La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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L’express, d'ej`a, ralentissait. Brusquement, les freins criaient, une secousse violente jetait les voyageurs les uns contre les autres.
La for^et, de chaque c^ot'e du convoi, br^ulait, mais l’endroit de la halte avait 'et'e soigneusement choisi. On avait fait arr^eter le train en un point o`u les pins s’'ecartaient suffisamment de la voie pour que les voyageurs pussent descendre en toute tranquillit'e sans entrer dans l’incendie lui-m^eme.
— Pressons-nous, Messieurs, dames, pressons-nous.
Fandor, un des premiers, avait saut'e sur le remblai.
Il jouissait, en amateur de pittoresque et de beaux spectacles, du superbe coup d’oeil de cette for^et incendi'ee.
Pour lutter contre la chaleur torride qui r'egnait `a l’int'erieur des wagons, les voyageurs s’'etaient compos'es de curieux costumes, les hommes arrachaient leur faux-col, d'epouillant veste et gilet, les femmes d'egrafaient les deux premiers boutons de leur corsage, certaines m^eme ayant quitt'e leurs jupes, n’avaient conserv'e que des jupons.
— H'e, h'e, songeait Fandor, si le feu est encore un peu plus chaud et qu’il faille un peu plus se d'eshabiller, ca deviendra tout `a fait rigolo.
Les employ'es, pourtant, se donnaient infiniment de mal pour rassembler les voyageurs, les grouper en une troupe `a peu pr`es r'eguli`ere.
— Mesdames et Messieurs, annoncait un personnage qui devait ^etre un chef de gare embarqu'e `a Bordeaux, voici comment nous allons proc'eder. Le train va partir lentement, en avant. Vous voudrez bien me suivre, et marcher scrupuleusement entre les rails, il n’y a aucun danger. Dans un kilom`etre vous pourrez remonter en voiture.
— Un petit bravo pour l’orateur, r'epondit Fandor.
Mais, gavroche comme il l’'etait, le journaliste, bien entendu, ne voulait pas se plier `a la consigne.
— Plus souvent, pensait-il, que je vais me mettre en rang, pour aller au r'efectoire. Il m’emb^ete, le pion.
Fandor, sans s’occuper des appels qu’on lui adressait, s’'ecartait du groupe des voyageurs et entreprit de remonter le long du train pour se rendre compte des d'eg^ats que lui avait occasionn'e la chute des branches incendi'ees.
— C’est 'epatant, pensait-il, rien n’a br^ul'e. C’est mieux ignifug'e qu’un d'ecor de th'e^atre.
Mais, brusquement, comme il suivait l’une des grandes voitures qui composaient le Sud-Express, voil`a que Fandor tressaillit. Tout le monde avait d^u descendre du train. Il avait entendu des employ'es contraindre les voyageurs les plus r'ecalcitrants `a quitter leurs compartiments. Or, Fandor apercevait pr'ecis'ement, `a l’int'erieur de l’un des wagons, deux individus, deux individus qui ouvraient une valise, qui semblaient y fouiller, qui y fouillaient m^eme certainement.
— Qu’est-ce qu’ils font, ces cocos-l`a ? pensait Fandor.
Il allait monter d’autorit'e `a bord de la voiture, pour aller constater quels 'etaient les voyageurs demeur'es dans le train en d'epit des r`eglements, lorsqu’il crut entendre, tout pr`es de lui, deux voix qui murmuraient :
— Dis donc, est-ce qu’ils y sont, les copains ?
— Tout ce qu’il a de plus, mon vieux. Ah, la belle combine. On va en faire un chopin [3] !
Cette fois, Fandor ne put plus h'esiter. Il se baissa, il regarda en-dessous des wagons, de l’autre c^ot'e du train, il apercut les jambes de deux individus qui se h^ataient, marchant vers la locomotive.
— Bougre de bougre, jura Fandor, mais si je ne suis pas compl`etement fou, il me semble que la chose est claire, il y a ici une bande d’individus qui profitent de l’incendie pour piller les bagages.
Et Fandor, songeant `a la face de l’homme qu’il avait rencontr'e lorsqu’il allait au lavabo, avec un de ces subits rappels de m'emoire que l’on a parfois, se rappelait le nom de l’homme :
— Mais, sapristi, se disait-il `a lui-m^eme, je sais qui c’est. C’est mon ancien professeur, c’est le p`ere Grelot, le ma^itre de vol `a la tire, en personne.
Et Fandor prit sa course. Depuis qu’il s’occupait d’affaires polici`eres, il avait acquis un v'eritable flair, un v'eritable instinct, qui lui permettait de deviner, de pressentir les drames, les affaires louches.
— Il se passe ici, murmurait Fandor, quelque chose d’invraisemblable, de tr`es peu catholique. T^achons de voir quoi.
Fandor, que les employ'es, fort occup'es `a rassembler les voyageurs, ne surveillaient gu`ere, s’'elanca vers la locomotive. Le journaliste venait habilement de d'ecider une manoeuvre fort simple. Puisque les individus qui causaient de l’autre c^ot'e du train, se dirigeaient eux-m^emes vers la machine, Fandor allait passer devant cette machine, et forc'ement les rencontrer, les voir et peut-^etre les reconna^itre.
Ce plan 'etait peut-^etre bien combin'e, il ne devait pas r'eussir cependant. En effet, au moment m^eme o`u J'er^ome Fandor arrivait `a la hauteur de la machine, le train d'emarrait.
— Je suis sem'e, se dit Fandor.
Mais il 'etait bien trop t^etu pour renoncer `a une chose, une fois d'ecid'e `a un projet. Comme le train d'emarrait, J'er^ome Fandor, le plus lestement du monde, sautait sur le marchepied du fourgon `a bagages attel'e au tender.
— Attention, se dit en m^eme temps le journaliste. Il ne s’agirait pas que je me fasse pincer l`a-dessus, on s’imaginerait `a coup s^ur que moi-m^eme je suis cambrioleur.
Le train, d'ej`a, roulait plus vite. Fandor, cramponn'e `a une main-courante, r'efl'echissait `a la conduite qu’il devait tenir, lorsqu’un grand cri, un cri d’homme 'epouvant'e, un cri qui s’'etouffait imm'ediatement, retentissait `a ses oreilles.
Fandor pr^eta l’oreille, mais il n’entendit plus rien. Seulement, le train acc'el'erait sa marche. Alors qu’il e^ut 'et'e logique, 'etant donn'e que le remblai 'etait d’une solidit'e douteuse, que le convoi pass^at tr`es lentement, il marchait `a toute allure.