La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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Mais Bec-de-Gaz, passant `a un autre ordre d’id'ees, rappela la pr'esence d’OEil-de-Boeuf `a la jeune fille.
— Allons le voir, il va ^etre heureux comme tout de te rencontrer.
H'el`ene se m'efiait d’aller dans les endroits o`u pouvaient ^etre OEil-de-Boeuf et ses compagnons.
— Ne peut-il pas venir ici ?
— Non, fit myst'erieusement Bec-de-Gaz, car il est en train de d'ejeuner.
— Il est sept heures du soir ?
— On s’en est bien apercu. M^eme qu’on a trouv'e le temps joliment long. Seulement, voil`a ce qui s’est pass'e : figure-toi, la Gu^epe, que ce matin, sur le coup de onze heures, on a eu tous les deux, comme ca, OEil-de-Boeuf et m'ezigue, l’id'ee de bien se taper la t^ete avec un bon bout. Pour lors, on est rentr'e dans une sorte de bistro, tout ce qu’il y a de l`a et on s’est envoy'e des escargots, de la bouillabaisse, des trucs `a l’oignon et des machins `a l’ail. Et puis le gigot, avec des fayots autour, m^eme qu’OEil-de-Boeuf en a vers'e une larme en disant que ca lui rappelait le ballon. Naturellement, il a fallu arroser toute cette bidoche, et on s’est envoy'e cinq ou six chopines par le tournant de la gueule.
— Comme de juste. Et puis ?
— Seulement, poursuivit celui-ci, il a fallu apr`es le caf'e, le pousse-caf'e, la rincette et la surrincette, le gloria [4] et tout le tremblement, demander aux singes de nous faire voir la douloureuse. Ah, mince alors, la Gu^epe. Tu parles d’une bobine que nous avons faite tous les deux, Bec-de-Gaz et OEil-de-Boeuf. Il nous en avait coll'e pour une pi`ece de vingt-sept francs cinquante. Justement, on est fauch'e. On a fini tout de m^eme par r'eunir une pi`ece de deux thunes et demi. Sans doute que ca faisait pas le compte. OEil-de-Boeuf tirait d'ej`a des plans pour se d'ebiner par la cuisine, pendant que moi j’aurais caval'e par la fen^etre, quand tout d’un coup il m’est venu une id'ee :
— Quelle 'etait-elle, la combine ?
— 'Ecoute plut^ot : il manquait du p`eze, fallait en trouver. Comment c’est-y qu’on s’en procure ? Sans doute, il y a plusieurs mani`eres, mais c’est dangereux de le barboter, tandis que lorsqu’on le gagne en turbinant, tout le monde vous respecte et vous salue. Je m’en vas turbiner, que j’dis `a OEil-de-Boeuf, et pendant qu’y reste `a siroter chez le bistro, moi j’cavale dans la rue. Y avait un bourgeois qui attendait, devant la porte, une voiture pour le mener `a la gare, il avait sa malle sur le trottoir et paraissait aussi embarrass'e avec qu’un cheval auquel on aurait fait cadeau d’une bo^ite de dominos. « Faites pas de bile, bourgeois, que j’lui dis, j’vas vous ramener une roulante. » Je cavale jusqu’`a la station, je fais rappliquer un taxi, et pour ce travail, c’est une pi`ece de deux francs qui tombe dans la patte `a Bec-de-Gaz. Pendant une heure encore, je gratte dans le patelin, je fais des trucs `a la manque, n’importe quoi : j’ouvre les porti`eres, je demande la charit'e aux vieilles dames, au bout d’une heure, j’avais quinze francs. Je rapplique dans le bistro. Ca y est que j’dis `a OEil-de-Boeuf, on peut raquer la douloureuse et se d'ebiner ensuite. OEil, prend la galette, fait le compte : c’est pas assez qu’il me dit. — Si donc, que j’lui r'eponds. — Non, qu’il me redit, car pendant qu’t’'etais au turbin, moi j’ai recommenc'e `a bouffer et `a boire, et je m’en suis coll'e pour sept francs de rab. Qu’est-ce que tu voulais que je fasse, la Gu^epe ? Je traite OEil-de-Boeuf de saloperie, et j'lui dis : Va-t-en turbiner `a ton tour. Moi, je reste dans le bistro pour qu’on n’ait pas l’air de vouloir se trotter. OEil-de-Boeuf se d'ebine ; quelques minutes apr`es, y revenait avec dix francs. Comment qu’il avait gagn'e ca en si peu de temps ? Oh, c’'etait simple : il avait eu la veine de rencontrer deux godelureaux `a la manque qui discutaient tout haut des courses. « Moi, disait le premier, je suis s^ur que c’est 'Eclaireur qui gagne. — Jamais de la vie, r'epond l’autre, Favorita a toutes les chances. » OEil-de-Boeuf a une id'ee tout d’un coup. Il s’am`ene aupr`es des deux types : « Donnez-moi un louis qu’il leur dit `a l’oreille, et je vous donne le gagnant. Je connais la combine, j’travaille chez l’entra^ineur ». Naturellement, les deux poires marchent, `a moiti'e cependant, ils donnent dix francs `a OEil-de-Boeuf, qui leur dit au hasard : « Jouez sur 'Eclaireur tout ce que vous pourrez ». — Ah, fait le premier, je te l’avais bien dit ». Mais pendant ce temps-l`a OEil-de-Boeuf cavale et viens me retrouver. Seulement, moi, pour m’occuper, j’avais donn'e un baiser `a la bouteille de fine, et…
— Et, naturellement, il manquait encore de l’argent.
