La fille de Fant?mas (Дочь Фантомаса)
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`A coup s^ur, le r^eve du jeune homme commencait.
Juve, d`es lors, tenant pour certain que son voisin ne pouvait plus remarquer l’insistance avec laquelle il le regardait, prenait moins de pr'ecautions. Il se retourna sur son lit pour ^etre orient'e de son c^ot'e.
Entre lui et le jeune homme, une seule barri`ere subsistait, peu g^enante, le plateau sur lequel se trouvaient dispos'es les accessoires de la fumerie de Teddy et un grand vase de fleurs de cristal, que Teddy avait regard'e, fixement, de ses yeux dilat'es avant de se renverser en arri`ere pour s’abandonner aux hallucinations de l’opium.
Or Juve regardait depuis quelques instants Teddy, lorsque soudain il sentit une sueur froide lui perler aux tempes. Juve 'etait haletant, Juve 'etait livide. Juve 'etait au comble de l’'emotion.
Aussi bien ce qu’il voyait 'etait affolant, ahurissant, effroyable.
Oui, ce que Juve voyait, au travers du vase de fleurs, pos'e entre ce vase de fleurs et Teddy, c’'etait… oh ! il ne pouvait pas en douter, c’'etait une t^ete de mort, c’'etait un cr^ane, un cr^ane dont il distinguait les moindres d'etails.
Et Juve, qui depuis le matin m^eme entendait parler continuellement de t^ete de mort, qui savait qu’une t^ete de mort avait une grande importance dans les dangers o`u se d'ebattait actuellement J'er^ome Fandor, Juve qui savait que son voisin s’appelait Teddy et qui n’ignorait pas qu’un Teddy connaissait Fandor, Juve, `a la vue de ce cr^ane, pensait mourir de surprise.
Le policier qui, malgr'e lui, se sentait de plus en plus 'etourdi par la lourde atmosph`ere de la fumerie, par les relents d’opium qu’il respirait, fit effort sur lui-m^eme :
Ce cr^ane qu’il voyait `a travers ce vase, il voulait le voir de plus pr`es. Il voulait ^etre certain qu’il le voyait.
Tous les fumeurs 'etaient plong'es dans une extase b'eate. Nul ne remarquait ses gestes.
Juve se dressa, s’assit sur son s'eant, se pencha pardessus le vase pour apercevoir le cr^ane.
D’un geste machinal, Juve, alors, se prit le front `a deux mains :
— Voyons, voyons, se disait-il, est-ce que je suis ivre ? est-ce que rien que cette odeur d’opium m’a gris'e compl`etement ? j’avais bien cru voir un cr^ane, je me suis tromp'e ?
Juve se recoucha…
Mais comme il avait repris sa premi`ere position, voil`a qu’`a nouveau, au travers du vase de fleurs, il apercevait la lugubre t^ete de mort.
Juve, cette fois, d’un seul bond se redressa.
Non, il n’'etait pas victime d’une hallucination, il voyait clair, il y avait un cr^ane, l`a, que diantre.
Pench'e par-dessus le vase, Juve `a nouveau dut se convaincre de la r'ealit'e des choses : il n’y avait pas de cr^ane.
Le policier v'ecut alors une minute d’indescriptible stupeur. Il voyait quelque chose qui n’'etait pas, qui n’existait pas et il en avait conscience.
— 'Etait-ce donc l`a, se demandait-il encore une fois, l’effet de l’opium ?
Mais le r^eveur qui s’abandonne `a l’opium ne raisonne pas, et Juve raisonnait.
Soudain le policier sursauta.
Brutale, nette, violente, une d'etonation venait de retentir, un coup de canon.
Alors, dans l’'etat d’'enervement o`u il 'etait, Juve perdit son c'el`ebre sang-froid.
Tandis que les autres fumeurs demeuraient impassibles, indiff'erents aux d'etonations qui se succ'edaient, Juve, lui, se leva, courut `a la porte, quitta la fumerie, se retrouva dans la rue et, avec des gestes de fou, il se pr'ecipita vers le port d’o`u semblait provenir le bruit.
`A peine Juve pouvait-il jeter un coup d’oeil vers la haute mer qu’il comprit imm'ediatement le motif de cette canonnade.
Au large, on voyait le British Queenqui br^ulait.
Le vent et la mar'ee le drossaient vers la c^ote. C’'etait sur lui que les canons terriens crachaient leur mitraille, sur lui que, sans doute l’on voulait couler avant qu’il e^ut apport'e contre terre les germes de peste et les malheureux qu’il recelait encore.
Et Juve songeait :
— Ah, mal'ediction, mal'ediction, que veut dire encore cela ?… J’ai laiss'e Fant^omas `a bord, est-ce lui l’auteur de cet incendie ? s’est-il 'echapp'e ? s’'echappera-t-il ?
24 – L’AMOUR VEILLE
Les cieux se teintaient de rose, dans la direction du couchant et les bruits de la montagne, les chants des bateliers s’att'enuaient.
Il semblait que la nature enti`ere se recueillait dans un pieux silence avant l’approche de la nuit prochaine.
J'er^ome Fandor ouvrit les yeux.
Il reposait, mollement 'etendu sur un tapis de mousse 'epaisse ; autour de lui s’'elevaient, semblait-il, des roseaux desquels se d'egageait une humidit'e fra^iche.
Le journaliste d’ailleurs se sentait tout ankylos'e, tout engourdi, il avait froid, il frissonna.
Fandor 'etait envahi par une sorte de torpeur qui lui interdisait tout mouvement.
Il 'ecouta fig'e dans le bien-^etre de cette qui'etude apparente.
Aucun bruit, `a peine au loin, et par intervalles, le murmure cristallin d’un ruisseau qui coulait en minuscules cascades.
Le journaliste reprenait difficilement ses esprits, et instinctivement, le corps lass'e, bris'e, il allait se laisser aller `a sa somnolence, lorsque tout son corps sursauta et qu’un cri d’'epouvante s’'echappa de ses l`evres.
S’approchant de son visage, cependant qu’une haleine br^ulante lui caressait la figure, Fandor venait d’apercevoir la gueule immense et redoutable d’un monstre.
Quel 'etait ce nouveau cataclysme ?
Fandor se recula en arri`ere, mais il respira, un peu rassur'e. La gueule qui venait de le terrifier 'etait celle d’un grand chien qui s’'etait approch'e de lui et le regardait, semblait-il, avec compassion.