La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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— C’est le moment, c’est l’instant, murmura Juve, si je ne suis pas le dernier des imb'eciles, je suis un grand homme et je vais savoir si Timol'eon Fargeaux est, oui ou non, une crapule.
L’'egout dans lequel s’engageait Juve 'etait encore moins haut que celui qu’il venait de quitter. Juve, qui 'etait d’une taille plut^ot 'elev'ee, se vit donc forc'e de marcher presque courb'e en deux, position dans laquelle il est fort difficile de se retourner.
Il y avait bien cinq minutes que Juve avancait, lorsque soudain il s’arr^eta :
— Oh, oh, murmura le d'etective, il me semble que l’on marche derri`ere moi.
Arr^et'e, Juve tendit l’oreille, mais il avait d^u se tromper car le silence 'etait complet.
Juve fit encore quelques pas, puis `a nouveau il s’arr^eta :
— Cette fois j’imagine que je suis bien au bon endroit.
`A la place o`u Juve venait de s’immobiliser, d'ebouchait au-dessus de sa t^ete un regard creus'e en forme de soupirail et mettant en communication le ruisseau de la rue Christine avec l’'egout o`u se trouvait le policier.
Il se haussa sur la pointe des pieds, il arriva presque `a la hauteur o`u d'ebouchait le soupirail, il vit de niveau la chauss'ee de la rue Christine.
— Personne, pensa Juve, absolument personne. Car j’imagine bien que Timol'eon Fargeaux respectera scrupuleusement les ordres qu’on lui a donn'es, c’est-`a-dire, comptera sept, puis quatre, il viendra de la sorte au milieu m^eme de la rue.
Le policier, en se glissant dans l’'egout, avait choisi le plus merveilleux observatoire et en m^eme temps la plus subtile cachette pour voir, sans ^etre vu, entendre sans ^etre entendu, ce que Timol'eon Fargeaux pouvait bien faire ou dire lorsqu’il venait ainsi, au milieu de la rue Christine.
Juve 'etait `a son poste depuis peut-^etre quatre ou cinq minutes, et d'ej`a s’impatientait d’une attente vaine, lorsque, avec la rapidit'e qui lui 'etait coutumi`ere, il 'eteignit sa lampe 'electrique pour s’accroupir dans l’ombre.
— Cette fois, se dit le policier, j’en suis certain, on a march'e tout pr`es d’ici, dans l’'egout o`u je suis. Ah, Bon Dieu, si par hasard c’'etait…
Retenant sa respiration, invisible et ne faisant aucun bruit, Juve demeura de longues minutes, attendant, guettant. Son obstination devait ^etre r'ecompens'ee. Alors qu’il supposait `a nouveau s’^etre tromp'e, alors qu’il 'etait pr^et `a se relever pour voir si nul ne venait dans la rue Christine, Juve entendit, fort distinctement et tout pr`es de lui, quelqu’un marcher dans l’eau de l’'egout :
— Ce doit ^etre un employ'e de l’administration, pensa Juve, si c’'etait… Assur'ement il marcherait sur le trottoir et par cons'equent…
Juve h'esitait sur la conduite `a tenir et peut-^etre allait-il se d'ecider `a allumer sa petite lampe 'electrique pour apercevoir au moins le personnage qui s’approchait de lui, lorsque les pas se firent si proches, si distincts, que certainement celui qui venait avait cess'e de marcher dans l’eau pour grimper sur le trottoir.
— C’est cela, pensa Juve, souriant malgr'e le tragique de la situation, cet individu-l`a ne se doute pas que je suis ici, il va tout `a l’heure me marcher sur la t^ete, avec ses pieds sales. Comme c’est amusant.
La situation d’ailleurs, ne pouvait s’'eterniser. Juve, sans bouger et sans faire le moindre bruit, attendit quelques secondes encore, puis, `a l’improviste, alluma sa lampe 'electrique, en hurlant :
— Halte, service de la S^uret'e.
