Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Chapitre VI
Le paralytique
C’'etait 'evidemment une tr`es vieille dame et en m^eme temps, incontestablement, une brave femme, un peu bavarde et exub'erante, mais sympathique cependant. Devant sa petite maisonnette, `a Haarlem, elle avait h'el'e d’un geste bref une des voitures publiques qui se tenaient `a la disposition des clients, et maintenant elle assourdissait le cocher de recommandations extraordinaires, faisant de grands gestes, multipliant les signes de t^ete, ce qui semblait mettre en grand p'eril le volumineux panache de plumes qui ornait sa capote aux brides de velours.
— N’est-ce pas mon brave ? recommandait-elle : vous irez tr`es vite, car je ne voudrais pas manquer le train, mais vous 'eviterez de passer sur les pav'es car la moindre secousse cause au pauvre enfant une intol'erable douleur… Ah, j’oubliais… `a la gare, il faudra aussi m’aider `a le faire descendre.
Le cocher, un Hollandais de pure race, qui fumait une 'enorme pipe de porcelaine, 'ecoutait flegmatiquement tous ces avis, et t^achait d’en d'em^eler le sens exact.
— C’est bon, faisait-il. On fera ce qu’on pourra pour vous ^etre utile. Quel ^age a votre fils ?
— Vingt-six ans, r'epliquait la vieille femme. Ah ! Dieu m’aide !… je vous assure, cocher, que c’est un bien grand malheur pour une pauvre femme comme moi, qui n’a plus de mari, et qui se trouve seule dans la vie, d’avoir `a soigner un infirme si gravement atteint… D’ailleurs, vous allez voir. Descendez de votre si`ege, mon bon, vous m’aiderez `a porter son fauteuil. On se doit assistance, n’est-ce pas ?
— S^urement, accepta le cocher.
Il venait d’accrocher son fouet, il rejetait ses guides, d'eroulait sa couverture, et finissait par sauter sur le sol, pesamment, avec des gestes engourdis.
— Venez, r'ep'etait la vieille dame, venez…
Le cocher, suivant sa cliente, p'en'etra dans une salle obscure qui se trouvait au rez-de-chauss'ee de la maisonnette. Les volets 'etaient clos, la pi`ece 'etait en ordre, le cocher salua en entrant :
— Pardon, excuse…
Et il tournait son chapeau dans ses doigts, consid'erant le fond de la pi`ece.
L`a, se trouvait, en effet, l’un de ces fauteuils de malade que l’on porte au moyen de brancards. Sur ce fauteuil 'etait assis un homme de vingt-cinq ans environ, au visage extraordinairement p^ale, `a l’air souffreteux et malade, qui, immobile, la t^ete pench'ee sur la poitrine, semblait ne pas avoir entendu l’arriv'ee de la vieille dame et du cocher.
La vieille dame expliquait d'ej`a :
— Le pauvre enfant vient d’avoir une crise terrible, et il dort en ce moment… Parbleu, on tirerait le canon `a c^ot'e de lui qu’il n’entendrait m^eme pas. Tenez, cocher… prenez les brancards par derri`ere, je vais prendre ceux de devant ; nous l’emporterons ainsi jusqu’`a votre voiture.
Le cocher s’ex'ecutait, la vieille dame geignait encore d’un ton convaincu :
— Que le bon Dieu m’aide !… que la sainte Vierge me fasse mis'ericorde ! Justement, je l’emm`ene `a Lourdes. Vous comprenez, on voit tant de miracles extraordinaires.
La vieille dame et le cocher, portant le fauteuil, atteignaient bient^ot le fiacre.
— Soyez complaisant, disait encore la vieille dame. Voil`a ma clef, cocher ; voulez-vous fermer la porte de la maison pendant que je vais le faire monter en voiture ?
Le cocher, qui commencait `a escompter un fort bon pourboire, ne refusait pas le service qu’on lui demandait. Il allait donc fermer la porte de la maisonnette, cependant que la vieille dame, soutenant son fils paralytique, le portait presque, le poussait dans la voiture, o`u elle l’installait sur un coin de la banquette avec des gestes pr'ecautionneux.
— Et voil`a… faisait-elle, comme le cocher lui rendait son trousseau de clefs. Mettez le fauteuil sur le si`ege `a c^ot'e de vous, il me servira pour transporter mon pauvre malade `a la gare ; mais fouettez votre cheval, hein ! nous avons juste le temps !
Le cocher regrimpait sur son si`ege, bient^ot la voiture d'emarrait.
Or, le fiacre s’'etait `a peine 'ebranl'e, se dirigeant vers Amsterdam pour gagner la gare d’o`u partent les grands rapides de France, que la vieille dame, seule avec son fils paralytique `a l’int'erieur de la voiture, se prenait `a soupirer profond'ement :
— Ouf ! faisait-elle. Jusqu’`a pr'esent, tout s’est bien pass'e, et si Ma Pomme n’a pas fait de gaffes, j’ai tout lieu de croire que je r'eussirai. Par exemple, jour de Dieu, je risque vraiment gros jeu !…
Chose curieuse, en disant ces mots, la vieille dame changeait de voix !
Pour parler au cocher, elle avait eu le ton criard et suraigu des vieilles femmes, maintenant, au contraire, elle s’exprimait sur un ton grave, avec, semblait-il, un tout autre organe.
Le fiacre, cependant, avancait rapidement. En tournant le coin d’une rue, il heurtait un peu le trottoir, et la secousse 'etait si brusque que le paralytique, tout appuy'e qu’il 'etait contre la voiture, 'etait jet'e de c^ot'e et tombait sur l’'epaule de sa m`ere.
Celle-ci, d’une bourrade, le rejeta dans le coin.
— C’est assommant, murmurait-elle ; la rigidit'e n’est pas compl`ete, et cet imb'ecile s’'ecroule tout le temps !
Un instant plus tard, cette vieille dame, aux allures si d'ebonnaires, faisait encore une bizarre observation :
— Vraiment, je fumerais bien une cigarette, mais ce maudit cocher ne manquerait pas de trouver la chose extraordinaire de la part d’une vieille femme qui part `a Lourdes en compagnie de son fils paralytique !
La voiture continuait `a avancer : le malheureux jeune homme, maintenant, avait la t^ete renvers'ee en arri`ere, et ses yeux grands ouverts semblaient fixer d’un regard terne la campagne que l’on apercevait par la vitre de la porti`ere.
La vieille femme, d’un coup d’oeil rapide, examina sa position.