La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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Juve, surexcit'e par la poursuite `a laquelle il se livrait et se sentant tout pr`es d’atteindre le but, 'eprouvait au fond de lui-m^eme une satisfaction intense `a l’id'ee que le d'enouement qui approchait d'esormais 'etait in'evitable.
— `A nous deux, Fant^omas ! cria-t-il.
Mais, `a ce moment, Juve poussa un juron. Le bandit venait de dispara^itre. Il avait saut'e de la jet'ee, semblait s’^etre perdu dans la mer. Juve se pr'ecipita jusqu’`a l’extr^eme pointe de la digue avanc'ee au milieu des flots.
— Il ne sera pas dit que Fant^omas m’'echappera, s’'ecria-t-il.
Et Juve sauta `a son tour par-dessus le parapet, s’'elanca `a la poursuite de Fant^omas, car Juve, en un 'eclair, avait compris ce qui se passait. Et, avec une t'em'erit'e sans pareille, il avait d'ecid'e de poursuivre co^ute que co^ute le Ma^itre de l’Effroi dans ses p'erilleuses entreprises.
Un bateau `a vapeur, de petites dimensions, que Juve n’avait pas remarqu'e jusqu’alors, avait 'evolu'e dans le port au moment o`u la poursuite prenait place. Il dansait sur les vagues, ballott'e comme une coque de noix, cependant que sa chemin'ee vomissait des torrents de fum'ee qui venaient, en nuages d’encre, se perdre dans l’obscurit'e de la nuit. Or, au moment pr'ecis o`u Fant^omas atteignait l’extr'emit'e de la jet'ee, ce vapeur doublait la digue, la rasant de pr`es. Et Fant^omas avait bondi, en un saut prodigieux.
Mais le bandit ne s’'echappa pas de la poursuite que lui livrait son audacieux adversaire, car Juve, une seconde apr`es, n’'ecoutant que son courage et au risque de tomber dans les flots qui battaient furieusement le pied de la digue, bondit `a son tour pour tomber lui aussi sur le pont du navire. Le policier fit une chute invraisemblable. Arriv'e sur un paquet de cordes, il fut projet'e par un coup de roulis, la t^ete contre un bastingage, et son bras, fortement contusionn'e l^acha, sous la violence de la douleur, le revolver qu’il tenait `a la main.
— Cr'enom de bonsoir, jura Juve en se relevant, me voil`a mal parti dans cette affaire !
Mais le policier n’eut pas le temps de r'efl'echir. Une lame qui secouait le navire et le faisait fr'emir jusqu’au fond de ses flancs, mouilla Juve des pieds `a la t^ete et le projeta contre l’une des poutrelles qui soutenaient une sorte de dunette, o`u un homme venait de monter. On entendit dans la temp^ete les commandements retentir :
— Barre `a tribord, toute.
Puis des bruits de cha^ines, commandant le gouvernail, et qui prouvaient que l’ordre avait 'et'e ex'ecut'e. D’autres commandements. C’'etaient des indications relatives `a la vitesse des machines. Le porte-voix les transmettait dans les entrailles du navire d’o`u s’'elevaient des bruits sourds, cependant que sur les flots qui le ballottaient, naissait `a l’arri`ere du vapeur un bouillonnement d’'ecume toute blanche, d'etermin'e par le battement des h'elices.
Quelques instants s’'etaient `a peine 'ecoul'es que Juve se rendait compte que la jet'ee 'etait d'ej`a loin. On 'etait en mer. O`u allait-on ? `a bord de quel navire Juve se trouvait-il ? sur quel terrain allait-il avoir `a soutenir la lutte supr^eme avec Fant^omas ?
Mais le policier ne r'efl'echit pas longtemps. Pour r'esister au tangage qu’accompagnait le roulis, il s’'etait fortement accroch'e `a la colonne de fer qui soutenait la passerelle. Soudain, `a quelques m`etres de lui, une silhouette se dressa, un homme se dressa, qui l’interpella :
— Eh bien, Juve, vous voil`a ?
— Vous voil`a, Fant^omas ?
Juve 'etait furieux contre lui-m^eme. Ah, que n’avait-il pu conserver son revolver. S’il avait eu son arme `a ce moment, il aurait froidement tir'e, tir'e `a bout portant. Il aurait, sans discussion pr'ealable, abattu comme un chien l’^etre effroyable et terrible qu’il poursuivait depuis tant d’ann'ees. Juve ne pouvait rien. Il 'etait d'esarm'e. Il se tut.
Quelqu’un, cependant, du haut de la passerelle, appelait :
— Patron, quelle direction cette nuit ?
C’est `a Fant^omas que l’on s’adressait 'evidemment, car le sinistre bandit de sa voix claironnante et narquoise, r'epliqua aussit^ot :
— Comme toujours, sur le phare de l’Adour. Puis, quand tu seras arriv'e, mets en panne devant la pignada du ch^ateau de Garros.
Malgr'e tout son courage et son sang-froid in'ebranlable, Juve fr'emit. Fant^omas dictait des ordres au pilote du navire, c’est donc qu’il n’'etait pas par hasard `a bord de ce vapeur. Son enl`evement avait 'et'e combin'e `a l’avance et il s’'etait merveilleusement ex'ecut'e. On avait tendu `a Juve une sourici`ere et, en poursuivant Fant^omas, il 'etait tomb'e dans le pi`ege. Ce navire, 'evidemment, 'etait men'e par les hommes du G'enie du Crime.
— Ca y est, pensa Juve, cette fois, je suis foutu.
R'esign'e `a son sort, n’essayant pas m^eme de se pr'ecipiter sur Fant^omas, qu’il devinait arm'e, qu’il sentait entour'e de complices tout pr^ets `a le d'efendre `a la premi`ere attaque, Juve ne broncha pas. Cependant, Fant^omas s’adressait `a nouveau `a lui :
— Vous ^etes mon prisonnier, Juve.
Sa voix dominait le bruit de la temp^ete, le grondement sourd des machines, le clapotement des flots sur les flancs du navire.
— Votre prisonnier ? r'epondit Juve, jamais !
— Vous r'esisterez donc ? demanda Fant^omas.
— Je r'esisterai jusqu’`a la mort.
Il y eut un silence. Un coup de sifflet retentit. Puis le navire s’'ecarta de sa ligne, faisant une embard'ee terrible, embarquant un large paquet de mer.
Et Juve, `a ce moment, se demanda s’il ne valait pas mieux en finir tout de suite, s’il n’'etait pas pr'ef'erable pour lui de chercher un tr'epas volontaire en se pr'ecipitant dans les flots. Mais il connaissait son devoir, il devait jusqu’au bout se conserver vivant, jusqu’`a son dernier souffle, il devait garder l’espoir de soutenir la lutte, et de triompher.
Fant^omas s’'etait tu, et il semblait `a Juve que ces secondes tragiques duraient des si`ecles.
Enfin, le bandit reprit, et d'esormais c’est d’une voix toute chang'ee, qu’il s’adressait au policier. Fant^omas fit m^eme un pas vers lui, pour lui dire :
— Ce n’est pas la mort, Juve, que je vous offre, c’est la paix. J’ai besoin de vous.
— Vraiment, Fant^omas ? Ne savez-vous donc pas `a qui vous vous adressez pour oser faire une proposition semblable ? Sachez que je n’aurai pas piti'e de vous si je suis le plus fort, je ne m’abaisserai jamais `a vous demander gr^ace.