La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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Bouzille atterr'e, parlementa, raisonna, accumula les mal'edictions, mais l’Am'ericain que la sc`ene amusait, tint bon :
— Donnez-moi cent sous, mon cher Monsieur, r'ep'etait-il inlassablement, et je vous dis o`u est Juve.
Contraint et forc'e, Bouzille s’ex'ecuta.
— Voil`a cinq francs, d'eclara avec regret le chemineau. Si vous voulez, M. Backefelder, vous vous associerez avec moi. Vous avez le sens du commerce. Enfin, passons. O`u est Juve ?
L’Am'ericain haussa les 'epaules :
— Je ne sais pas. Il n’est pas l`a en tout cas, il n’est pas `a Garros non plus, peut-^etre est-il sur un bateau, et ce bateau est peut-^etre sur la mer. Cherchez et vous trouverez.
Sur cette r'eponse 'enigmatique, Backefelder, laissait Bouzille tout d'econtenanc'e, et offrait galamment son bras `a Delphine Fargeaux :
— Je crois, Madame, que nous ferions mieux de nous 'eloigner d’ici, voulez-vous venir avec moi ?
Delphine Fargeaux, d'ej`a, avait rajust'e ses cheveux, pris un sourire aimable, elle r'epondit en jetant au millionnaire une oeillade incendiaire :
— Je veux bien, Monsieur. Avec plaisir.
26 – LA GARDIENNE DU FEU
Mais Fandor, qu’'etait-il donc devenu ? Depuis le pillage de l’express, dans la for^et embras'ee, avait-il 'et'e mis `a mort par la bande de Fant^omas ?
Le journaliste, lorsqu’il s’'etait vu brutalement jet'e dans le poussier garnissant le tender de la locomotive, avait bien pens'e, en effet, vivre les derni`eres minutes de sa malheureuse existence :
— Je suis fichu, se disait Fandor avec cette philosophie r'esign'ee qui lui 'etait particuli`ere, ca devait m’arriver et par cons'equent cela ne m’'etonne pas, mais tout de m^eme je regrette une chose, c’est qu’ayant les yeux pleins de charbon, je ne peux pas voir la facon dont on va m’exp'edier dans l’autre monde.
Fandor, d’ailleurs, devait ^etre rapidement satisfait. S’il d'esirait apercevoir ses agresseurs, il n’eut pas longtemps `a attendre, non seulement pour les regarder, mais encore pour les reconna^itre.
Une secousse brutale l’arracha au tas de charbon. On lui lia les mains et les pieds. On le bourra `a coups de poing, on le b^aillonna et ceux qui agissaient ainsi n’'etaient autres qu’OEil-de-Boeuf et Bec-de-Gaz, dirig'es par le Bedeau lui-m^eme, c’est-`a-dire le principal lieutenant de Fant^omas.
— Ca va bien, pensa Fandor, acceptant toujours avec une extr^eme philosophie ce qu’il ne pouvait emp^echer, ca va tr`es bien. Tout `a l’heure ils vont me balancer sur la voie et je serai proprement coup'e en deux, ou trois ou quatre morceaux par les roues des wagons attel'es `a cette locomotive du diable.
Fandor se trompait. Apr`es vingt minutes d’une course folle, le train stoppait, le journaliste 'etait jet'e sur un talus et l`a, impuissant, il assistait `a un cambriolage en r`egle des wagons et des bagages.
— De plus en plus amusant, se d'eclara le journaliste, voil`a maintenant que je suis au Ch^atelet et que j’assiste `a l’attaque d’un convoi par les Peaux-Rouges.
C’'etaient bien des Apaches, mais des apaches parisiens qui pillaient le train, et la situation n’'etait rien moins que rassurante pour Fandor qui devait s’attendre d’une minute `a l’autre `a ce que le pillage une fois termin'e, on rev^int s’occuper de lui.
Une fois encore, cependant, le journaliste devait se tirer indemne de la terrible aventure qui lui arrivait.
Loin de le mettre `a mort, comme cela semblait in'evitable, ses agresseurs se contentaient tout tranquillement, leur pillage achev'e, de le rouler dans une grande couverture de voyage, tel un paquet et de l’emporter.
— Je ne peux pas voir le paysage, conclut Fandor et c’est bien dommage, car j’imagine que dans une petite heure, j’aurai le plaisir de me trouver face `a face avec mon vieil ami Fant^omas.
Pour Fandor en effet, l’affaire 'etait claire. C’'etaient les hommes de Fant^omas qui avaient arr^et'e le train. C’'etaient eux qui avaient d^u incendier la for^et. Le hasard seul avait voulu que Fandor se trouv^at dans ce train. Il avait 'et'e reconnu. On l’avait fait prisonnier. Ce n’'etait que provisoirement qu’il avait la vie sauve. Fant^omas n’oubliait rien.
Emport'e `a dos d’homme par de robustes compagnons, Fandor, apr`es une demi-heure de marche `a travers champs, se sentit d'epos'e, sans aucune douceur, dans une voiture automobile dont le moteur tourna. Ses ravisseurs, vraisemblablement, prirent place sur la banquette alors que lui-m^eme fut jet'e sur le plancher, puis la voiture d'emarra.
— On m’offre une promenade. Tr`es bien. Il y a quelque chose comme ca dans l’histoire des condamn'es `a mort. C’est en voiture qu’on les conduit `a la guillotine. Je me demande par exemple si c’est `a un supplice aussi doux que la guillotine que l’on me v'ehicule maintenant.
La voiture roulait toujours. On devait traverser des villages, peut-^etre m^eme p'en'etrer dans une grande ville car Fandor, de dessous son b^aillon, entendait ou croyait entendre des timbres de tramways, des bruits de roues et des grincements d’essieux.
L’automobile tourna plusieurs fois enfin, comme si elle marchait `a travers des rues encombr'ees. Brusquement les freins hurl`erent.
— Le terme du voyage, songea Fandor, m'elancolique.
On le prit par les pieds et la t^ete, on le transporta. `A nouveau il 'etait jet'e sur un plancher de bois dont il identifiait imm'ediatement la nature :
— Tiens, c’est rigolo, me voil`a dans une barque, suis-je sur un fleuve par exemple, sur un lac, ou dans la mer ? apr`es tout je m’en fiche. Il est probable que tout `a l’heure on me balancera dans l’onde, j’aurai tout le loisir voulu pour en d'eguster assez et reconna^itre ainsi si c’est de l’eau sal'ee ou de l’eau douce.
La barque cependant d'erapait, et Fandor ne pouvait garder la moindre illusion `a la houle qui secouait l’embarcation : elle voguait sur la mer.
— Bougre, songea le journaliste, ca se complique. On ne va pas encore j’esp`ere m’enfermer dans une caisse et m’envoyer `a l’autre bout du monde. J’en ai assez, sapristi, des voyages en wagon capitonn'e.