La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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L’endroit indiqu'e par le garde-chasse se trouvait au beau milieu d’une sorte de colline de sable, d’une v'eritable dune d'eserte, qu’`a coup s^ur, Martial Altar`es n’avait d^u traverser que pour abr'eger une promenade et regagner au plus vite, par la traverse, le ch^ateau.
— D’o`u vient-on par l`a ? demanda Juve, d'esignant les lointains du parc.
— On vient de la gare, Monsieur, c’est le chemin direct.
— Et la grand-route, o`u passe-t-elle ?
— Tout pr`es de la gare, Monsieur.
— Tr`es bien, merci.
Juve n’insista pas autrement.
— Monsieur Anselme Roche, dit le policier, restez ici. Attendez-moi. Je ne sais rien, je ne comprends rien. Je n’invente rien. Mais tout de m^eme il me semble qu’il va se passer des choses, des choses. Enfin, nous verrons bien.
Sur ces paroles 'enigmatiques, Juve 'echangea une cordiale poign'ee de main avec le magistrat, puis il partit `a grands pas.
***
— Quoi de nouveau, cher Monsieur ?
— Rien du tout. C’est un d'esastre, un scandale abominable, un affreux malheur.
La cigarette `a la bouche, le chapeau un peu inclin'e sur l’oreille, une certaine nervosit'e dans les mouvements, Juve interrogeait maintenant le g'erant de l’Imp'erial H^otel qui, depuis le vol, s’arrachait les cheveux, au comble du d'esespoir :
— 'Evidemment, concluait Juve, ce qui est arriv'e est f^acheux, tr`es f^acheux, et vous allez avoir de grosses responsabilit'es. Mais enfin, votre administration est riche, et ce n’est pas deux ou trois cent mille francs qui…
Le g'erant s’'etait redress'e.
— Vous oubliez l’honneur, d'eclara-t-il, la r'eputation de la maison, la renomm'ee de l’Imp'erial. Jusqu’ici, Monsieur, nous n’avions jamais eu de rats d’h^otel, jamais de scandale, jamais d’incidents. Et il y a trois ans que l’h^otel est ouvert. Ah, avec ce vol, notre saison prochaine est gravement compromise, et puis enfin…
— Allez donc, vous disiez ?
— J’allais dire que vous parlez `a votre aise du montant des responsabilit'es. Nous ne les connaissons pas encore. Non seulement il y a l’argent de l’h^otel qui a disparu, ce qui est en somme peu de chose, mais il y a les bijoux, tous les bijoux de la client`ele. Il y a les papiers d’affaires qui nous 'etaient confi'es. Actuellement, tenez, Monsieur le policier, je ne pourrais pas m^eme vous dire quel est le montant de nos pertes. J’ai des clients qui vont peut-^etre ^etre ruin'es. Monsieur Timol'eon Fargeaux, le propri'etaire du ch^ateau de Garros… Eh bien, Monsieur, il avait dans notre coffre-fort une serviette de maroquin bourr'ee de documents commerciaux, il 'etait fou quand on lui a appris le vol. Je ne sais pas quelle indemnit'e nous devrons lui payer.
— Monsieur Fargeaux est venu ? Vous l’avez vu ?
— Il est encore ici, il est dans le hall. Il lit des lettres arriv'ees pour lui, et savez-vous…
Mais Juve ne savait pas, et ne devait jamais savoir ce que le g'erant pr'etendait lui apprendre. Le policier, en toute h^ate, en effet, s’'etait lev'e :
— J’ai deux mots `a dire `a M. Fargeaux, dit-il. Vous permettez ? Je vais le voir et je reviens, dit-il.
Juve sortit du bureau directorial, gagna le salon de lecture :
— Ah c`a, pensait le policier, quelle peut bien ^etre la correspondance que Timol'eon Fargeaux se fait adresser `a Biarritz. J’admets `a la rigueur qu’il ait confi'e `a l’h^otel les documents n'ecessaires `a son commerce. Mais il n’a aucune raison de se faire adresser des lettres ici. Un commercant, que diable, doit lire son courrier chaque matin. Pourquoi ne se fait-il pas 'ecrire `a Garros ?
Timol'eon Fargeaux 'etait assis tout au fond de la petite pi`ece, devant une table et lisait avec un soin extr^eme une lettre qui parut `a Juve assez courte.
Le bizarre n'egociant, d’ailleurs, avait une attitude qui n’'etait pas sans surprendre le policier. Tr`es p^ale, il tremblait, de plus.
— Oh, oh, pensa Juve, voici un homme qui apprend des choses bien int'eressantes… Comment vais-je pouvoir les apprendre, moi aussi ?
Mais si Juve m'editait de lire la lettre qui retenait l’attention de Timol'eon Fargeaux, il devait ^etre d'ecu dans ses esp'erances. Le mari de Delphine, en effet, brusquement, et comme s’il se f^ut dout'e de la surveillance dont il 'etait l’objet, se leva, enfila son paletot, se coiffa, puis sortit du salon de lecture `a grands pas.
Timol'eon Fargeaux tenait toujours `a la main la lettre qu’il venait de recevoir. Sur le seuil du salon de lecture, il s’arr^eta pour la relire. Puis il repartit et vingt m`etres plus loin, encore une fois, il s’immobilisa, parcourut des yeux le papier.
— Mis'ericorde, murmura Juve, cet homme-l`a apprend la lettre par coeur. H'e, h'e, cela devient int'eressant.
Comme Timol'eon Fargeaux sortait de l’h^otel, Juve, cent m`etres derri`ere lui, entreprit de le pister.
D’abord cette filature ne donna aucun r'esultat. Le ch^atelain de Garros traversait les rues 'el'egantes de Biarritz, se dirigeant vers un faubourg.
— Est-ce que par hasard, songeait le policier, cet animal-l`a me m`ene tout juste chez un minotier ? Non, j’aime `a croire que je vais apprendre quelques d'etails plus instructifs.
Timol'eon Fargeaux, d’ailleurs, devait ^etre en proie `a une grave pr'eoccupation. Ainsi qu’il l’avait d'ej`a fait, il s’arr^eta `a trois ou quatre reprises encore, en pleine rue, pour lire la lettre qu’il tenait toujours et semblait consid'erer avec une r'eelle 'emotion.
— Nous verrons bien, songeait toujours Juve. O`u qu’il aille, j’irai. Et le diable m’aidant, il faudra bien que j’arrive `a conna^itre ce qu’il lit avec tant d’attention.
Brusquement Timol'eon Fargeaux se livrait `a une 'etrange manoeuvre. Il venait d’arriver, suivi de tr`es loin par Juve, dans une rue d'eserte, la rue Christine, et semblait d’un coup d’oeil s’assurer que nul ne l’observait. Bien persuad'e que tout 'etait d'esert, que nul ne l’'epiait, Timol'eon Fargeaux s’adossa `a la muraille d’une sorte de grand magasin et commenca `a marcher `a pas r'eguliers et longs, `a la facon d’un homme qui compte ses enjamb'ees. La manoeuvre 'etait si claire que Juve, `a cent m`etres de l`a, occup'e `a lire un journal qu’il tendait devant son visage, mais dans lequel il avait perc'e des trous, ce qui lui permettait de ne pas perdre un seul des mouvements de Timol'eon, compta les enjamb'ees du marchand de grains.