— Comme tu dis. Seulement, le plus emb^etant, c’est qu’apr`es ^etre reparti pour retrouver la galette, je trouve peau de balle et balai de crin. Et pendant ce temps-l`a, voil`a d'ej`a deux heures que ca dure, qu’est-ce que OEil-de-Boeuf doit ^etre en train de passer `a l’ardoise ?
— Conduis-moi l`a, dit-elle, j’ai de l’argent et je vous avancerai ce qui vous manque.
Quelques instants apr`es, H'el`ene, suivie de Bec-de-Gaz entrait dans le petit restaurant, cependant qu’OEil-de-Boeuf, `a moiti'e ivre, ne trouvait pas un mot pour saluer l’arriv'ee de la Gu^epe.
— On va prendre un verre, dit-il, c’est gentil d’^etre venue jusqu’ici pour retrouver les aminches, car, tu parles que l’on se barbe dans ce sacr'e patelin.
***
Une heure apr`es, H'el`ene et ses deux 'etranges amis faisaient honneur `a un succulent repas. C’'etait Bec-de-Gaz qui avait sugg'er'e qu’'etant donn'ee l’heure, on pouvait parfaitement d^iner au m^eme endroit.
Si H'el`ene avait d'ecid'e de partager le repas de Bec-de-Gaz et d’OEil-de-Boeuf, c’est qu’elle voulait obtenir d’eux des renseignements. Les deux apaches ne demandaient d’ailleurs pas mieux que de causer.
C’est ainsi que la jeune fille apprit les circonstances dans lesquelles les services de la S^uret'e, synth'etis'es par Juve, avaient d'ecouvert l’'etrange disparition de Fleur-de-Rogue, et finalement identifi'e le cadavre.
H'el`ene se fit raconter de m^eme que le Bedeau, depuis la mort de sa ma^itresse, semblait compl`etement an'eanti, abruti, qu’il faisait gaffe sur gaffe, et attirait chaque jour sur lui le courroux de Fant^omas.
— Fant^omas est-il donc par ici ?
— S’il est ici ? s’'ecria Bec-de-Gaz, et comment, plut^ot deux fois qu’une !
L’apache raconta alors `a H'el`ene comment Fant^omas, une quinzaine de jours auparavant, avait, dans un bouge de la Glaci`ere, retrouv'e le Bedeau qui voulait se faire conduire en prison, et embauch'e l’amant de Fleur-de-Rogue dans une bande qui devait aller travailler aux environs de Bayonne et de Biarritz. On leur avait pay'e le voyage jusqu’`a Bayonne o`u ils se trouvaient, et depuis lors, ils n’avaient plus eu de nouvelles de personne et ils commencaient `a s’ennuyer, parce que l’argent recu en avance 'etait enti`erement d'epens'e.
— Car, vous n’en n’aurez plus, avait dit Fant^omas, d'ebrouillez-vous comme vous l’entendrez pour assurer votre existence. Et je ne veux pas entendre parler de mauvais coups, je ne veux pas qu’on descende des pantes [5]. Compris ?
— Je te demande un peu, la Gu^epe, ce qui nous reste `a faire ?
— S^ur, reprit Bec-de-Gaz, la mat'erielle n’est pas commode `a gagner, dans ces conditions.
OEil-de-Boeuf reprenait :
— Surtout que Fant^omas m’a l’air de ne pas y aller avec le dos de la cuill`ere, dans ce patelin-l`a, ca remue, ca grouille depuis qu’il est arriv'e. De tous les c^ot'es on entend parler que de vols, que de crimes.
H'el`ene p^alit. Bec-de-Gaz venait de raconter, non sans une certaine admiration pour le policier, comment Juve avait failli pincer le Bedeau dans un 'egout, et comment il avait emp^ech'e, par suite, Fant^omas de se procurer les vingt-cinq mille francs dont il avait besoin.
— Comment sais-tu tout ca ? demanda H'el`ene.
— Par B'eb'e, expliqua l’apache.
— Ah c`a, songea H'el`ene, ils sont donc tous l`a ? Qu’'etait devenu Fandor dans tout cela ?
Au d'ebut de leur entretien avec elle, Bec-de-Gaz et OEil-de-Boeuf avaient laiss'e entendre qu’on croyait le journaliste parti de Paris puis, qu’il avait disparu `a la suite du fameux accident de l’express de Bordeaux.
Mieux que personne, OEil-de-Boeuf et Bec-de-Gaz 'etaient renseign'es sur cette affaire, mais ils n’avaient voulu fournir `a H'el`ene aucun renseignement compl'ementaire. Ils connaissaient les sentiments de la jeune fille `a l’'egard du journaliste.
H'el`ene, toutefois, avait retenu ce fait de son long entretien avec les deux apaches : que Juve devait ^etre retourn'e au ch^ateau de Garros o`u il s’agissait pour lui d’enqu^eter avec le procureur de la R'epublique, sur la mort myst'erieuse du spahi.