erement.
Ils s’arr^et`erent `a l’entr'ee du journaliste que pr'esenta le baron de Naarboveck, tandis que venait derri`ere eux M lleBerthe.
J'er^ome Fandor s’inclinait devant les personnes qu’il ne connaissait pas encore :
— Monsieur J'er^ome Fandor, avait dit Naarboveck.
Puis il nommait :
— Mademoiselle de Naarboveck, ma fille… Monsieur de Loubersac, lieutenant de cuirassiers…
Un silence plana apr`es ces pr'esentations aux allures solennelles.
— Sans cet animal de Brocq et la marotte de Dupont (de l’Aube), se disait Fandor, je serais actuellement en train de m’endormir dans mon sleeping et de rouler vers Dijon !…
M llede Naarboveck, avec l’aisance d’une ma^itresse de maison, offrait au journaliste une tasse de caf'e br^ulant, M lleBerthe lui proposait du sucre.
Fandor remercia, encombr'e par sa tasse, oblig'e de r'epondre en m^eme temps aux deux femmes et `a M. de Naarboveck, qui, comme s’il s’en souvenait tout d’un coup, lui disait :
— Mais, monsieur J'er^ome Fandor, vous portez un nom qui 'evoque bien des choses ! N’est-ce donc pas vous, ce fameux journaliste que l’on trouvait sans cesse, il y a quelques mois, `a la poursuite d’un myst'erieux bandit appel'e Fant^omas ?
Entendre parler de Fant^omas dans ce milieu si simple, si naturel, si bourgeois, o`u 'etaient r'eunis des gens dont la vie au grand jour ne devait ^etre affect'ee par aucune complication, troubl'ee par nul myst`ere ! 'Evidemment, Fant^omas, le criminel, les aventures, la police et le reportage, cela devait ^etre pour eux de l’imaginaire, du roman, de l’h'ebreu !
Cependant, aux derni`eres paroles de M. de Naarboveck, M lleBerthe s’'etait rapproch'ee du journaliste et le consid'erait avec curiosit'e :
— J’ai lu, en effet, monsieur, fit-elle, beaucoup de choses sur les 'etranges affaires dont M. de Naarboveck vient d’'evoquer le souvenir.
« Mais, dites-moi, monsieur, voulez-vous me permettre de vous poser une question ? peut-^etre sera-ce mon tour d’^etre indiscr`ete…, mais vous l’'etiez bien tout `a l’heure ?
— C’est un engagement formel de vous r'epondre que vous exigez de moi, mademoiselle ?
Bobinette hocha la t^ete d’un air gamin et, tout en sollicitant d’un coup d’oeil lanc'e `a M. de Naarboveck une approbation que celui-ci consentit d’un l'eger hochement de t^ete. Tout na"ivement, elle demanda `a Fandor :
— Dites-nous, monsieur, qui est-ce, Fant^omas ?
Quoi r'epondre ?
On avait compris `a l’attitude de Fandor combien la question 'etait faite pour le surprendre.
Mais de sa voix un peu s`eche et cassante, M. de Loubersac donnait son opinion :
— Mon cher baron, d'eclara-t-il en s’adressant `a M. de Naarboveck, ne trouvez-vous pas qu’on nous a suffisamment bern'es depuis quelques ann'ees avec les histoires de Fant^omas ? Pour ma part, je n’y crois gu`ere.
— Mais, monsieur, interrompit timidement M lleBerthe, qui, toute rougissante, osait `a peine lever les yeux sur le beau lieutenant de cuirassiers, mais monsieur, on a pourtant bien souvent parl'e de Fant^omas ?
L’officier toisa la jeune femme d’un regard `a peine esquiss'e, mais qui la troubla profond'ement, et Fandor qui suivait ce petit man`ege eut tout aussit^ot l’impression fort nette que si le lieutenant ne prenait pas en grande consid'eration la personnalit'e de la jolie Bobinette, celle-ci, par contre, semblait tr`es impressionn'ee par tout ce que pouvait dire ou faire l’'el'egant officier.
Fandor, tandis qu’on discutait, ne pouvait s’emp^echer aussi de remarquer l’air de tristesse de M llede Naarboveck.
C’'etait une gracieuse jeune fille dans toute la fra^icheur et l’'eclat de ses vingt ans, avec des yeux immenses, aux reflets doux et clairs.
M. de Naarboveck expliqua :
— Wilhelmine a 'et'e fort 'emue par le terrible accident survenu `a notre ami, le capitaine Brocq…
Et le baron allait sans doute fournir quelques explications compl'ementaires sur les relations qui existaient entre sa famille et le capitaine, lorsque la voix sarcastique du lieutenant de cuirassiers s’'eleva de nouveau :
— Pour conclure, s’'ecriait l’officier, je pr'etends, moi, que Fant^omas c’est une invention des bureaux de la S^uret'e ou m^eme tout simplement des journalistes. Et, concluait l’officier en regardant Fandor, comme s’il voulait le d'efier, et je puis en parler en connaissance de cause car, dans une certaine mesure, je connais un peu tout ce monde-l`a…
Fandor ne comprenait pas bien la derni`ere phrase du capitaine. Il fallut que cet excellent homme de baron de Naarboveck v^int lui murmurer `a l’oreille :
— De Loubersac, vous savez, d'epend du Deuxi`eme Bureau au minist`ere de la Guerre : la statistique…
***
J'er^ome Fandor traversa encore l’Esplanade des Invalides, mais cette fois il sortait de l’h^otel de Naarboveck et gagnait, `a pied, le pont de la Concorde. Le journaliste m'editait un petit tour par les boulevards avant de regagner son logis, o`u M meAng'elique serait bien 'etonn'ee de le trouver, quand elle viendrait faire le m'enage et les derniers rangements.