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L'agent secret (Секретный агент)
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« Nous nous sommes revus bien des fois depuis lors ; Alfred m’invitait toujours, et souvent avec Nichoune ; jamais il ne voulait me laisser payer ; j’avoue d’ailleurs, que la plupart du temps j’aurais bien 'et'e en peine de le faire… Nos rendez-vous avaient toujours lieu hors de la ville o`u il n’aimait pas rester, parce que, pr'etendait-il, l’air 'etait mauvais pour ses poumons tr`es d'elicats. Il s’int'eressait `a tout, particuli`erement `a l’aviation et sans cesse il me faisait le piloter dans le camp des aviateurs. – Toi qui dessines bien, me disait-il, fais-moi donc un plan de cet appareil… explique-moi comment sont construits ces baraquements… Il m’interrogeait aussi sur les effectifs des r'egiments, sur les 'etats qui me passaient par les mains dans les bureaux… Enfin un jour, comme je ne comprenais pas o`u il voulait en venir, Alfred me cassa le morceau :

« — Vinson, me dit Alfred, j’ai confiance en toi, tu connais aussi ma discr'etion, eh bien, j’ai une affaire superbe qui va nous rapporter beaucoup d’argent. Un 'etranger poss`ede un document tr`es int'eressant, que l’on appr'ecierait beaucoup `a l’'Etat-Major du 6 eCorps. Il a besoin d’argent et serait dispos'e `a le vendre ; j’ai essay'e de le lui acheter, mais je n’avais pas les fonds n'ecessaires… Je cherchais une combinaison, lorsque cet 'etranger me demanda de lui procurer quelques photographies des casernes de Ch^alons, en 'echange desquelles il me donnerait son document. Il a besoin de ces photographies pour faire des cartes postales. Si nous pouvons les lui fournir dans trois jours, non seulement il nous donnera son papier important, mais encore il paiera chaque 'epreuve vingt francs pi`ece…

« Ah ! monsieur Fandor, toute cette histoire-l`a ne tenait pas debout, mais j’eus la faiblesse d’y croire… ou tout au moins de faire semblant !… d’ailleurs, la proposition d’Alfred venait `a pic ; je n’avais plus un sou vaillant. Nichoune faisait un tapage 'epouvantable et c’est `a peine si j’osais sortir dans les rues, tant j’avais de cr'eanciers. Plus tard, j’ai su que c’'etait l`a un proc'ed'e qu’on emploie pour “amorcer” les indicateurs. On leur fait livrer d’abord des choses insignifiantes qu’on leur paie tr`es cher, ensuite, on les boucle… Les photographies faites, j’ai rejoint Alfred qui m’avait dit d’obtenir `a tout hasard une permission de quarante-huit heures. Alfred m’a entra^in'e `a la gare. Il avait deux billets, nous partions pour Nancy o`u se trouvait, disait-il, l’acheteur. `A Nancy, personne.

« Soudain, vers quatre heures de l’apr`es-midi, Alfred me dit : Bah ! n’h'esitons plus, si l’'etranger n’est pas venu c’est qu’il nous attend ailleurs, je sais o`u… allons donc le rejoindre… `a Metz… `A Metz ? mais il faut passer la fronti`ere et je n’ai pas… Alfred m’interrompt. Il ouvre une armoire, en tire des v^etements civils, puis dans un tiroir une fausse barbe.

« Au bout d’une demi-heure, nous nous 'etions travestis. Une heure apr`es nous d'ebarquions en Lorraine. C’est l`a que, pour la premi`ere fois, j’ai commenc'e `a avoir peur, car il m’a sembl'e qu’en sortant de la gare de Metz, Alfred venait d’'echanger un coup d’oeil avec le gendarme de service. Ah ! monsieur Fandor, comme je l’ai regrett'e ce voyage. Sit^ot en pays 'etranger, Alfred a chang'e d’attitude `a mon 'egard. Ce n’'etait plus un ami, mais un ma^itre que j’avais. Il me tenait, le brigand, et joliment bien !

« — O`u allons-nous ? lui ai-je demand'e. Alfred ricana : — Parbleu ! tu t’en doutes, qu’il me r'epond, chez le major Schwartz, dans la Wornerstrasse, au Bureau des Renseignements… — Je n’irai pas ! Alfred me lance un coup d’oeil menacant. — Tu viendras ! me fit-il `a voix basse. Songe donc que si tu refusais, au bout de cinq minutes la police t’aurait d'emasqu'e !…

« Il n’y avait rien `a faire. Je le connaissais d'ej`a de r'eputation ce Bureau des Renseignements, Alfred m’en avait parl'e. C’'etait un vaste appartement au premier 'etage d’une maison bourgeoise, o`u travaillaient de nombreux employ'es en civil, mais qui tous ont l’allure militaire. On attend dans une large pi`ece remplie de dessinateurs, de dactylographes, sur le mur s’'etale une carte `a grande 'echelle de la fronti`ere des Vosges. Alfred se fait annoncer. Quelques instants apr`es nous sommes introduits dans un bureau. Un gros homme assis derri`ere une table encombr'ee de dossiers nous regarde par-dessus ses lunettes. Chauve, une 'epaisse barbe blonde taill'ee en carr'e. Sans mot dire, il examine les photographies, les jette n'egligemment sur une 'etag`ere et prend dans son tiroir dix louis en monnaie francaise qu’il me compte… De document en 'echange… plus question.

