La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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Elle 'ecouta un instant les boeufs qui ruminaient doucement. De temps `a autre un bruit de paille froiss'ee r'ev'elait que l’une des puissantes b^etes s’'etirait sur sa liti`ere ou changeait de c^ot'e son corps lourd de sommeil.
Delphine regardait alors dans la direction du ch^ateau et, certaine que nul ne lui embo^itait le pas, elle referma doucement la porte de l’'etable, longea le mur, gagna la campagne.
Le ch^ateau de Garros s’'elevait au milieu d’une sorte de clairi`ere de trois cents m`etres carr'es environ. Tout autour, la propri'et'e 'etait cern'ee par les pins s’'etendant jusqu’`a la mer d’un c^ot'e, de l’autre jusqu’`a la voie du chemin de fer de Bordeaux `a Bayonne. La propri'et'e des Fargeaux comprenait non seulement le ch^ateau proprement dit, vieille demeure assez d'elabr'ee, mais aux lignes pittoresques et qui, si elle avait 'et'e bien entretenue aurait eu du cachet, mais encore d’un assez vaste pavillon de chasse construit en plein bois, et dont un c^ot'e bordait une sorte de marais creus'e pour le drainage des eaux, cependant que l’autre s’appuyait aux flancs d’une colline de sable sur laquelle les pins poussaient comme ils pouvaient.
C’'etait vers ce pavillon que Delphine se dirigea. La jeune femme marchait `a pas pr'ecipit'es. De temps `a autre, elle s’arr^etait brusquement, pr^etait l’oreille, puis n’entendant rien, se remettait `a courir. Si la nuit n’avait pas 'et'e obscure, si quelqu’un s’'etait trouv'e l`a pour la regarder, il aurait constat'e que Mme Fargeaux 'etait compl`etement transfigur'ee depuis quelques instants. Son air distrait et rev^eche avait fait place `a une physionomie souriante, gaie, heureuse, rayonnante de bonheur. Nullement inqui`ete de s’avancer ainsi dans la nuit, en pleine obscurit'e, Mme Fargeaux se rapprocha encore du pavillon. Elle 'etait `a quelques m`etres de la maison lorsque de l’ombre, soudain, surgirent deux hommes jusqu’alors invisibles, cach'es qu’ils 'etaient derri`ere les troncs d’arbres.
Delphine s’approcha d’eux, les mains tendues.
— Tout est-il pr^et ? demanda-t-elle.
Les deux hommes s’inclin`erent respectueusement, l’un d’eux prit la main de la jeune femme dans la sienne, la porta `a ses l`evres.
Ce galant interlocuteur r'epondit avec un fort accent espagnol :
— Tout est pr^et, se~nora, vous pouvez compter sur nous.
Il disait quelques mots `a son compagnon qui hochait la t^ete affirmativement, puis les trois personnages se rapproch`erent du mur du pavillon de chasse, et s’entretinrent longuement.
Ils ne parlaient plus francais mais basque et semblaient discuter avec animation. L’entretien toutefois ne dura pas longtemps. Delphine fit volte-face, quitta ses interlocuteurs :
— Il faut que je rentre, d'eclara-t-elle.
Puis, se remettant `a parler francais, elle ajouta :
— Je serai exacte, mais ayez bien soin de faire comme je vous l’ai dit.
L’un des deux hommes sourit en d'ecouvrant une ligne nacr'ee de fort jolies dents et dit :
— Soyez certaine, se~nora, que nous agirons avec la plus grande brusquerie, les cris, les plaintes ne nous feront pas peur.
L’autre surench'erit, roulant les r terriblement :
— Au contraire, il en faut, nous donnerons tout le temps voulu pour qu’on puisse les entendre.
— `A tout `a l’heure, r'ep'eta Delphine.
— Dans combien de temps ?
— Un quart d’heure, vingt minutes peut-^etre, sit^ot mon fr`ere parti, ce qui ne peut tarder car il doit prendre le train de dix heures quarante-cinq pour Bayonne.
