Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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L’assurance de Job Tylor calmait naturellement les appr'ehensions du courtier en parfumerie qui, petit `a petit, semblait se laisser gagner par le flegme tranquille du d'etective.
— Vous m’enlevez un poids de dessus la poitrine, d'eclarait-il avec une certaine rondeur. On a beau ne pas ^etre un poltron, cela vous fait tout de m^eme un certain effet, voyez-vous, de penser que Fant^omas veut lutter contre vous. Ma parole, cher monsieur, je n’'etais pas rassur'e.
— C’est tout naturel, affirmait Job Tylor.
Le courtier en parfumerie reprit :
— Et m^eme, je pense `a quelque chose : parbleu, si Fant^omas nous attaque, `a nous deux, nous l’arr^eterons, hein ? Une sensationnelle aventure, en v'erit'e !
Job Tylor hochait la t^ete avec 'emotion :
— Fichtre, oui !
Puis le d'etective proposait :
— Mais vous avez sans doute des affaires `a traiter, monsieur Jussieu ? D'esormais, il n’y a plus aucun motif pour que vous ne vaquiez pas `a vos occupations. Voulez-vous que je vous accompagne d`es ce matin ?
— Vous ^etes libre ?
— Assur'ement.
M. Jussieu se leva.
— En ce cas, je ne dis pas non, acceptait-il. Allons d’abord d'ejeuner, j’irai voir ensuite deux clients, et nous prendrons ce soir le rapide de Paris.
— C’est parfait, d'ecida encore Job Tylor.
Le d'etective venait de mettre un peu d’ordre sur sa table de travail qui d’ailleurs en avait grand besoin, et s’excusait aupr`es de son client :
— Voulez-vous m’attendre un instant, monsieur Jussieu ? Dame, je ne pensais pas partir en voyage… je vais jeter deux chemises et trois faux-cols dans un sac, prendre quelques objets de toilette, laisser un mot pour pr'evenir mon secr'etaire, et je suis `a vous.
— Faites donc, approuva M. Jussieu.
Job Tylor quitta la pi`ece, fort enchant'e, en v'erit'e, de la marche des 'ev'enements. Certes, il avait eu une rude 'emotion lorsque M. Jussieu, en arrivant, lui avait annonc'e qu’il venait le trouver `a propos de Fant^omas. Il avait alors invent'e toute une sensationnelle intrigue, escompt'e un succ`es magnifique, entrevu la gloire et la c'el'ebrit'e. Certes, il lui 'etait un peu p'enible de renoncer `a cette superbe perspective, mais somme toute, il s’en consolait en pensant que n'eanmoins l’affaire 'etait int'eressante, car l’enqu^ete `a laquelle il allait se livrer lui vaudrait certainement d’importants honoraires.
— Faisons de l’argent, se disait Job Tylor, `a l’instant o`u il quittait M. Jussieu, pour passer dans sa chambre `a coucher, faisons de l’argent… et ne nous occupons pas du reste !
Or, Job Tylor n’avait pas quitt'e M. Jussieu depuis plus de deux minutes, lorsqu’il devait brusquement changer d’avis.
Le d'etective 'etait en effet `a peine parvenu au milieu de sa chambre, c’est-`a-dire qu’il s’'etait tout juste 'eloign'e de quelques pas de son cabinet de travail o`u l’attendait M. Jussieu, qu’un cri terrible, cri de peur et d’angoisse, cri de d'etresse et cri d’agonie, retentissait dans ce cabinet de travail.
Job Tylor, un instant, s’arr^eta stup'efait. Au cri avait succ'ed'e un grand silence, puis un bruit pesant, puis un fracas retentissant.
Tout cela se passait tr`es vite ; Job Tylor, haletant, d'eclara :
— Mon Dieu, on s’assassine… la victime tombe… la fen^etre est bris'ee !…
Et il n’en dit pas plus, parce que, rebroussant chemin, il se pr'ecipita dans son cabinet de travail.
Or, le spectacle qu’apercut le d'etective 'etait bien fait pour lui occasionner la plus extraordinaire des stupeurs :
La pi`ece 'etait dans le plus grand d'esordre ; des chaises 'etaient bouscul'ees dans un coin ; sous le bureau, renvers'e, geignant faiblement, M. Jussieu paraissait `a moiti'e mort. Des papiers voltigeaient enfin, 'echapp'es de la serviette aux billets de banque, qui gisait, 'eventr'ee d’un coup de poignard, enti`erement vide… La fen^etre bris'ee offrait des traces d’effraction et `a sa poign'ee pendait, accroch'e l`a, d'echir'e, un grand lambeau d’'etoffe noire…
— Nom de Dieu ! jura le d'etective… Est-ce que, par hasard…
Et il se jetait `a genoux, se penchait sur M. Jussieu :
— Allons, vous m’entendez ? Qu’est-ce qui…
M. Jussieu ne geignait plus… Il 'etait maintenant immobile. Job Tylor s’affola.
— Mais, fichtre de nom d’un chien, il est mort !
En toute h^ate, le d'etective allait qu'erir un pot `a eau, dont il vidait le contenu sur la t^ete de son malheureux client.
Le froid, la douche glaciale, tira le courtier en parfumerie d’un profond 'evanouissement.
— Vous ^etes bless'e, r^ala Job Tylor.
M. Jussieu 'etait p^ale comme un mort. Il se remettait p'eniblement sur son s'eant, il avait le geste 'egar'e d’un homme qui se r'eveille d’un effroyable cauchemar.
Job Tylor r'ep'eta :
— Pour Dieu, r'epondez-moi, faites un effort… que s’est-il pass'e ? ^Etes-vous bless'e ?
M. Jussieu, cette fois, parut comprendre, mais il 'etait hors d’'etat de parler distinctement. D’une voix blanche, indistincte, il b'egayait seulement ces mots qui avaient, h'elas, un sens bien compr'ehensible :
— Je… je… je… vol'e… Fant^omas… par la fen^etre…
Job Tylor hurla une impr'ecation, se pr'ecipita `a la fen^etre. Son appartement 'etait au rez-de-chauss'ee, la rue o`u il habitait 'etait droite `a l’infini, il la fouillait du regard, il ne vit rien…
— Personne, nom de Dieu ! sacra le d'etective.
En deux pas il traversa le cabinet de travail, bondit dans l’escalier.
Il 'etait enti`erement vide. Alors, s’arrachant les cheveux, Job Tylor revint dans le cabinet de travail o`u le courtier en parfumerie, pour la seconde fois, venait de glisser sur le sol, pris d’une syncope…