« Je croyais que tout 'etait fini et m’appr^etais `a sortir de ce lieu abominable, mais le gros homme me mit la main sur le bras – c’'etait le major Schwartz, en personne, – grand chef de l’espionnage, je l’ai su depuis. Il me dit, s’exprimant en francais, tr`es correctement, avec `a peine un l'eger accent : — Caporal Vinson, nous vous avons pay'e largement des communications qui n’ont aucune valeur, mais il va vous falloir nous servir mieux que cela. D’abord, il savait que j’'etais affect'e `a la Place de Ch^alons, `a toutes les 'ecritures concernant le service de l’aviation. Il voulait obtenir un 'etat complet de l’organisation des dirigeables et des a'eroplanes, il fallait lui donner les caract'eristiques de tous les appareils, les 'etats de service des officiers qui les montaient… il exigeait des renseignements plus confidentiels encore, l’affectation des aviateurs et des dirigeables en temps de mobilisation, toute la lyre, quoi !…

— Et… vous avez… fourni tout cela ?

— J’ai fourni tout cela !

— C’est tout ?

— Pas encore ! Alfred m’avait raccompagn'e jusqu’`a Nancy o`u j’avais repris mon uniforme, puis j’ai regagn'e Ch^alons tout seul.

« Je me suis demand'e s’il me serait possible de me d'ebarrasser de mon triste entourage, mais je n’ai pu y r'eussir… Alfred, chaque jour, me harcelait, me menacait, j’ai d^u lui ob'eir, comme je viens de vous le dire ; puis aussit^ot apr`es il y a eu l’affaire du capitaine Brocq…

« Alors, sans rien dire `a personne j’ai demand'e mon changement de garnison par la voie hi'erarchique ; j’esp'erais aller dans l’Ouest ou dans le Midi, surtout quitter le sixi`eme corps, fuir le voisinage de la fronti`ere, achever en un mot mon service dans une r'egion o`u il me serait impossible de faire du “renseignement”, mais je ne sais comment, est-ce par Nichoune – je le suppose, car je lui avais, par malheur, confi'e un soir ce secret, – Alfred a appris ma d'ecision… Il s’est mis dans une col`ere 'epouvantable, puis soudain il a ri, et il a dit : – Mon vieux Vinson, je m’en vais te faire une bonne blague… Elle 'etait terrible la blague, elle l’est encore, monsieur, 'ecoutez… 'ecoutez ce qui est arriv'e : J’ai obtenu mon changement en effet, c’est pour cela que je suis aujourd’hui en permission de huit jours, mais lundi prochain 21 novembre, avant midi je dois ^etre rendu `a mon nouveau r'egiment. Or, ce r'egiment, c’est le 257 ed’infanterie, en garnison `a Verdun !… Vous comprenez ?

— Je commence… murmura Fandor.

— `A Verdun, reprit le caporal qui, s’'etant lev'e, allait et venait dans la pi`ece, se comprimant les tempes, en proie `a une angoisse inexprimable… `a Verdun, c’est-`a-dire sur la fronti`ere m^eme, c’est-`a-dire au milieu de tous ces gens-l`a, `a leur merci !… Ah ! le coup a 'et'e bien combin'e, j’ai voulu sortir du gu^epier, je suis retomb'e au milieu de la ruche. Alors, monsieur, pour tout vous dire, je perds la t^ete, absolument ! je sens qu’ils me tiennent, qu’il m’est impossible de me d'egager et en outre, j’ai peur d’^etre pris… oui ; il s’est pass'e ces jours derniers des choses, `a Ch^alons, qui me terrifient ; je crois que l’on me soupconne, que l’on soupconne Nichoune, que mes chefs m’observent, c’est la fin ! Cela est survenu, brusquement, comme un ouragan, `a dater du jour o`u les journaux ont annonc'e l’assassinat du capitaine Brocq ! je suis perdu… perdu… j’ai voulu venir vous exprimer toute ma honte pour que vous puissiez mettre en garde, par un article dans votre journal, les jeunes soldats, qui par amour insens'e pour une femme abominable ou par un besoin d’argent seraient dispos'es un jour `a suivre mon triste exemple.

— Vinson, soyez brave, dites tout `a vos chefs ?

Le caporal secouait la t^ete…

— Jamais !… monsieur… jamais je ne pourrai. Songez donc que c’est le pire d'eshonneur, le pire. Vous parliez de ma m`ere : c’est pour elle que je veux me tuer. Elle deviendrait folle si jamais elle apprenait que son fils a trahi… Ce soir, le caporal Vinson n’existera plus.

Longuement Fandor chapitra Vinson.

Le journaliste se fit tour `a tour 'eloquent, persuasif… il accumula arguments sur arguments, appela `a son secours l’amour-propre, le devoir.

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