Juve s’attendait, 'evidemment, `a ^etre en face, sinon d’un 'egoutier, car un 'egoutier ne se f^ut pas promen'e sans lampe, du moins d’un inoffensif vagabond 'etant venu chercher l`a un abri contre le froid. Mais dans la clart'e brusque qui jaillissait de sa petite lampe, c’'etait un personnage arm'e jusqu’aux dents qui lui apparaissait, un homme qui tenait `a la main un revolver, dont le visage disparaissait sous une casquette `a visi`ere rabaiss'ee, dont les jambes 'etaient garnies de bottes, et qui, surpris par la clart'e, poussa un grand cri.
— Halte, r'ep'eta Juve, les mains en l’air. Qui ^etes-vous ?
Mais aux injonctions du policier, l’homme ne sembla nullement press'e de r'epondre. Avant que Juve eu le temps de se reconna^itre et de parer l’attaque, l’individu, en effet, avait bondi en avant. Juve 'eprouva la sensation d'esagr'eable d’^etre saisi `a bras le corps, bouscul'e, jet'e presque dans l’'egout, un coup de poing violent l’'etourdi `a demi, puis un bruit de pas, l’homme fuyait.
La lampe de Juve, dans la bagarre, s’'etait 'echapp'ee de ses mains et probablement cass'ee car il r'egnait une obscurit'e d’encre maintenant dans l’'egout. Juve, pourtant, ne perdait pas son temps. Tirer un coup de feu 'etait impossible car les balles pouvaient ricocher le long des parois et revenir le frapper lui-m^eme. Juve sans h'esiter l^acha son revolver et, s’armant d’un poignard qu’il tirait de sa ceinture, se jeta en avant, `a la poursuite du fuyard.
— Nom d’un chien, grommelait Juve, ca n’est pas Fant^omas, j’en suis s^ur, mais c’est s^urement un de ses complices.
Vingt m`etres peut-^etre le policier courut dans le noir. Il ne courut pas loin, car, au moment o`u il s’y attendait le moins, le sol lui manquait, et Juve, pour la seconde fois, d'egringola dans le ruisseau de l’'egout. Le trottoir qu’il avait suivi jusqu’alors cessait en effet brusquement et c’'etait 'evidemment pour cela que, quelques instants avant, l’homme, en venant, avait march'e dans le ruisseau.
Juve qui s’'etait fait tr`es mal, car sa t^ete avait heurt'e contre les parois de pierre, fut cependant debout en moins d’une seconde. Que lui importait la douleur, que lui faisaient ses blessures, devant lui, `a quelques m`etres peut-^etre, l’homme qui venait de l’attaquer si brusquement fuyait. Il le rejoindrait. Il allait le rejoindre et cela co^ute que co^ute. Toujours courant, tr'ebuchant sur le fond visqueux du ruisseau, les mains tendues en avant, n’osant aller vite, car il 'etait difficile d’avancer dans le noir, Juve marcha cinq cents m`etres encore. Mais il arriva bient^ot `a un croisement de divers 'egouts et il comprenait qu’il lui fallait bien s’arr^eter, 'etant sans lumi`ere, ne sachant plus o`u il se trouvait, ne pouvant deviner quel chemin avait suivi le fuyard.
— Sapristi, gronda Juve, je suis jou'e et bien jou'e, jou'e comme un enfant !
M'elancolique, il revint sur ses pas. Juve, quelques minutes apr`es se trouvait `a nouveau `a la hauteur du soupirail donnant rue Christine. Il 'etait remont'e sur le trottoir et, en marchant, il eut la joie de sentir sous ses pieds sa petite lampe 'electrique. Juve se baissa, ramassa l’objet. Par bonheur la lampe n’'etait pas cass'ee, dans la chute elle s’'etait simplement 'eteinte.
— Je suis sauv'e, dit Juve.