La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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Et tout naturellement Juve s’'etait dit :
— Qui donc peut offrir de restituer ces papiers, si ce n’est le voleur ?
C’'etait donc avec l’espoir de s’emparer de l’audacieux malfaiteur qui avait cambriol'e l’Imp'erial H^otel, c’est-`a-dire de Fant^omas, car Juve 'etait persuad'e que Fant^omas 'etait le coupable, que Juve se rendait dans l’'egout. Malheureusement, ce n’'etait pas Fant^omas. Juve n’avait m^eme pas le temps de reconna^itre les traits de l’individu qui se pr'esentait. 'Etait-ce un lieutenant de Fant^omas ? 'Etait-ce au contraire un quelconque criminel ? Allez savoir.
Il savait encore moins, tout d’abord, ce que pouvait signifier le contenu du paquet qu’il retrouvait dans l’'egout.
Que diable pouvait vouloir dire, en effet, cet 'eclat d’obus tach'e de sang ?
Juve, brusquement avait chang'e d’avis : ce que Timol'eon Fargeaux avait pay'e vingt-cinq mille francs, ces vingt-cinq mille francs qu’il avait dans sa poche, c’'etait pr'ecis'ement ce morceau d’obus.
— Donc, concluait Juve, Timol'eon Fargeaux estime que ce morceau d’obus vaut, pour lui, vingt-cinq mille francs. Si Timol'eon Fargeaux paye vingt-cinq mille francs un morceau d’obus tach'e de sang, se disait Juve, c’est que cet obus tach'e de sang a pour lui une grande importance. Or, Timol'eon Fargeaux a peut-^etre tu'e son beau-fr`ere, Martial Altar`es, retrouv'e dans son ch^ateau de Garros, la poitrine d'efonc'ee, 'ecras'ee. Exactement comme s’il avait 'et'e tu'e par un boulet de canon.
Juve, en sortant de l’'egout, en prenant le chemin des quartiers luxueux de Biarritz, r'efl'echissait `a l’'etonnante d'ecouverte qu’il venait de faire :
— Parbleu, se disait le policier, c’est stupide 'evidemment d’aller inventer que Martial Altar`es a 'et'e tu'e d’un coup de canon. Que diable, on ne tire pas le canon en France sans que cela se sache. Et cependant, 'etant donn'ees les circonstances, sait-on jamais.
***
La main sur le bec-de-cane de la porte du commissariat, Juve ouvrait la bouche pour demander `a parler au magistrat, lorsque, n’'etant pas encore rentr'e tout `a fait dans la salle commune, il s’arr^eta, immobile, muet de stup'efaction :
Au centre de cette salle commune, discutant avec le brigadier, il y avait un homme : Timol'eon Fargeaux, tr`es p^ale, qui agitait dans sa main le morceau d’obus tach'e de sang que Juve venait de lui vendre subrepticement.
— Ah ca, hurla le policier, bondissant vers Timol'eon, qu’est-ce que vous faites ici. Monsieur ? comment ^etes-vous l`a ? et qu’est-ce que c’est que ce morceau d’obus ?
Or, si Juve 'etait stup'efait, Timol'eon Fargeaux apparaissait tout aussi ahuri. Le beau-fr`ere du spahi ne connaissait pas Juve. Le brigadier non plus. Aucun des agents qui se trouvaient dans le poste de Biarritz n’avaient jamais eu affaire `a l’inspecteur de la S^uret'e de Paris. Juve devint le centre d’un groupe de gens abasourdis, tous les yeux le fix`erent, cependant que Timol'eon Fargeaux b'egayait :
— Ce que je fais ici ? mais je me plains. Je porte plainte pour un chantage 'epouvantable dont je viens d’^etre victime. Je suis d'eshonor'e. Monsieur, je suis ruin'e, Monsieur, on m’a vol'e des papiers qui me sont indispensables, une lettre anonyme m’a offert leur restitution, moyennant vingt-cinq mille francs, j’ai donn'e ces vingt-cinq mille francs tout `a l’heure, et voil`a ce que l’on m’a remis : ce morceau d’obus o`u il y a du sang.
