La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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Or, Anselme Roche, maintenant, ne pouvait plus h'esiter. Le coup de feu qui avait tu'e Timol'eon Fargeaux, ne venait-il pas, lui, de le voir tirer ? `A c^ot'e de la lorgnette `a laquelle il se cramponnait avec une fi'evreuse nervosit'e, n’y avait-il pas un mousqueton, un mousqueton de cavalerie encore chaud ?
Certes, de l’endroit o`u il se trouvait au ch^ateau de Garros, il y avait tout pr`es de douze cents m`etres, mais une carabine de cavalerie l'eg`ere tire juste jusqu’`a une distance de quinze cents m`etres `a peu pr`es. Et le drame ainsi apparaissait `a Anselme Roche dans toute sa simplicit'e.
— Je cherche le nom du meurtrier, se d'eclara soudain Anselme Roche, en frissonnant, mais parbleu, qui donc peut avoir eu l’id'ee d’un attentat aussi l^ache et aussi savant, si ce n’est Fant^omas, si ce n’est ce M. Borel ?
L’oeil toujours coll'e `a la longue-vue, Anselme Roche pourtant assistait `a la fin de l’entretien qu’avait Juve avec l’individu v^etu de la blouse bleue.
Le magistrat ne comprenait rien du tout d’ailleurs `a l’attitude du policier qui semblait plus curieux qu’irrit'e `a l’endroit de son interlocuteur. Il comprenait moins encore ce que faisait ce dernier pour, de gros qu’il 'etait, devenir subitement maigre. Il se croyait enfin le jouet d’un nouveau cauchemar, lorsqu’il voyait l’inconnu arracher sa perruque, sa moustache, d'epouiller sa blouse et appara^itre dans un veston de la meilleure coupe, avec un visage compl`etement glabre.
— Je deviens fou, cria M. Anselme Roche.
Le magistrat n’en dit pas plus long. Dans l’exc`es de son trouble, il avait compl`etement oubli'e la situation instable o`u il se trouvait et avait voulu lever les bras au ciel. Le mouvement 'etait instinctif, mais il pr'esentait un r'eel danger, et la suite des 'ev'enements le lui prouva de facon p'eremptoire.
`A peine le procureur de Bayonne avait-il en effet cess'e de se cramponner pour ex'ecuter un geste de lamentation, de d'esespoir, qu’il perdit l’'equilibre, d'egringola dans le vide, `a grands fracas.
L’arbre sur lequel 'etait juch'e le magistrat n’'etait heureusement pas bien haut. M. Anselme Roche commenca par rebondir sur une branche voisine, se retint `a un rameau qui c'eda sous son poids, puis enfin, alla choir, poussant des cris d'echirants, au milieu d’un massif de ronces, o`u il s’'ecorcha et se piqua de la facon la plus d'esagr'eable.
Or, il 'etait encore assis par terre, tout 'etourdi de sa chute et fort en peine de savoir comment il allait se d'egager des ronces qui l’agrippaient de partout et le faisaient atrocement souffrir au moindre mouvement qu’il tentait, lorsqu’il entendait se pr'ecipiter vers lui quatre ou cinq personnes dont les voix lui 'etaient totalement inconnues. Anselme Roche, `a ce moment ne conserva plus la moindre esp'erance.
— Je suis perdu, pensa le pauvre homme. `A coup s^ur voil`a Fant^omas et ses complices, je n’ai plus que quelques minutes `a vivre.
Le magistrat se trompait. Les inconnus qui survenaient, – ils 'etaient au nombre de quatre – 'etaient descendus d’une automobile passant sur le chemin, et dont le moteur ronflait encore. Ils n’avaient nullement l’aspect de bandits et semblaient, au contraire, courtois, fort aimables.
— Mis'ericorde.
— Par la vierge del Pilar, vous n’^etes point bless'e au moins, se~nor ?
Anselme Roche, ahuri, regarda un grand jeune homme qui, `a l’un des bouts du massif de ronces dont il occupait le centre, l’interrogeait d’une voix pleine d’int'er^et, mais aussi une 'evidente envie de rire :
— Je ne suis pas bless'e, Monsieur, r'epondit le magistrat, du moins je ne crois pas, mais vous me voyez fort en peine et ne sachant comment me tirer de l’endroit o`u je me trouve. Je me pique aux moindres mouvements.
L’inconnu 'eclata de rire, ne pouvant 'evidemment plus r'esister au comique de la situation, il s’en excusa d’ailleurs de la meilleure gr^ace :
— Pardonnez-moi, Monsieur, faisait-il, j’ai eu grand-peur en vous voyant tomber, je suis heureux maintenant que vous en soyez quitte pour quelques 'ecorchures. Voyons, tendez-moi la main, nous allons, mes amis et moi, 'ecarter les ronces et vous tirer de l`a.
Derri`ere le grand jeune homme, v^etu d’un costume d’automobiliste fort 'el'egant, deux autres jeunes gens avaient fait leur apparition, suivis eux-m^emes d’un monsieur d’un certain ^age qui paraissait de m'echante humeur.
Anselme Roche, pourtant, ne s’attardait pas `a consid'erer ses sauveteurs improvis'es. Il faisait ce qu’on lui avait dit. Il tendait la main et parvenait, gr^ace `a l’aide qu’on lui pr^etait, `a se d'egager tout `a fait.
— Messieurs, commenca le magistrat, permettez-moi de vous remercier infiniment de votre aide obligeante.
Et comme il 'etait naturel, Anselme Roche, acheva :
— Vous me pardonnerez de me pr'esenter moi-m^eme, alors que je suis dans une tenue et dans un 'etat plut^ot bizarres, je me nomme Anselme Roche, je suis procureur de la R'epublique au Tribunal civil et correctionnel de Bayonne.
Or, le magistrat n’avait pas achev'e de se nommer qu’il semblait qu’un revirement se faisait dans l’esprit de ses sauveteurs.
Le vieux monsieur qui, jusqu’alors, n’avait rien dit, s’approchait en effet du magistrat et l’interrogeait avec un fort accent espagnol d’une voix qui roulait les r.
— Se~nor, d'eclarait-il, je serais fort heureux de savoir pourquoi, si vous ^etes procureur de la R'epublique `a Bayonne, vous 'etiez grimp'e dans cet arbre ?
La question 'etait si naturelle qu’Anselme Roche ne crut pas pouvoir refuser d’y r'epondre :
— J’'etais en train de me livrer `a une enqu^ete de police, affirmait-il. En passant, j’avais apercu, de la route o`u stationne votre voiture, quelque chose qui brillait. Je suis mont'e dans cet arbre, j’y ai trouv'e un fusil, une longue-vue, et en regardant dans cette longue-vue…
Anselme Roche n’acheva pas.
Alors qu’il contait exactement ce qu’il avait fait avec la plus enti`ere bonne foi, le vieux monsieur avait brusquement saut'e sur lui et l’avait b^aillonn'e d’un foulard de soie qu’il sortait de sa poche.
— Aidez-moi, ordonna-t-il en m^eme temps, tenez ce se~nor !
Le troisi`eme jeune homme, cependant, avait lestement grimp'e dans l’arbre d’o`u le magistrat venait de tomber. Lui aussi, collait son oeil `a la longue-vue et poussait un cri d’horreur en apercevant la chambre o`u gisait le cadavre du malheureux Timol'eon Fargeaux.