La main coup?e (Отрезанная рука)
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De la femme qui avait fait feu sur Fandor, nulle trace.
Et Juve, maintenant, anxieusement, interrogeait le journaliste :
— Mais que t’est-il donc arriv'e ? quelle 'etait cette femme qui tirait sur toi ?
Fandor, que Juve venait de d'eligoter, s’'etirait consciencieusement, r'etablissait dans ses bras endoloris la circulation, d’abord, n’avait rien dit.
Puis, il avait tendu sa main, large ouverte, `a Juve et comme le policier, en d'epit de son ressentiment, y placait la sienne, franchement, cordialement, les deux hommes avaient 'echang'e une 'etreinte.
— Mon bon Juve.
— Mon pauvre Fandor.
Mais d'ecid'ement Juve ne voulait pas se laisser attendrir :
— Cette femme qui a tir'e sur toi, c’'etait Denise ?
Or, `a la question du policier, Fandor qui, en v'erit'e, n’'etait jamais long `a reprendre son sang-froid, se contenta de sourire :
Taquin, le journaliste s’amusait `a exciter l’anxi'et'e de Juve.
Ce n’est qu’`a la troisi`eme interrogation du policier qu’il se d'ecida `a r'epondre.
— Eh bien, oui, avoua Fandor, c’'etait Denise qui visait, la fille de Fant^omas. Seulement, Juve, o`u vous ^etes compl`etement loufoque, c’est quand vous accusez cette enfant d’avoir fait feu sur moi.
— Quoi ? ce n’'etait pas toi qu’elle ajustait ?
— Jamais de la vie, et m^eme c’est elle qui m’a sauv'e encore plus que vous.
— Ah c`a.
— Mon cher Juve, t^achez de vous taire deux minutes et 'ecoutez-moi.
Suivait le r'ecit des aventures de Fandor, enlev'e par les apaches sur l’ordre de Fant^omas, et condamn'e `a mort :
— Seulement, mon cher Juve, ces bougres-l`a ont des id'ees d’outre-monde. Au lieu de me tuer tout simplement, et c’'etait facile puisque je ne pouvais remuer pieds ou pattes, ils avaient invent'e un supplice affolant. Oh, je ne m’en plains pas. Sans leur invention biscornue, je serais certainement de l’autre c^ot'e du Styx. Mais 'ecoutez-moi cela : voil`a ce qu’ils ont fait. Mon bon Juve, `a peine 'etais-je pris qu’ils m’ont attach'e, roul'e dans un filet, au bout de la corde que vous venez si gentiment de haler. Bon. Je me voyais suspendu au bout de ce fil et ca n’avait rien d’agr'eable, mais apr`es tout il y avait encore de l’espoir. Ah, ouiche, je me trompais de la belle mani`ere. Savez-vous ce qu’ils avaient combin'e ?
— Dis.
— Eh bien, Juve, ils avaient flanqu'e, accroch'e `a la falaise, une 'enorme loupe. Cette loupe 'etait arrang'ee de telle sorte – oh, je n’ai pas tard'e `a m’en rendre compte – qu’`a un moment donn'e, `a midi, je pense, elle devait concentrer ses rayons sur un point de la corde, et crac, j’'etais pr'ecipit'e dans le vide. C’est d’ailleurs pour cela, entre nous, que j’imaginai de me balancer comme un poss'ed'e au bout de ma corde. Ma situation n’avait rien de gai. Ah, vous avez cru que c’'etait le vent qui m’agitait ainsi ? Erreur, Juve, c’'etait bel et bien moi qui provoquais ces bonds d'esordonn'es, histoire de soustraire la corde `a l’action de la loupe et d’'eviter la culbute.
— Mais le coup de fusil, Fandor ? cette femme qui a tir'e ? Cette Denise ?
— Ah, Denise ? elle vous inqui`ete. Eh bien, je vous le r'ep`ete, c’est elle qui m’a sauv'e. Tandis que j’'etais en train de m’agiter comme un diable dans un b'enitier, j’ai vu arriver Denise, la carabine `a la main. D’o`u venait-elle ? comment avait-elle su le danger que je courais ? ma foi je n’en sais rien. Toujours est-il que Denise a vu ce qu’il fallait faire pour me sauver. Mon bon Juve, si vous voulez savoir la v'erit'e, Denise ne tenait assur'ement pas `a haler cette corde. Vous m’accusez de m’entendre avec elle ? c’est archifaux. La v'erit'e est que Denise me fuit. Donc, comment allait-elle me sauver ? Elle n’a pas h'esit'e. La fille de Fant^omas a 'epaul'e sa carabine juste comme vous arriviez et pan, elle a vis'e la loupe, elle l’a fracass'ee en mille morceaux, flush royale d’embl'ee ! Comme vous arriviez, elle me savait sauv'e. Ouf.
***
Malheureusement, ce sujet de discussion 'epuis'e, les deux hommes se retrouv`erent face `a face, ayant `a aborder d’autres questions, plus graves.
Certes, Juve avait vol'e au secours de Fandor. Certes, il avait fait tout ce qu’il 'etait en son pouvoir pour sauver le journaliste d’une mort affreuse. Mais Juve ne pouvait oublier cependant que Fandor avait trahi, que Fandor l’avait tromp'e `a plusieurs reprises. Et maintenant que Juve avait c'ed'e `a l’impulsion naturelle de sa vieille amiti'e, il se sentait r'eenvahi, petit `a petit, par la col`ere qu’il nourrissait contre Fandor pour les trahisons dont il l’accusait.
Or, c’'etait pr'ecis'ement Fandor qui devait ramener ce sujet sur le tapis.
— Juve, d'eclara le journaliste qui, lui, tout `a la joie de causer `a son excellent ami, ne paraissait plus se souvenir des graves motifs de division qui existaient entre eux, Juve, il faut que je vous raconte quelque chose d’invraisemblable.
Et Fandor, le plus na"ivement du monde, fit `a Juve le r'ecit stup'efiant de l’attitude qu’avait eue Ivan Ivanovitch devant lui : l’officier russe refusant une enveloppe bourr'ee de billets de banque que lui apportait un huissier du Casino.
— Je pense, concluait Fandor, je pense, Juve, que vous vous rendrez compte maintenant que ce n’est pas l’attitude d’un coupable ?
Mais tandis que Fandor parlait, Juve 'etait demeur'e muet d’'etonnement.
Sans une exclamation, il avait 'ecout'e le r'ecit de son ancien ami, `a peine s’il retrouva la parole pour manifester sa surprise.
— Ah ca, Fandor, d'eclarait Juve, que me chantes-tu ? Tu as vu Ivan Ivanovitch refuser une enveloppe bourr'ee de billets de banque ? Mais, cr'edieu, moi, moi, Juve, tu m’entends bien, je l’ai pr'ecis'ement vu accepter une enveloppe, une enveloppe en tous points analogue `a celle que tu me d'ecris et pr'ecis'ement bourr'ee de billets de banque. Lequel de nous deux `a la berlue ?
— Juve, Juve, cria-t-il vous ne pouvez pourtant pas croire que je suis une crapule ? Vous savez bien dans le fond de vous m^eme, que je ne mens pas ? vous ne pouvez pas me refuser votre amiti'e ?
— Ah ! Fandor !
Juve n’ajouta rien, mais il lui ouvrit les bras, il lui ouvrit les bras grands et larges, parce qu’en v'erit'e Fandor venait de dire les seuls mots qui pouvaient toucher Juve. Des mots contre lesquels aucun raisonnement ne pouvait pr'evaloir.