La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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PIERRE SOUVESTRE
ET MARCEL ALLAIN
LA DISPARITION
DE FANDOR
16
Arth`eme Fayard
1912
Cercle du Bibliophile
1970-1972
1 – UNE S'ERIE DE PETITS MYST`ERES
— Quelle heure est-il ?
— Huit heures cinq.
— Mais non, je te r'ep`ete qu’il n’est que huit heures moins dix. Ta montre avance.
— Pas du tout. C’est la tienne qui retarde.
— C’est charmant. Il suffit que je te dise une chose pour que tu soutiennes le contraire.
— Et puis, tiens, je pr'ef`ere ne pas te r'epondre ! Tu voudrais avoir le dernier mot et ca ne finirait plus.
`A cette sage d'ecision succ'eda un silence.
Les deux interlocuteurs se boud`erent provisoirement ; c’'etaient Timol'eon Fargeaux et sa femme Delphine. Les 'epoux, en t^ete-`a-t^ete dans le salon de leur vieux ch^ateau de Garros, attendaient avec nervosit'e et anxi'et'e.
Il 'etait, l’un et l’autre l’avaient soutenu, huit heures du soir, `a peu de chose pr`es. La nuit, depuis longtemps d'ej`a, 'etait tomb'ee et, dans le salon, les lampes allum'ees projetaient une lumi`ere douce.
On avait fait la toilette de la pi`ece, d'egarni les meubles de leurs housses, mis des fleurs dans les potiches.
Les Fargeaux recevaient `a d^iner ce soir-l`a. Timol'eon Fargeaux pouvait avoir de quarante `a quarante-cinq ans. C’'etait un robuste et rustique campagnard au poil roux coup'e ras, le visage haut en couleur. Delphine 'etait une petite personne mince, menue, tr`es brune, perp'etuellement agit'ee.
Alors que Timol'eon Fargeaux 'etait un gros homme placide et vulgaire, Mme Fargeaux, plus distingu'ee, assez gentille et coquette, avait une apparence aimable, mais, h'elas, sa gaiet'e disparaissait d`es qu’elle se trouvait en t^ete `a t^ete avec son mari qui, depuis fort longtemps d'ej`a, ne connaissait d’elle qu’un air rev^eche et soucieux. Apr`es quelques instants de silence, Timol'eon Fargeaux reprit :
— Es-tu s^ure qu’il n’y a pas d’erreur ? Tu les as bien invit'es pour aujourd’hui ?
— Naturellement, r'epliqua Delphine d’un ton aigre, je ne suis pas si b^ete que ca. D’ailleurs, tu vas bien voir tout `a l’heure. Mon fr`ere Martial, qui doit d^iner avec nous 'egalement, va arriver d’un moment `a l’autre. Je viens d’entendre siffler le train de huit heures sept qui l’am`ene de Bayonne.
— Oh ca, ton fr`ere, il viendrait plut^ot deux fois qu’une, du moment qu’il s’agit de faire un bon d^iner. Ce qu’il est gourmand, cet animal-l`a, c’est rien de le dire.
— Non, mais tu vas lui reprocher maintenant ce qu’il mange, `a mon fr`ere ? Tu l’insultes. Non, mais crois-tu que je te laisserai faire ? Le pauvre garcon est tout ce qu’il y a de plus d'elicat et de plus discret. D’ailleurs, tu ne peux pas t’en plaindre, depuis qu’il est parti au service, c’est sa premi`ere permission. Ca n’est pas comme toi, qui as fait ton temps dans les bureaux. Tu n’a pas 'et'e soldat mais rond-de-cuir, tu es rest'e coll'e `a ta chaise, tandis que lui est en Afrique, toujours sur le pied de guerre, dans la cavalerie, dans les spahis.
— Je ne voulais pas le critiquer, ton fr`ere, au contraire, c’est un excellent garcon, seulement…
— Tais-toi, interrompit Mme Fargeaux, le voil`a.
La porte du salon s’ouvrait en effet et Delphine, traversa en h^ate la pi`ece, s’'elanca vers le nouveau venu et l’embrassa tendrement.
C’'etait, en effet, Martial. Il arrivait, superbe, dans son brillant uniforme de spahi, un peu essouffl'e, semblait-il. Le militaire 'etait entr'e si rapidement dans le salon qu’il n’avait pas encore eu le temps de d'epouiller son majestueux manteau rouge.
R'epondant distraitement aux tendres effusions de sa soeur, Martial Altar`es – car tel 'etait le nom du jeune homme – jeta un regard circulaire dans le salon et parut fort ennuy'e de n’y voir que son beau-fr`ere.
— Quoi, demanda-t-il, les Borel ne sont pas l`a ?
— Pas encore. Et il est d'ej`a huit heures un quart.
— Est-ce qu’ils ne viennent pas ?
— Ils ont accept'e. Je ne comprends gu`ere ce retard.
— C’est qu’ils demeurent loin, fit le militaire. J’ai vu arriver le train qui doit les amener. Il se croise avec le mien `a la halte de Garros.
— Ca vous emb^ete, hein, de ne pas les voir ? fit-il, non pas `a cause de Borel, mais `a cause de Madame.
Et comme les deux hommes 'etaient seuls, car Delphine, incapable de rester en place, avait quitt'e le salon, Timol'eon sugg'era, avec un clignement d’oeil :
— Vous lui faites la cour, pas vrai, `a Mme Borel ? Oh, n’essayez pas de dire le contraire, je l’ai bien remarqu'e.
— Jamais de la vie ! Certes, Mme Borel est charmante. Mais ca n’est pas une raison, et puis, quand m^eme, vous comprenez bien que devant ma soeur…
— Oh quoi, fit Timol'eon en levant les bras au ciel, elle n’a plus douze ans, votre soeur, et telle que je la connais, ce n’est pas cela qui l’effaroucherait.
Mais le spahi, lui aussi, faisait de grands gestes et, prenant un air convaincu, protestait avec v'eh'emence :
— Jamais, entendez-vous, jamais je ne dirai ou ferai quelque chose de tant soit peu incorrect devant ma soeur. C’est une sainte, cette femme-l`a, c’est une perle qu’on vous a donn'ee, je ne sais pas si vous vous en apercevez, mais on vous le dira dans le pays et, tout compte fait, si vous voulez ma facon de penser, c’est vraiment malheureux…
— Ca va bien, dit Timol'eon, parlons d’autre chose, voulez-vous. On va toujours prendre un ap'ero en les attendant, si vous le voulez bien.
Martial Altar`es ne refusa pas, bien au contraire. Delphine, `a la cuisine, parlait `a la cuisini`ere :
— Madame, disait celle-ci, faudrait pourtant bien que l’on se mette `a table ou mon d^iner, il sera br^ul'e.
— Attendons encore, d'eclara la ma^itresse de maison qui, soudain, tressaillit. Elle avait entendu au dehors un l'eger bruit, des pas discrets sur le sable. Elle courut `a la porte d’entr'ee, l’ouvrit, son regard plongea dans l’obscurit'e de la nuit, mais les bruits avaient cess'e.