Mme Fargeaux quitta brusquement ses myst'erieux interlocuteurs et reprenant exactement le chemin qu’elle avait suivi pour venir jusqu’au pavillon de chasse, elle allait se rapprocher du ch^ateau lorsque soudain elle s’arr^eta. La jeune femme regarda instinctivement `a ses pieds ; un p^ale rayon de lune percait `a ce moment l’obscurit'e de la nuit et Delphine, non sans surprise, constata que sa jupe 'etait saupoudr'ee de ce sable blanc et l'eger qui constitue le sol habituel des terrains o`u poussent les pins maritimes.
— Apr`es tout, se dit-elle, cela n’a aucune importance.
Mais `a ce moment pr'ecis, la jeune femme tressaillit et laissa 'echapper un cri de surprise. L’arbre auquel elle s’'etait machinalement appuy'ee venait de trembler, et le sol sur lequel elle marchait avait boug'e 'egalement. Quelque chose avait 'et'e projet'e sur elle. C’'etait encore une pluie l'eg`ere de sable fin.
Quelques instants plus tard, Delphine faisait mine d’entrer dans l’'etable, pour en sortir bruyamment et faire croire `a son mari, comme `a son fr`ere, qu’elle y 'etait rest'ee tout le temps de son absence. Au m^eme moment, elle entendit le grelot du tilbury que le domestique amenait devant le perron. La voiture s’arr^eta `a peine devant la porte du ch^ateau, Martial bondit dedans, prit des mains du cocher les r^enes, fouetta le cheval et partit, criant comme adieu `a son beau-fr`ere :
— Je suis trop en retard pour prendre cong'e de Delphine, vous l’embrasserez pour moi.
— Soyez tranquille, r'epondit Timol'eon, embrasser ma femme, c’est mon affaire.
Et le gros homme, nullement pr'eoccup'e par l’absence de son 'epouse, ralluma sa pipe, cependant que Delphine 'ecoutait, dissimul'ee le long du mur, dans l’ombre.
2 – MORDU ?
— Eh adieu, monsieur Peyrat !
— Eh adieu, madame Labour`es ! Autrement, aujourd’hui, vous allez bien ?
— Pas trop mal, monsieur Peyrat. Mais j’ai tout de m^eme bien du souci. C’est pour Saturnin que je viens vous voir.
— Qu’a-t-il donc, le cher enfant ?
— Vous allez me le dire.
Mme Labour`es se retourna, traversa `a grandes enjamb'ees, les deux poings sur les hanches, la petite boutique de M. Peyrat, autorit'e du village o`u il exercait les fonctions de pharmacien depuis bien pr`es de vingt ans :
— Saturnin, appela Mme Labour`es, viens donc. Entre, pas
Mais, arriv'ee sur le seuil de la boutique, Mme Labour`es s’arr^etait, d'econtenanc'ee :
— Bon, voil`a que le Saturnin a encore disparu. « D'ecid'emeng », cet enfant me fera manger les sangs.
M. Peyrat, par sympathie, avait quitt'e le comptoir derri`ere lequel il passait ses journ'ees enti`eres, occup'e `a somnoler ou `a projeter de grandes r'eformes politiques. Il rejoignit sa cliente. Lui aussi, appela :
— Saturnin, allons, Saturnin, viens donc ! Je te donnerai des r'eglisses !
En vain.
La boutique 'etait construite au seuil m^eme du petit village de Beylonque. C’'etait la derni`ere maison habit'ee de l’unique rue. Tout pr`es, recommencaient les pignadas, les 'enormes bois de pins, au sol feutr'e par les aiguilles r'esineuses, `a l’atmosph`ere d’ombre et de myst`ere, qui s’'etendent uniformes sur des kilom`etres.
— Mon Dieu, cria Mme Labour`es, avec un geste de col`ere, je parie qu’il s’est encore enfui. Ce garcon-l`a, il n’y a pas moyen d’obtenir qu’il s’'eloigne, f^ut-ce cinq minutes, des pignadas.