L'agent secret (Секретный агент)
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Juve, du doigt, montra au commissaire de police les deux agents occup'es `a d'ev^etir le cadavre.
`A peine eurent-ils entreb^aill'e le gilet de l’officier, que la chemise du malheureux 'etait apparue `a l’endroit du coeur, tach'ee de sang.
Juve s’'etant rapproch'e, continua ses explications :
— C’est bien ce que je disais, une balle de petit diam`etre, anim'ee d’une formidable puissance de p'en'etration a caus'e la mort imm'ediate en produisant une blessure qui n’a presque pas saign'e, tant la plaie a 'et'e faite de facon nette et pr'ecise…
Juve `a nouveau se penchait sur le cadavre :
— Voyez, r'ep'etait-il, cet officier est bien mort d’une balle, d’une balle en plein coeur.
Le commissaire de police cette fois protesta :
— Mais c’est 'epouvantable et c’est inadmissible ce que vous nous racontez l`a, Juve ! comment cet homme aurait-il pu se suicider sans que personne s’en soit apercu ? sans que personne ait retrouv'e son revolver ? et cela au moment m^eme o`u il se penchait par la porti`ere pour donner des indications `a son chauffeur !
Juve ne semblait point dispos'e `a r'epondre…
Apr`es quelques minutes de silence, toutefois, il prit famili`erement le bras du commissaire de police, et l’entra^inant :
— Voulez-vous que nous revenions dans votre cabinet, demanda-t-il, j’ai deux mots `a vous dire ?…
Et quand le magistrat et l’inspecteur de la S^uret'e eurent p'en'etr'e dans la pi`ece, quand ils furent seuls, quand le policier se fut assur'e que la double porte `a tambour 'etait bien ferm'ee et que nul ne pouvait les entendre, Juve, les deux mains appuy'ees sur le bureau, regardant bien en face le commissaire de police, qui, assis dans son fauteuil, attendait qu’il pr^it la parole, commenca :
— Monsieur le commissaire, nous sommes bien d’accord, n’est-ce pas, sur les conditions de l’accident ?… cet officier est mort d’une balle au coeur, alors qu’il passait en voiture place de l’'Etoile, et au moment pr'ecis o`u il se penchait par la porti`ere, cela, sans que personne ait rien vu, ou entendu ?
— Oui, Juve, c’est bien cela… ce suicide est incompr'ehensible !
— Ce n’est pas un suicide, monsieur le commissaire…
— Qu’est-ce donc ?
— Un crime !
— Un crime ? mais vous ^etes fou !
— Cet homme a 'et'e tu'e d’un coup de fusil tir'e de loin… d’un coup de fusil, car un revolver n’aurait certainement point permis de viser avec une aussi grande pr'ecision… d’un coup de fusil tir'e de loin, car nul n’a vu le geste de l’assassin et pourtant la place de l’'Etoile 'etait encombr'ee de monde… d’un coup de fusil tir'e de loin encore, parce que, monsieur le commissaire, il y a quelque chose que vous oubliez, et qui cependant a son importance… Ce mort est un officier, un officier attach'e au Deuxi`eme Bureau, un officier qui 'etait porteur au moment de son d'ec`es, de pi`eces importantes dont une fait d'efaut. Il y a eu crime, et le motif est 'evident.
Atterr'e, le commissaire de police consid'era Juve, en articulant non sans peine :
— Mais c’est impossible, absolument impossible, je vous le r'ep`ete, Juve, ce que vous inventez l`a. Vous oubliez qu’un coup de fusil, le coup de fusil d’une arme assez puissante, cela fait du bruit… que diable, on entend la d'etonation…
— Non, monsieur le commissaire ! il y a maintenant des armes parfaitement silencieuses, des fusils `a l’acide carbonique liqu'efi'e, par exemple, qui envoient `a plus de huit cents m`etres un projectile, sans que l’on entende autre chose qu’un claquement sec au moment du d'epart de ce projectile…
— Mais enfin, Juve un crime pareil, cela tient du roman, il faut que le criminel tire au milieu de la foule… qui voulez-vous qui ait cette audace ?
— Vous me demandez quel criminel peut avoir os'e cela ? quel criminel peut avoir r'eussi ce meurtre ? Monsieur le commissaire, je n’en connais qu’un…
— Et c’est ?
— C’est… c’est…
Mais Juve, soudain se tut, comme effray'e. Parbleu, dit-il, si je savais le nom du coupable, j’irais l’arr^eter…
***
Bobinette, cependant, continuait sa promenade.
— Vous m’arr^eterez, commanda-t-elle au conducteur, presque `a l’all'ee cavali`ere qui passe derri`ere le Pavillon Chinois…
Arriv'ee l`a, elle descendit, paya, s’engagea dans le petit sentier qui court le long de l’all'ee cavali`ere. Bient^ot Bobinette ralentit sa marche. Un banc inoccup'e se trouvait sur le c^ot'e de l’all'ee, elle v'erifia l’heure `a sa montre, s’assit.
— Nous sommes exacts tous les deux, murmura-t-elle en reconnaissant un promeneur encore 'eloign'e…
Alors, Bobinette, de son manchon tira un petit rouleau de papier…
C’'etait un minable individu qui s’avancait vers la jeune femme, tout courb'e sous le poids d’un accord'eon volumineux. Il pouvait avoir une soixantaine d’ann'ees, mais en raison de la longue barbe blanche, jamais taill'ee, fort mal soign'ee, qui lui dissimulait `a moiti'e le bas de la figure, tandis que sa moustache tr`es fournie et sa longue chevelure coiff'ee `a l’artiste en voilaient le haut, il paraissait beaucoup plus ^ag'e. Un mendiant ? non pas. Nul ne sachant son nom v'eritable, on l’appelait
Le vieillard avait, lui aussi, apercu Bobinette.
Vers la jeune femme il s’avancait aussi vite que le lui permettaient ses jambes et d`es qu’il fut assez pr`es d’elle pour pouvoir lui parler sans hausser la voix, il interrogea :
— Eh bien ?
— Eh bien ? r'ep'eta-t-il anxieux.
— C’est fait dit Bobinette.
Et tendant au mendiant le rouleau de papier qu’elle consid'erait quelques minutes auparavant, elle ajoutait :
— Voil`a ! Je n’ai pu l’avoir qu’`a la derni`ere minute, mais enfin je l’ai et j’imagine qu’il ne se doute de rien…