La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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Personne.
Soudain, Delphine sursauta, son mari l’avait rejointe :
— Que fais-tu-l`a ? demanda-t-il, est-ce que ce sont les Borel ?
— Ce ne sont pas les Borel, il n’y a personne, absolument personne. Retourne pr`es de mon fr`ere.
`A huit heures trente-cinq, on se mit `a table, de guerre lasse, et sans les Borel.
Qui 'etaient donc les Fargeaux ?
Depuis six ou sept ans, les deux 'epoux habitaient d’une facon constante le ch^ateau de Garros, nom pompeux donn'e `a une bicoque passablement vieillotte et d'elabr'ee, qui s’'elevait `a neuf kilom`etres de la barre de l’Adour et non loin de la mer, dans les for^ets de pins qui commencent `a cet endroit du d'epartement des Landes et se continuent vers le nord, jusqu’aux portes m^emes de Bordeaux.
Timol'eon Fargeaux, homme du nord, avait 'et'e amen'e par le hasard et les circonstances, `a s’installer dans cette r'egion et `a s’occuper d’exploitations agricoles. Il avait connu `a Dax la famille de sa future femme, de petits commercants ais'es, retir'es des affaires. Il avait 'epous'e Delphine.
Les deux 'epoux menaient une existence paisible.
Les parents de Delphine 'etaient morts et la jeune femme n’avait plus, comme famille, que son fr`ere cadet, fort bel homme `a l’allure de conqu'erant, qui connaissait peu de d'efaites aupr`es des dames. Plus d’une paire de beaux yeux s’'etaient emplis de larmes lorsque le jeune homme 'etait parti au service. Apr`es dix mois de s'ejour en Afrique, le militaire 'etait revenu avec un cong'e de convalescence et un magnifique uniforme qui ne pouvait lui nuire aupr`es des belles.
Le d^iner se passa, maussade, comme tous les d^iners auxquels manquent les convives attendus.
En ma^itresse de maison 'econome, Delphine regrettait le plat suppl'ementaire qu’elle avait command'e, et Timol'eon n’'etait pas autrement satisfait d’avoir `a servir trois vieilles bouteilles, pr'ecieusement conserv'ees dans sa cave, et dont seul le spahi pourrait lui vanter les m'erites.
Quant `a celui-ci, il 'etait assur'ement de tr`es mauvaise humeur et ne d'ecol'erait pas au sujet de l’absence incompr'ehensible des Borel.
— Ils auraient bien pu pr'evenir, grommelait-il, et si Borel n’'etait pas libre, il n’avait qu’`a envoyer sa femme.
Ce n’'etait un secret pour personne, en effet, que le spahi courtisait la jolie 'epouse de ce M. Borel, qui habitait dans une petite propri'et'e isol'ee en plein milieu des landes et d'elabr'ee.
Que faisaient M. et Mme Borel dans un pays perdu, en plein milieu des for^ets de pins, dans la r'egion des pignadas ? Nul n’aurait pu l’expliquer avec pr'ecision.
Il apparaissait que les Borel vivaient tr`es simplement, appartenaient `a une cat'egorie sociale assur'ement plus distingu'ee que les Fargeaux. C’'etait, croyait-on, des gens du grand monde qui ayant eu des revers de fortune s’'etaient install'es `a la Bicoque par mesure d’'economie.
M. Borel faisait de fr'equentes absences, tandis que sa femme, au contraire, s’'ecartait peu de son habitation et ne fr'equentait qu’un nombre restreint de personnes du voisinage.
Les Fargeaux avaient connu les Borel par Martial. Ils ne les auraient peut-^etre jamais rencontr'es sans cela, 'etant donn'e qu’une quarantaine de bons kilom`etres les s'eparaient.
On d'eplora leur absence, donc, puis on parla de la culture des pins.
— Moi, dit Timol'eon, l’homme du nord, je trouve qu’un arbre est bon `a saigner d`es qu’il a pass'e la quatorzi`eme ann'ee.
— Avec ce syst`eme-l`a, r'epliqua le spahi, vous tuerez la poule aux oeufs d’or, et dans quelques ann'ees il ne restera plus rien de votre pignada.
— Croyez-vous ?
— Je ne le crois pas, poursuivit le spahi, j’en suis s^ur. Vous ne pouvez pas conna^itre la question. Vous, un homme du nord, mais nous autres Gascons, nous sommes renseign'es. Tenez, il y a un proverbe qui dit :
Mais, ent^et'e, Timol'eon hochait la t^ete :
— Moi, fit-il, je suis d’une autre 'ecole, il y en a m^eme que j’ai saign'es `a la treizi`eme ann'ee.
La discussion s’'eternisa. Cependant les deux hommes vidaient les bouteilles de bon vieux vin, et Delphine, elle, restait silencieuse. La petite femme semblait pr'eoccup'ee. Perp'etuellement elle regardait le cartel pendu au mur en face d’elle, et paraissait vivement s’int'eresser `a la marche r'eguli`ere et constante des aiguilles. Lorsque dix heures sonn`erent, Delphine, comme mue par un ressort, se leva de table :
— O`u vas-tu ? demand`erent les deux hommes.
La jeune femme 'etait d'ej`a sur le seuil de la porte. Elle r'epliqua d’un air embarrass'e :
— Je sors un instant, ne m’attendez pas, je m’en vais voir le boeuf malade.
— Qu’est-ce qu’il a ce boeuf ? demanda le spahi.
— Il a… est-ce que je sais ce qu’il a ? C’est toujours la m^eme chose dans ce sacr'e pays avec les b^etes de travail. D’abord ce boeuf ne mange pas, c’est `a peine si on peut le nourrir lorsqu’on est rest'e devant lui `a l’app^ater pendant deux heures, puis il doit avoir mal aux dents, il est tout le temps `a d'echiqueter le pl^atre de l’'etable, `a mordiller les murs.
Le spahi interrompit son beau-fr`ere :
— C’est connu ce cas-l`a, il y en a beaucoup de semblables, vous n’avez qu’`a en parler `a votre « brassier » il mettra un peu de navets ou de carottes dans la nourriture de la b^ete.
Timol'eon protestait qu’il avait d'ej`a pris ses pr'ecautions et une longue discussion s’amorcait entre les deux hommes, qui ne n'egligeaient cependant point d'esormais, tout en causant, de d'eguster force verres d’un excellent Armagnac, dont Timol'eon Fargeaux se faisait une gloire, justifi'ee du reste.
Cependant, Delphine, apr`es s’^etre assur'ee d’un coup d’oeil perspicace que son fr`ere et son mari n’'etaient point dispos'es `a la suivre, avait en h^ate jet'e une mantille sur ses 'epaules et elle 'etait sortie de la maison.
Comme si elle craignait d’^etre observ'ee, la jeune femme, affectant de faire le plus de bruit possible, s’'etait directement rendue du c^ot'e de l’'etable construite pr`es de l’aile droite de la propri'et'e. Elle avait ouvert tapageusement la porte du local r'eserv'e aux boeufs, mais ne s’y 'etait pas introduite.