La main coup?e (Отрезанная рука)
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M. de Vaugreland en parut tout satisfait :
— Puisse-t-il gagner, toujours et beaucoup.
Il s’arr^eta : son voeu n’allait pas ^etre longtemps exauc'e.
La bille venait, en effet, de s’arr^eter, apr`es deux ou trois coups favorables, sur un num'ero qui, certes, n’'etait pas celui choisi par l’'enigmatique joueur, car on voyait la physionomie d’Ivan Ivanovitch s’alt'erer soudain. Un pli soucieux marquait son front, ses l`evres avaient un rictus farouche. L’officier russe, toutefois, n’abandonnait pas la partie, il avait encore fouill'e sa poche et, certainement d'ecid'e `a risquer le tout pour le tout, il placait devant lui une liasse de billets de banque :
— C’est le fond de sa caisse, observa M. de Vaugreland. Cet homme joue d'esormais son existence.
Et Fandor ne manqua pas d’ajouter, toujours gouailleur :
— Son existence et la n^otre, monsieur le Directeur, ne l’oubliez pas.
— Ah, si seulement, balbutiait M. de Vaugreland, de plus en plus affol'e, si seulement il pouvait gagner.
Sur la table de roulette, la bille, impassible, continuait sa course saccad'ee et ses bonds en d'esordre :
— Rien ne va plus, criait le croupier.
Ivan palissait de plus en plus. Les billets de banque qu’il tenait sous ses doigts tremblants, tremp'es de sueur, diminuaient rapidement.
Et, au fur et `a mesure que l’officier perdait, M. de Vaugreland qui, cach'e dans la foule, assistait en t'emoin `a cette lutte engag'ee avec le hasard, sentait de plus en plus chavirer sa raison. Ah, comment pr'evenir le danger qui menacait tout ce monde, comment 'eviter, non seulement le formidable scandale, mais encore l’'epouvantable drame qui, dans quelques instants, allait avoir `a la fois son d'ebut et son d'enouement ? Car il 'etait bien certain que les pertes que continuait `a subir l’officier russe allaient le d'eterminer `a quelque extr'emit'e redoutable. Ne pouvait-on l’emp^echer `a tout prix… oui, `a tout prix ?
Pour un peu, M. de Vaugreland aurait 'et'e tout dispos'e `a appeler Ivan Ivanovitch et `a lui remettre les trois cent mille francs qu’il demandait.
`A ce moment, un chef des jeux passa `a c^ot'e de M. de Vaugreland.
Celui-ci l’appela :
— Vous voyez cette table, fit-il, cette table de roulette o`u se trouve ce monsieur qui perd tant ?
— Parfaitement, reconnut l’employ'e, ce soir, M. Ivan Ivanovitch fait des diff'erences consid'erables.
M. de Vaugreland, hagard, consid'era son subordonn'e. Il balbutia, pensant tout haut plut^ot qu’il ne donnait un ordre :
— Ne pourrait-on pas le faire gagner ?
Le chef des jeux se contentait de sourire, fort 'eloign'e de comprendre toute l’angoisse qui inspirait ces propos au directeur du Casino.
— Ah, fit-il en souriant, il faudrait alors pouvoir commander `a la chance, ^etre ma^itre du hasard.
Il ajouta, changeant de sujet de conversation :
— Nous avons une belle chambr'ee, ce soir, monsieur. Jamais le casino n’a fait de si superbes recettes.
M. de Vaugreland, incapable de ma^itriser son 'emotion, coupa court `a l’entretien, pirouettant sur ses talons.
Peu lui importaient les recettes ce soir l`a.
Soudain son coeur faillit s’arr^eter de battre.
M. de Vaugreland avait perdu de vue Juve et Fandor, mais il ne quittait pas des yeux Ivan Ivanovitch.
Or, celui-ci, brusquement, venait de quitter la table de roulette.
L’officier chancelait comme un homme ivre. Il parut h'esiter tout d’abord, ne sachant trop de quel c^ot'e se diriger.
Machinalement, il se passa la main sur le front. Il 'epongea les grosses gouttes de sueur qui ruisselaient le long de ses tempes. Il s’avanca, traversa la pi`ece, encombr'ee de foule et s’en vint dans la galerie.
M. de Vaugreland, qui le suivait de loin, eut un l'eger soupir de satisfaction, car il apercut alors Juve dissimul'e dans l’encoignure d’une fen^etre. `A c^ot'e de lui se trouvait Fandor. Un peu derri`ere ceux-ci, se tenaient P'erouzin et Nalorgne, affectant des airs indiff'erents, mais pr^ets `a s’abattre sur l’officier si celui-ci faisait un mouvement.
'Etait-ce l’instant d'ecisif ? Ivan Ivanovitch venait de regarder sa montre.
Il se dirigea la t^ete basse vers l’escalier qui conduisait aux bureaux de l’administration. Comptait-il se rendre chez le directeur, qu’il n’avait pas remarqu'e dans la salle et croyait sans doute `a son cabinet ? Si telle 'etait l’intention de l’officier russe on pouvait esp'erer qu’une explication interviendrait. Depuis plus d’une heure d'ej`a qu’il 'etait au Casino, rien d’anormal ne s’'etait produit, peut-^etre avait-il d'ecid'e de surseoir au bombardement, peut-^etre n’'etait-ce qu’une menace ?
Mais alors qu’il 'emettait cette pens'ee optimiste – car on croit ais'ement ce que l’on d'esire – M. de Vaugreland dut changer brusquement d’opinion.
Il recula d’un bond, 'etouffa un cri de terreur, s’appuya le long d’un mur pour ne point d'efaillir, ses jambes molles ne le portaient plus.
Ivan Ivanovitch, soudain, venait de rebrousser chemin.
L’officier s’'etait pr'ecipit'e vers une fen^etre ouverte et regardait au dehors. Cette fen^etre, par-dessus les jardins donnait sur la mer et `a ce moment pr'ecis, Juve, Fandor, les inspecteurs, le directeur du Casino, dont les regards, machinalement, avaient suivi celui de l’officier, voyaient au large un spectacle extraordinaire.
L’imposante et lourde masse que faisait sur les flots la silhouette du Skobeleffavait grossi, se rapprochant de terre. Les feux du navire 'etaient allum'es, les lumi`eres fusaient `a travers les sabords et une grosse fum'ee noire s’'echappait des chemin'ees.
Qu’allait-il se passer ?
H'elas, si le Skobeleffavait d'esormais recu l’ordre de bombarder le Casino, nulle puissance au monde ne pourrait l’arr^eter.
Une abjecte terreur s’'etait empar'ee du directeur. D'ej`a il voyait le pittoresque immeuble dont il avait la haute direction, chanceler, s’'ecrouler. Ses ruines fumantes, ensevelissaient sous les d'ecombres la foule des malheureux qui entouraient les tables de jeu ou allaient et venaient dans les galeries, dans l’Atrium, flirtant, plaisantant, gais, insouciants, tout `a la joie de vivre. Mais le plus surpris de tous, c’'etait – en apparence du moins – Ivan Ivanovitch.
L’officier, tout d’abord interdit, avait ensuite lev'e les bras au ciel, dans un geste d’affolement.
Puis, ne pouvant plus se contenir, cessant de dissimuler, il se pr'ecipita, enjambait la fen^etre, sauta dans le jardin.
Les inspecteurs s’'elanc`erent sur ses talons.
Il n’y avait pas `a en douter, c’'etait assur'ement le signal, c’'etait l’heure pr'ecise o`u le drame devait commencer.
— Ah, jura P'erouzin, tu n’'echapperas pas et si nous y passons, tu y passeras le premier.