L'agent secret (Секретный агент)
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Fandor venait de rentrer chez lui apr`es avoir longuement fl^an'e sur les boulevards.
Sur sa table, aupr`es de la valise boucl'ee, se trouvait l’Indicateur des Chemins de fer ouvert `a la page des grands itin'eraires Paris-C^ote d’Azur.
Le journaliste interrogea la s'eduisante brochure, mais soudain cessant de regarder l’horaire des trains, il se jeta brusquement sur sa valise, en d'efit les courroies, d'eballa ses v^etements qu’il lanca aux quatre coins de la pi`ece dans un grand geste de col`ere.
— Et puis, zut ! s’'ecria-t-il, tout cela n’est pas clair ! j’ai beau vouloir me persuader du contraire, ca n’est pas vrai ; il y a du myst`ere dans cette histoire-l`a !
Ces officiers, d’une part, ce diplomate de l’autre, et puis surtout cette personne 'enigmatique, ni domestique, ni femme du monde, qui m’a tout l’air de jouer, sinon un double r^ole, du moins un triple, peut-^etre un quadruple…, mon vieux Fandor il n’y a rien `a faire pour s’en aller dans le Midi, faudra voir l’ami Juve et 'eclaircir ces aventures…
5 – NE R^EVEZ PAS TROP `A FANT^OMAS
En habitu'e de la maison, Fandor qui avait ouvert la porte d’entr'ee de l’appartement de Juve avec le passe-partout qu’il poss'edait par faveur toute sp'eciale, traversait la p'enombre du corridor et se dirigeait vers le cabinet de son ami. Il souleva la tenture, entrouvrit la porte. Juve 'etait `a son bureau :
— Ne vous d'erangez pas, c’est moi, Fandor…
L’inspecteur de la S^uret'e 'etait `a ce point absorb'e par la lettre qu’il 'ecrivait qu’il n’avait m^eme point entendu le journaliste ; au son de sa voix il tressaillit.
— Comment, c’est toi !… je te croyais envol'e depuis hier vers la C^ote d’Azur ?…
— J’esp'erais bien partir hier soir… en effet… seulement, vous savez, Juve, dans mon m'etier, comme dans le v^otre d’ailleurs, il est stupide de faire des projets…
— Et alors ? fit-il…
— Et alors quoi ? Juve…
— Et bien, mon cher Fandor, je te demande ce qui me vaut le plaisir de ta visite ?
Mais Fandor semblait peu dispos'e `a r'epondre.
Il venait de se d'ebarrasser de son chapeau, de son paletot. Maintenant il tirait de sa poche un 'etui `a cigarettes. Il choisissait un mince rouleau de tabac qu’il allumait soigneusement, semblant trouver un v'eritable d'elice aux premi`eres bouff'ees qu’il rejetait vers le plafond.
— Il fait beau, Juve…
Le policier de plus en plus 'etonn'e consid'erait le journaliste avec une attention extr^eme :
— Ah c`a ! fit-il `a la fin, qu’est-ce qui te prend, Fandor ? Pourquoi me fais-tu cette t^ete-l`a ? Pourquoi n’es-tu pas en voyage ?… Sans ^etre indiscret je suppose tout de m^eme que tu as d’autres motifs d’^etre pr'eoccup'e que la pluie et le beau temps ?
— Et vous, Juve ?
— Comment, et moi ?
— Juve, je vous demande pourquoi vous ^etes boulevers'e ?
Le policier se croisa les bras :
— Ma parole, mais tu perds la t^ete, Fandor ! demanda-t-il, tu trouves que je suis boulevers'e ?
— Juve, vous avez une figure de l’autre monde !
— Vraiment ?
— Juve, vous ne vous ^etes pas couch'e…
— Je ne me suis pas couch'e ! `a quoi le vois-tu ?
Fandor s’approcha du bureau de travail et du doigt d'esigna sur le coin du meuble une s'erie de cigarettes dispos'ees les unes `a c^ot'e des autres et qui n’avaient pas 'et'e compl`etement fum'ees.
— Ah c`a, je ne doute pas, Juve, qu’on ne mette en ordre votre cabinet tous les matins ; or, voici vingt-cinq bouts de cigarettes au moins, les uns `a c^ot'e des autres… vous ne les avez certainement pas fum'ees dans cette seule matin'ee, par cons'equent vous les avez allum'ees cette nuit, par cons'equent encore vous ne vous ^etes pas couch'e…
Juve goguenarda :
— Continue, petit, tu m’int'eresses…
— Et enfin, ces bouts de vos cigarettes sont m^ach'es, m^achonn'es, d'echir'es… signe indiscutable de grand 'enervement… donc…
— Donc, Fandor ?
— Donc, Juve, je vous demande ce que vous avez ?… voil`a tout…
— J’'etudie, dit Juve, une affaire qui m’int'eresse…
— Grave ?
— Peut-^etre…
— Voyons, dit Fandor, r'epondez-moi si vous le pouvez, Juve… je suis s^ur, rien qu’`a votre attitude, qu’il se passe des choses importantes, vous ^etes tr`es 'emu pour une raison que je ne soupconne m^eme pas ? Puis-je vous ^etre utile ? Voulez-vous me confier votre secret ?
— Me confies-tu le tien ?
— Je vous le confierai dans trois minutes…
Juve, quelques minutes encore sembla r'efl'echir, puis enfin et la voix soudainement chang'ee, devenue grave, sifflante, il avoua :
— Tu es au courant de la mort subite du capitaine Brocq ?… Tu sais que j’ai d'ecouvert que c’est un assassinat ?… c’est cette affaire qui m’occupe…
En entendant nommer l’« affaire Brocq
— Vous vous occupez de Brocq, Juve… vous avez lu mes articles ?
— Oui, tr`es int'eressant…
— Ca manque de conclusion, Juve… mais enfin, je ne pouvais faire mieux jusqu’`a pr'esent, n’ayant aucune documentation pr'ecise… ^etes-vous arriv'e `a une certitude, vous ? Savez-vous qui a fait le coup ?
— Tu ne t’en doutes pas, Fandor ?
Le journaliste allait r'epondre, le policier ne lui en laissa pas le temps. Mais Juve devait ^etre en proie `a une grande 'emotion pour p^alir comme il p^alissait en se levant `a moiti'e de son si`ege pour se pencher vers Fandor, le mieux voir, les yeux dans les yeux.