Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Dans ces conditions, `a l’instant o`u l’on cambriolait en quelque sorte sa porte, Juve, brusquement se levait, sautait derri`ere sa table, et tirait un revolver qu’il braquait `a l’instant dans la direction de l’arrivant.
Juve, toutefois, ne restait pas longtemps dans cette position de d'efense. Le personnage qui s’introduisait en effet aupr`es de lui n’'etait pas un ennemi, ne pouvait pas ^etre un ennemi. C’'etait au contraire le plus d'evou'e et le plus s^ur des alli'es, puisque c’'etait tout bonnement J'er^ome Fandor.
Mais qu’avait J'er^ome Fandor pour para^itre `a ce point nerveux, `a ce point excit'e, `a ce point angoiss'e aussi ?
— Nom d’un chien ! grommela Juve, en reconnaissant le journaliste, tu pourrais faire un peu moins de p'etard en venant me retrouver. Qu’est-ce qu’il y a ?
Fandor ne pr^etait naturellement aucune attention `a la gronderie de Juve ; il avait tranquillement pris son 'elan, avait saut'e sur le lit du policier, et l`a, assis en tailleur, le buste pench'e en avant, il commencait `a discourir.
J'er^ome Fandor devait ^etre de bien bonne humeur et avoir appris de bien bonnes nouvelles, car il commencait en ces termes :
— Mon vieux Juve, rentrez vos rengaines, fermez le sac aux r'ecriminations, accrochez les lampions au plafond, ou plut^ot 'ecoutez-moi sans bouger !
Cet exorde 'etait incompr'ehensible ; Juve grogna encore :
— Tu 'etais d'ej`a un peu fou, mais, ma parole, tu le deviens compl`etement. Explique-toi, que diable…
Pour s’expliquer, J'er^ome Fandor d'egringola du lit et vint tomber `a genoux aux pieds de Juve, dans la posture d’un suppliant :
— Juve, ne m’insultez pas, clamait Fandor. Juve, ne grognez point ; Juve, ne pr'etendez point que je suis fou, car je suis tout au contraire le plus raisonnable, le plus intelligent, le plus fortun'e des mortels. Autrement dit, vous n’avez rien fait de bon et c’est moi qui me d'ebrouille terriblement dans les enqu^etes que nous menons…
Cela devenait de plus en plus incompr'ehensible et Juve, malgr'e sa patience, s’impatienta tout `a fait :
Le policier quittait son fauteuil, prenait Fandor aux 'epaules, le secouait d’importance :
— Fiche-moi la paix, avec tes plaisanteries, tes phrases 'enigmatiques et tes paroles incompr'ehensibles ! Qu’est-ce qu’il y a, nom d’un chien !
Fandor changea de ton imm'ediatement. Il se fit grave, s'erieux, et prit un maintien respectueux.
— Mon cher Juve, faisait-il, d’une voix pos'ee, j’ai l’avantage de vous rapporter ce que vous avez perdu.
— Je n’ai rien perdu, tonna Juve.
— Si, riposta Fandor. Vous avez perdu Fant^omas…
Or, au nom du bandit, la physionomie de Juve s’'eclairait imm'ediatement.
— Ah ca, b'egayait-il, devenant subitement nerveux, lui aussi ! Qu’est-ce que tu radotes, Fandor ? Tu me rapportes Fant^omas ?
Fandor secoua la t^ete, 'eclatant de rire.
— Non, pas tout `a fait, confessait-il. Je n’ai pas trouv'e Fant^omas dans le ruisseau, et je ne l’ai pas mis dans ma poche avec mon mouchoir par-dessus. Tout de m^eme je l’ai retrouv'e, c’est-`a-dire que je sais o`u il est…
— O`u ? nom d’un chien !
— `A Bruxelles.
Et Fandor brandissait sous les yeux de Juve un journal belge, une 'edition sp'eciale, publi'ee avec une 'enorme manchette, et dans laquelle on racontait avec force d'etails la soi-disant 'epouvantable agression dont le faux M. Jussieu avait 'et'e victime chez Job Tylor, de la part de Fant^omas.
Juve, naturellement, s’emparait alors du journal, avec une h^ate fi'evreuse. Le policier en parcourait rapidement les colonnes, d'evorant les d'etails, puis il serrait `a les briser les mains de Fandor.
— Pas de doute, disait-il alors. Nous connaissons trop bien la mani`ere de Fant^omas pour pouvoir nous y tromper. Il n’y a que lui, en effet, pour avoir os'e un vol semblable. Il est certainement `a Bruxelles, et par cons'equent, nous n’avons plus, pour le poursuivre, qu’`a filer dans la capitale belge.
Fandor, `a cet instant, ouvrait d'ej`a une malle et, au hasard, sans ordre aucun, pr'ecipitait tous les objets qui tra^inaient dans la chambre de Juve.
— Parfaitement, d'eclarait le journaliste. Vous parlez d’or, Juve. Vous ne vous trompez pas plus qu’un phonographe… Branle-bas de combat ! comme vous dites. Nous filons `a Bruxelles. `A quelle heure est le premier train ?
Un instant plus tard Juve se plongeait dans la lecture de l’indicateur, et le r'esultat de ses recherches 'etait tel que le lendemain matin, le journaliste et le policier arrivaient `a la gare pour prendre place dans l’express de neuf heures quatre.
C’'etait `a cet instant que Fandor heurtait sans le vouloir le brancard sur lequel Fant^omas transportait son soi-disant paralytique. Certes, le journaliste qui s’excusait et offrait d’aider `a ce macabre charroi 'etait loin de se douter de la v'erit'e, loin de soupconner que la vieille dame 'etait en r'ealit'e Fant^omas, et que le paralytique 'etait le cadavre d’un inconnu, qui peut-^etre allait jouer tout mort qu’il 'etait, un r^ole terrible dans sa vie…
Juve et Fandor ne soupconnaient donc pas la pr'esence de Fant^omas dans ce train qu’ils prenaient. La ruse du Ma^itre de l’'epouvante, ruse habile entre toutes les ruses, r'eussissait parfaitement. Juve et Fandor imaginaient le G'enie du crime `a Bruxelles, et par cons'equent ne pouvaient penser qu’ils 'etaient `a peine s'epar'es de lui par quelques compartiments.
S’ils ne redoutaient point de rencontrer le tortionnaire, Juve et Fandor cependant ne voyageaient point l’^ame tranquille et l’esprit sans inqui'etude.