Timol'eon Fargeaux paraissait parler avec une enti`ere bonne foi. Juve, cependant en l’'ecoutant, se demandait :
— Est-ce qu’il ment, ce bonhomme-l`a ? est-ce qu’il joue une effroyable com'edie ? Pourtant c’est bien volontairement qu’il est venu au poste, et pourtant aussi je ne peux pas douter qu’il venait `a l’'egout pour acheter r'eellement ce morceau d’obus.
`A br^ule-pourpoint, Juve annoncait :
— Monsieur Fargeaux, votre beau-fr`ere, Martial Altar`es est mort, assassin'e. On l’a tu'e chez vous d’un boulet de canon.
Timol'eon Fargeaux, bl^eme, s’'evanouit presque.
Juve l’empoigna par le bras. Il exhiba au brigadier an'eanti sa carte d’agent de la S^uret'e. Il entra^ina le grainetier hors du poste :
— Monsieur Fargeaux, r'ep'etait Juve, c’est le morceau du boulet que vous avez dans votre poche qui a tu'e votre beau-fr`ere. Venez. Nous avons `a causer.
20 – LE CABARET DE JOS'E FARINA
Jos'e Farina, Basque de naissance, Espagnol par ses anc^etres et Francais d’inclination, tient une auberge dans la rue Basse qui m`ene au port Vieux.
Dans cette auberge, qui est `a la fois une h^otellerie et un cabaret, on trouve des chambres pour se loger et y dormir la nuit, mais si on le pr'ef`ere, on peut, lorsqu’on y p'en`etre le soir, y attendre le lever du jour dans la salle commune o`u l’on fume et o`u l’on boit. Car l’h^otellerie de Jos'e Farina ne ferme jamais, pour les intimes du moins.
Certes, en apparence, et pour satisfaire aux exigences de la police, on a l’habitude, lorsque approche minuit, de mettre sur la devanture du cabaret d’'epais volets de bois renforc'es de barres de fer, mais cela ne signifie point qu’`a l’int'erieur ait sonn'e le couvre-feu ; bien au contraire, c’est surtout lorsque l’'etablissement est assur'e par ces cl^otures de la discr'etion forc'ee des passants, que ses habitu'es se r'eunissent et s’y tiennent avec le plus de plaisir.
Se l’autre c^ot'e de la rue, l’auberge de Jos'e Farina s’ouvre sur un jardin assez vaste entour'e de hauts murs. Il embaume l’'et'e, car il y pousse des plantes quasi-tropicales, qui 'emettent des senteurs violentes, mais agr'eables. M^eme au plein coeur de l’hiver il n’y fait pas froid. Les palmiers y croissent sans difficult'e et les plantes grasses rapport'ees d’Afrique s’y 'epanouissent sans souffrance.
Le jardin comporte un jeu de boules, que l’on fr'equente beaucoup le dimanche apr`es-midi ou encore, en 'et'e, le soir de six `a huit heures.
Il se passe, d’ailleurs, toutes sortes de choses dans la maison de Jos'e Farina.
Tandis que les uns jouent aux boules, au fond du jardin, dans la salle du cabaret, on taquine volontiers la dame de pique, cependant qu’`a certaines tables ceux qui m'eprisent ces sortes de jeux concluent d’importants paris en consultant des programmes multicolores. Ceux-l`a sont les amateurs de corrida qui risquent leur argent sur les chances de tel ou tel tor'eador.
Jos'e Farina, en homme prudent et avis'e, a fait 'etablir dans sa maison deux ou trois issues peu connues du public, parmi lequel se m^elent toujours des bavards et des espions. Il lui est arriv'e `a plusieurs reprises et dans des circonstances graves, de faire dispara^itre ceux que la police veut `a toute force appr'ehender et cela si habilement que les agents ne peuvent accuser Jos'e Farina de s’^etre fait le complice des malfaiteurs poursuivis. Une seule fois seulement on a soupconn'e Farina d’avoir aid'e `a la fuite d’un voleur, en lui ouvrant un piano dans lequel le malfaiteur s’'etait dissimul'e tout le temps que la police le recherchait.