La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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Les deux hommes r'epondirent en m^eme temps :
— La femme, d'eclara B'eb'e en clignant de l’oeil…
— Le vin, poursuivait le Bedeau en hochant la t^ete.
Une demi-heure apr`es, Fant^omas trinquait avec Domenico. Le sinistre bandit avait pri'e Jos'e Farina de lui apporter son meilleur X'er`es et l’aubergiste ne s’'etait pas fait faute d’aller choisir aux fins fonds de la cave les bouteilles qui co^utaient le plus cher.
`A cette premi`ere bouteille en avait succ'ed'e une autre et Fant^omas, g'en'ereux ce soir-l`a, commandait toujours du meilleur.
Domenico buvait, s’enivrait toujours plus. Mais l’honn^ete gardien de phare ne d'emordait point pour cela de son id'ee. Il lui restait une demi-heure, au bout de laquelle il partirait, rejoindrait son poste.
En vain le Bedeau, B'eb'e et m^eme Fant^omas s’'evertuaient-ils `a lui persuader que son coll`egue d'esirait prendre encore cette semaine de garde, en vain rappelaient-ils `a Domenico que quelques heures auparavant encore, il 'etait d’accord sur ce point, Domenico ne se souvenait plus de rien et voulait `a toute force partir `a l’heure dite pour aller au phare. Le moyen de l’en emp^echer ? On ne pouvait mat'eriellement pas lui interdire de gagner son poste. Fant^omas et ses complices savaient que s’ils avaient voulu s’emparer de Domenico, il y avait dans la salle des buveurs, appartenant `a la marine, au service du port, qui auraient protest'e, qui auraient pr^et'e main-forte `a Domenico. Rien `a faire non plus contre lui dans la rue, l’auberge de Jos'e Farina 'etait `a trois pas de l’embarcad`ere o`u Domenico devait trouver des hommes pour le conduire en barque jusqu’au phare. Il ne restait donc qu’un seul moyen : c’'etait de faire boire Domenico, jusqu’`a ce qu’il f^ut ivre, compl`etement ivre, incapable de penser et encore moins d’agir. On buvait donc et furieusement.
Soudain, la porte du cabaret s’ouvrit, livrant passage `a une personne dont l’arriv'ee d'eterminait un long murmure d’admiration :
C’'etait une superbe fille, une Espagnole assur'ement, qui portait une sorte de costume national tenant `a la fois du navarrais et du castillan. Elle 'etait toute jeune, tr`es brune, elle portait au bras un grand panier de fleurs et tenait entre les dents, par la tige, une grosse rose rouge, aux p'etales velout'es. Elle s’approcha des buveurs :
Instinctivement, elle 'etait all'ee droit `a Fant^omas et, avec un gracieux sourire, lui demandait :
— Des fleurs, pour votre bonne amie.
— H'elas, grommela le bandit, je n’en ai point.
— Cela viendra, fit la bouqueti`ere en clignant de l’oeil.
Elle avait un regard hardi, narquois, presque t'em'eraire, qui plaisait au bandit.
— Cela viendra, surtout, poursuivit-il galamment, si je rencontre souvent sur mon chemin des jolies filles comme toi. Je t’ach`ete tout ton panier.
— Merci, se~nor, fit la bouqueti`ere en 'eclatant de rire.
Le bandit l’attira aupr`es de lui.
— Que fais-tu ?
L’Espagnole fixait Fant^omas de ses grands yeux sombres.
— Tout ce qu’il vous plaira, dit-elle.
— Et tu t’appelles ?
La jolie fille se pencha sur lui et murmura doucement, non sans une pointe de vanit'e dans son accent :
— Mon nom ? personne ne le sait, mais on me surnomme ici la Recuerda.
— Pas mal, fit Fant^omas, cela ressemble `a Recuerda, qui veut dire, si je ne me trompe
— On m’oublie rarement, se~nor, r'epliqua la jolie fille, lorsqu’on m’a connue.
— Je songerai `a toi et j’y songerai avec mon coeur, fit-il, si tu me rends un service.
— De quoi s’agit-il ? demanda l’Espagnole…
Fant^omas d'esignant Domenico, expliqua :
— Il importe que pendant toute cette nuit tu emp^eches cet homme de sortir d’ici. Il faut le retenir, non point par force, mais par la douceur, montre-toi aimable avec lui et je serai g'en'ereux.
Fant^omas mit une pi`ece d’or dans la main brune de l’Espagnole dont le regard s’illumina de joie.
— Il sera fait comme tu d'esires, noble seigneur, murmura-t-elle.
Cependant, Domenico semblait de plus en plus d'ecid'e `a partir pour le phare.
Heureusement, il 'etait aussi de plus en plus ivre et, s’il parvint `a se lever avec l’intention de sortir de l’auberge de Jos'e Farina, il se trouvait toujours une chaise ou un escabeau pour le recevoir et cela 'etait heureux, car, `a chaque pas qu’il faisait, il chancelait et serait tomb'e par terre sans cet appui.
Une fois cependant, Domenico parvint `a se rapprocher de la porte, mais, d`es lors, surgissait devant lui la gracieuse Espagnole.
La troublante fille s’'etait saisie d’un tambourin et devant le gardien de phare, instinctivement attir'e par la silhouette s'eduisante de l’Espagnole, celle-ci, esquissait les premiers pas d’une danse populaire. Ses yeux cherch`erent le regard vitreux du gardien ivre. Les bras potel'es de l’Espagnole se nou`erent autour du torse puissant de Domenico :
— Avec moi, murmura-t-elle, danse avec moi.
Le gardien de phare cherchait `a se d'egager, mais, autour de lui tout tournait, il avait le vertige, il 'eprouvait le besoin de s’appuyer sur quelque chose, de perp'etuellement se retenir `a quelqu’un. Or, c’'etait le corps souple de l’Espagnole qui d'esormais, sans cesse, se trouvait l`a pour lui servir d’appui.
Un vague musicien, auquel on avait fait signe et qui dormait `a moiti'e sur une table, avait pris sa guitare et accompagnait des accents de son instrument la chanson vibrante que commencait `a interpr'eter la Recuerda, cependant que tous les buveurs, assembl'es autour d’elle, reprenaient le refrain en choeur en frappant dans leurs mains. Une f^ete joyeuse s’amorcait, nul n’avait plus l’intention de s’en aller, bien au contraire, c’'etait `a qui resterait.
D'ecid'ement, la Recuerda remplissait `a merveille son r^ole, seule femme au milieu de tous ces hommes, elle savait faire la conqu^ete de tous, sans cependant cesser de s’occuper plus particuli`erement de Domenico, ainsi que le lui avait recommand'e le g'en'ereux se~nor.
Celui-ci cependant avait disparu depuis longtemps et, avec lui s’'etaient 'eclips'es B'eb'e et le Bedeau. Les trois complices, 'evidemment, avaient `a faire, puisqu’ils s’'etaient r'esign'es `a laisser Domenico sous la seule garde de cette jeune Espagnole.
`A l’aube, cependant, la f^ete diminuait d’intensit'e, on 'etait quelque peu essouffl'e. Beaucoup dormaient sur les tables, plus encore 'etaient allong'es dessous. Domenico s’arracha `a son assoupissement. Cette fois, rien ne pouvait le retenir, il poussait des cris sauvages, il voulait `a toute force aller au phare rejoindre son poste, il se d'esesp'erait `a l’id'ee que son coll`egue 'etait parti depuis la veille et que le phare, toute la nu^it, 'etait rest'e sans gardien.