La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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Les deux hommes qui avaient entra^in'e Martial s’'etaient lev'es. Celui qui paraissait ^etre le chef jetait sur les yeux du spahi un voile qui l’aveuglait. Hors d’'etat de se d'efendre, le soldat sentait qu’on le soulevait par les 'epaules, par les pieds, qu’on l’emportait.
— Que vont-ils faire de moi ? Timol'eon veut donc qu’on m’assassine ?
Et, connaissant merveilleusement l’endroit o`u on le transportait, le spahi ne se trompait pas `a l’itin'eraire que suivaient ses ravisseurs :
— Ils montent les marches du perron. Nous sommes dans le vestibule. O`u vont-ils ? Ah, cette porte, cet air frais, mis'ericorde, on me descend dans la cave.
On le jeta sur le sol. Il sentait que l’on ouvrait le cadenas qui fermait ses menottes. Puis un pas s’'eloignait. Il allait donc rester seul avec un unique gardien ? C’'etait Timol'eon Fargeaux que l’on avait 'et'e chercher probablement.
— Monsieur Altar`es, vous m’entendez ?
D’en dessous son b^aillon, le spahi poussait un grognement affirmatif.
— Tr`es bien, je vais vous enfermer o`u vous ^etes. `A droite contre le mur vous verrez, car en somme on voit dans cette cave, le soupirail y laisse p'en'etrer une clart'e suffisante, vous verrez que j’ai fait d'eposer une cruche pleine d’eau et trois pains. Vous ^etes fort, vous ^etes robuste, vous n’^etes plus li'e que par des cordes, vous n’aurez donc aucune difficult'e `a recouvrer votre libert'e de mouvements. Cela je ne vous l’interdis pas. En revanche, et je vous prie de bien faire attention `a mes paroles, je vous pr'eviens que vous ^etes ici prisonnier, prisonnier jusqu’`a ce que j’ai d'ecid'e ce qu’il faut que je fasse de vous. Inutile, quand je vais ^etre parti, de tenter de vous 'echapper. La porte est solide, les murs sont 'epais, vous vous fatigueriez inutilement. Donc, restez tranquille, m'editez, r'efl'echissez et pr'eparez-vous `a la mort, si le coeur vous en dit.
La voix qui avait parl'e se tut. Martial Altar`es entendait qu’on refermait son cachot improvis'e `a l’aide de serrures tr`es compliqu'ees, et qui certainement n’'etaient pas pos'ees depuis longtemps sur la porte de la cave : il 'etait seul.
Martial Altar`es, plus de deux heures dut se d'ebattre, bander ses muscles, meurtrir sa chair, s’'ecorcher effroyablement avant d’arriver `a lib'erer un seul de ses bras.
De la main qu’il venait de d'egager des cordes qui l’emprisonnaient encore, le spahi arracha le bandeau qui g^enait ses yeux, le b^aillon qui l’'etouffait. Il voyait.
Martial Altar`es ne s’'etait pas tromp'e. Il 'etait bien dans la cave du pavillon isol'e. Aucun meuble ne garnissait ce cachot. Un jour rare p'en'etrait `a peine par le soupirail perc'e tr`es haut. Il y avait bien trois pains et une cruche pleine d’eau.
— Timol'eon veut donc me d'etenir ici jusqu’`a ce que je sois devenu fou ? se dit le soldat.
Abattu, immobile, le malheureux spahi tout d’abord ne songeait m^eme plus `a se servir de sa main libre pour achever de d'efaire ses cordages. Mais cette d'efaillance, aussi bien morale que physique, ne dura que quelques secondes. Martial Altar`es se ressaisissait d'ej`a. Une col`ere nouvelle montait en lui, lui infusant une nouvelle 'energie :
— Je saurai, hurlait-il, je saurai ce que Timol'eon veut au juste.
Il d'efit en h^ate ses derniers liens. Les membres libres, il patienta quelques secondes pour laisser `a la circulation le temps de se r'etablir. Bient^ot pourtant ses membres retrouv`erent leur souplesse. Il pouvait agir.
Alors, Martial Altar`es se releva comme un furieux. Il courut `a l’int'erieur de la cave, tapant du poing les murs, 'ebranlant la porte, vocif'erant. Nul 'echo ne lui r'epondit. Le pavillon abandonn'e 'etait tout au fond du parc, le prisonnier pouvait bien appeler, crier, il 'etait vraisemblable que personne, jamais, ne l’entendrait, ne viendrait lui porter secours.
Tout autre e^ut d'esesp'er'e. Martial Altar`es, soudain, prit son 'elan. D’un bond il sauta jusqu’au soupirail. Souple et leste, il l’atteignit, sa main saisit l’un des barreaux qui grillageaient l’'etroite ouverture, et l`a, se tenant tant bien que mal en 'equilibre, il regarda dans le parc, vers les lointains, vers la libert'e.
***
… Quand les petits oiseaux
Ont besoin de mouron…
Ils s’en vont dans les champs
Se percher sur les bran… anches…
D’une voix d'eplorablement fausse, qui tenait un juste milieu entre la voix d’un homme compl`etement ivre et la voix d’un enfant furieusement en col`ere, d’une voix qui 'etait par moments percante et criarde et qui, en d’autres, avait des intonations graves et enrou'ees, Bouzille tentait de se distraire du travail auquel il se livrait.
Bouzille avait connu bien des ennuis.
Le philosophe qu’il 'etait s’'etait 'evidemment fort bien accommod'e des soupcons injustes qui avaient plan'e sur lui, `a Beylonque, lorsque le malheureux idiot Saturnin Labour`es avait 'et'e trouv'e noy'e dans la mare aux sangsues.
— Les hommes, avait alors sentencieusement d'eclar'e Bouzille chez un marchand de vins de l’endroit, sont ingrats et malfaisants. Si j’ai 'et'e voler des sangsues, c’est uniquement pour rendre service `a l’humanit'e souffrante. Quel remerciement en ai-je ? Tout simplement on m’accuse d’avoir noy'e un enfant. C’est `a d'ego^uter de braver les lois pour faire le bien.
Mais si Bouzille avait accept'e avec sa r'esignation habituelle la r'eprobation dont les habitants de Beylonque l’avaient entour'e, alors m^eme qu’il avait 'et'e remis en libert'e sur l’ordre de Juve, Bouzille avait support'e avec moins de facilit'e les visites bient^ot quotidiennes que lui avait rendues un important fonctionnaires du village, et qui n’'etait autre que l’huissier du pays.
Si Bouzille se souciait assez peu des condamnations civiles qui 'etaient prononc'ees contre lui, – que pouvait bien lui faire une condamnation de deux mille francs d’indemnit'e, alors qu’il ne poss'edait jamais plus de deux sous `a la fois ? – il avait cependant 'et'e fort ennuy'e par la derni`ere visite de l’huissier qui lui avait tranquillement signifi'e l’ordre d’avoir `a d'eguerpir de sa maison.
Bouzille, furieux, avait voulu r'esister.
On avait imm'ediatement eu recours, non pas au garde champ^etre, mais `a un proc'ed'e plus simple. Bouzille, en rentrant, avait un beau soir trouv'e sa maison sans porte ni fen^etre. Il commencait `a faire froid, on rendait le logis inhabitable, il allait bien falloir que Bouzille se r'esign^at `a ne plus y demeurer.