Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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Le visage de Fernand Ricard, soudain, devint grave, et Alice qui 'ecoutait ce r'ecit sans broncher, tressaillit dans son fauteuil.
— Et quoi donc ? interrog`erent Juve et Fandor.
D’une voix toute tremblante d’'emotion, Fernand Ricard poursuivit :
— La malle verte et l’homme myst'erieux.
— Fant^omas, dit Juve.
Fernand Ricard eut pour le policier un long regard 'etonn'e.
— Ah ca, questionnait-il, vous savez donc tout ?
— Pas tout, fit Juve, certaines choses. Continuez.
— Oui, poursuivit le courtier en vins, Fant^omas est intervenu d`es lors dans nos affaires. Une premi`ere fois, il est venu nous rendre visite pour dire :
— Vous avez accept'e ?
— Nous avons refus'e, nous croyions que c’'etait quelqu’un de la police. Mais alors, Fant^omas nous menace et nous dit : « Je vais vous perdre. » En effet, nous ne savons ni pourquoi, ni comment, tout d’un coup, la police arrive chez nous, on trouve dans la chemin'ee de la rue Richer du sable provenant de notre jardin et, dans ce sable, un mouchoir appartenant `a Alice, rempli de sang. Tout cela avait 'et'e mis l`a par Fant^omas qui voulait nous compromettre. Pour comble de malheur, M. Havard fait fouiller notre puits et il retrouve la serrure de la malle jaune que, par prudence, nous avions d'etruite et fait br^uler dans notre fourneau. Quant `a la malle verte, Fant^omas nous l’a avou'e, c’est lui qui l’a fait d'ecouvrir apr`es l’avoir envoy'ee `a Brigitte, alors qu’il avait dans l’id'ee de faire arr^eter cette malheureuse. Nous sommes arr^et'es nous-m^emes. Mais Fant^omas se doute bien que nous pourrons nous innocenter, et alors, il nous compromet plus encore, en r'eapparaissant, d'eguis'e en oncle Baraban. Nous sommes oblig'es de le reconna^itre pour notre parent, et cette fois, il est certain que c’est lui qui va toucher, non pas l’assurance, puisque sa r'eapparition remet l’affaire en question, mais bien les deux cent mille francs gagn'es par le billet de la loterie que j’avais pris sous le nom de l’oncle Baraban et confi'e au notaire Gauvin.
— Oui, fit Juve intervenant `a son tour, je comprends maintenant pourquoi Fant^omas a fait gagner le num'ero 6 666 et pourquoi il a assassin'e ensuite le notaire Gauvin.
Atterr'e, Fernand Ricard bredouilla :
— Est-il donc si 'epouvantable ?
Fandor, de son c^ot'e, s’exclamait :
— Qu’est-ce que vous dites, Juve ? Il a assassin'e M e Gauvin ?
— Oui. Il est plus cruel encore que vous ne pouvez le croire, acheva-t-il, s’adressant `a Fernand Ricard.
Le policier laissait souffler quelques instants le malheureux qu’il interrogeait depuis d'ej`a pr`es d’une heure. Puis, il reprit ses questions :
— Qu’est-il advenu ensuite ?
— Fant^omas, d'eclara Ricard, est venu nous trouver, avant-hier exactement. Il ne pouvait plus tenir le personnage de Baraban, nous a-t-il dit et d'esormais, il fallait aviser, faire quelque chose de nouveau. Cet homme a une imagination terrifiante, il nous a dict'e deux lettres.
— Je les connais, fit Juve, passez.
— Nous supposions ainsi, telle 'etait du moins l’hypoth`ese de Fant^omas, que l’on croirait `a mon suicide, que je pourrais continuer `a vivre avec Alice sous le nom de Baraban et qu’en fin de compte, on me verserait les deux cent mille francs de la loterie.
— Que Fant^omas, interrompit Juve, a vol'e chez M e Gauvin, apr`es l’avoir pendu.
— H'elas, fit Fernand Ricard, qui ajouta cependant : Mais comment nous avez-vous retrouv'es, et qu’allez-vous faire de nous ?
— Comment nous vous avons retrouv'es ? d'eclara Juve, cela nous regarde. Quant `a savoir ce que nous allons faire de vous, c’est bien simple : vous conduire en prison.
Un cri s’'echappa des l`evres d’Alice Ricard dont les yeux se r'evuls`erent. Cependant, Fernand Ricard s’'etait laiss'e tomber `a genoux devant le policier :
— Gr^ace, gr^ace, monsieur, suppliait-il, nous sommes coupables sans doute, mais je vous assure que, depuis que nous sommes aux mains de Fant^omas, nous sommes si malheureux, si terrifi'es, qu’il ne faut pas ajouter ce ch^atiment `a celui que nous subissons.
— Gr^ace, monsieur, suppliait aussi Alice Ricard, dont la poitrine 'etait soulev'ee par de violents sanglots.
La sc`ene 'etait path'etique. Juve et Fandor se regard`erent interdits.
Soudain, on entendit frapper `a la porte de la chambre voisine, celle retenue par Fandor. Le journaliste se pr'ecipita. Il revint un instant apr`es avec un t'el'egramme, dont il d'echirait fi'evreusement le pointill'e.
Mais lorsqu’il eut parcouru la d'ep^eche, Fandor devint bl^eme, il la tendit `a Juve. Le t'el'egramme 'etait ainsi concu :
Fandor,
Itin'eraire chang'e pour motifs graves, rejoignez-moi au Natal.
Il n’y avait pas de signature, toutefois la d'ep^eche 'etait dat'ee de Belgique.
— Qu’est-ce que cela signifie ? demanda Juve.
Fandor chancelait, se comprimait les tempes.
— Juve, Juve, murmura-t-il, je ne sais pas. Mais j’ai peur, j’ai peur pour elle !
En s’exprimant ainsi, Fandor songeait `a la noble et pure H'el`ene, `a la tragique fille de Fant^omas, qu’il aimait de toute son ^ame, et dont il n’avait point de nouvelles depuis une quinzaine de jours.
Alice Ricard et son mari avaient profit'e de l’inattention momentan'ee de Juve et de Fandor, pour se rapprocher l’un de l’autre, et tous deux, tendrement serr'es l’un contre l’autre, pleuraient doucement. Ils 'etaient pitoyables et touchants, ces deux pauvres petits escrocs.
On sentait qu’ils 'etaient tordus d'esormais comme des arbrisseaux sous la temp^ete, et que quiconque s’int'eresserait `a eux, pourrait en faire ce qu’il voudrait.
Juve d’un coup d’oeil l’avait compris. D’une voix qu’il voulait rendre dure et s'ev`ere, mais que trahissaient cependant, certaines intonations douces, il les interrogea :
— Madame Alice Ricard et vous monsieur Fernand Ricard, dites-moi la v'erit'e : devez-vous jamais revoir Fant^omas ?
— H'elas, balbutia Fernand, il nous a dit qu’ils nous retrouverait, et les promesses de Fant^omas se r'ealisent toujours.
— Bien, d'eclara Juve, qui ajouta :
— Je vais vous laisser en libert'e provisoire, mais `a une condition : c’est que vous m’appartiendrez corps et ^ame et que vous serez des alli'es toujours `a mes ordres pour op'erer la d'ecouverte et la capture de l’inf^ame bandit.