Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— Ah nom de nom de nom ! jura Juve. Cet animal-l`a se serait donc tu'e comme l’annoncait sa lettre ? Voil`a qui n’est pas ordinaire.
Juve n’avait pas le temps de se faire de longues r'eflexions, il venait de s’'etendre `a nouveau sur son lit. Il en fut encore arrach'e, on sonnait de nouveau :
— C’est abominable ! grogna-t-il. Je vais dire qu’on me foute la paix !
— Une d'ep^eche, monsieur, fit le jeune employ'e.
— Donne, petit.
Juve d'echirait le pointill'e. Il sursauta, le t'el'egramme 'etait de Fandor, il lui avait 'et'e adress'e de Vernon, `a Paris, puis son vieux domestique Jean l’avait fait suivre jusqu’`a Bordeaux.
Fandor disait `a Juve :
Je file Ricard, et je ne le l^ache pas d’une semelle.
« Ouais, se dit Juve, tout cela c’est tr`es joli, mais la situation s’embrouille, et je n’y comprends plus rien. Ricard est-il vivant ou mort ? Fandor l’a-t-il perdu ou retrouv'e ? Ah zut, je n’en sors pas !
26 – LE VRAI BARABAN
Un bruit insolite arracha Juve au sommeil. Le policier 'etait 'etendu sur son lit, il se redressa, regarda sa montre :
— Quatre heures, constata-t-il.
Puis, il 'ecouta. Les bruits qui l’avaient 'eveill'e venaient de la chambre voisine, de celle occup'ee par Alice Ricard.
Juve pr^eta l’oreille, et, comme une simple cloison le s'eparait de la pi`ece occup'ee par la jeune femme, il l’entendit nettement se lever. Elle aussi sans doute se r'eveillait. Quelqu’un, au bout d’un instant, vint frapper `a sa porte. C’'etait une femme de chambre, `a laquelle la voyageuse demandait :
— Faites-moi donc apporter quelque chose, du th'e, de la viande froide.
Puis Alice Ricard ajoutait :
— `A quelle heure arrive le train de Paris ?
— Je crois que c’est `a six heures moins le quart, madame.
— Bien, fit Alice. Vous me monterez 'egalement des journaux.
« Cinq heures quarante-cinq, se disait Juve. Alice Ricard s’int'eresse `a l’arriv'ee du train de Paris », et il conclut : « Je vais m’y int'eresser aussi. »
Juve, en tout point, alors, imita la jeune femme.
Elle avait 'eprouv'e le besoin de prendre quelque chose et Juve, `a ce moment, se sentit une fringale terrible.
Il se commanda un demi-poulet, une bonne bouteille de vin. Puis, lorsqu’il eut termin'e ce repas, `a peu pr`es en m^eme temps qu’Alice Ricard, de l’autre c^ot'e de la cloison, Juve se mit `a fumer des cigarettes sans interruption. Le temps passait, mais lentement. Et le policier regardait l’heure avec anxi'et'e, trouvant que les aiguilles marchaient trop lentement.
La chambre qu’il occupait, comme celle d’ailleurs de la myst'erieuse jeune femme, ne donnait point, ainsi que certains appartements de l’h^otel Terminus, sur la gare elle-m^eme, Juve, dans ce cas, aurait pu se distraire au mouvement perp'etuel des trains qui vont et viennent dans la gare Saint-Jean. Mais, il n’avait pas cette bonne fortune et sa fen^etre s’ouvrait sur la place, o`u viennent sans arr^et d’ailleurs, s’aligner les tramways 'electriques qui font le service du Cours de l’Intendance et r'eciproquement.
Le soleil dardait sur cette place `a peu pr`es d'eserte, sauf aux heures des arriv'ees et des d'eparts.
Et le policier en 'etait r'eduit, pour s’occuper, `a compter les passants, sans oser toutefois se mettre au balcon, par crainte que la m^eme id'ee ne v^int `a Alice Ricard et qu’il ne se trouv^at soudain oblig'e d’avoir, avec la ni`ece de l’oncle Baraban, un t^ete-`a-t^ete qu’il e^ut estim'e pr'ematur'e, assur'ement.
Juve, cependant, prenait de l’espoir :
`A six heures moins le quart, en effet, le policier entendit de sourds grondements qui allaient en s’accroissant, puis des coups de sifflet retentirent, puis des 'eclats de voix, des appels prof'er'es par les employ'es, qui s’'elevaient au loin, sous la vo^ute sonore de la gare.
Assur'ement, le train venait d’arriver.
Quelques minutes encore s’'ecoul`erent. Alice Ricard n’avait pas boug'e de sa chambre. Bient^ot, des pas furtifs retentirent dans le couloir, un coup discret fut frapp'e `a la porte de la chambre occup'ee par la jeune femme. Celle-ci fut ouverte, puis referm'ee aussit^ot. Juve s’empressa `a son poste d’observation, colla son oeil au trou qu’il avait m'enag'e dans la boiserie.
Le policier ne vit rien tout d’abord, car le personnage, qui venait d’arriver assur'ement et qui 'etait attendu par Alice Ricard, se tenait avec celle-ci `a l’entr'ee de la pi`ece. Juve, cependant, entendit des bruits de baisers, puis quelques mots tendres :
— Ma ch'erie !
— Te voil`a, quelle chance qu’il ne te soit rien arriv'e.
Les deux interlocuteurs s’embrass`erent encore, puis Juve entendit une voix d’homme, peu facile `a reconna^itre, peu perceptible d’ailleurs, qui prof'erait :
— D'ep^echons-nous ! Il faut que je fasse une toilette compl`ete, heureusement que tu es pr^ete.
— Qu’allons-nous faire ? demandait Alice Ricard.
La voix r'epondait :
— Nous d'ep^echer de partir d’ici. Le Sud-Express traverse Bordeaux dans une heure et demie environ, nous allons le prendre [16]. J’ai retenu deux places et, ce soir, avant minuit, nous serons sauv'es, libres, en Espagne. C’est de l`a que nous agirons.
« Oh, oh, se dit Juve qui entendait l’inconnu d'evelopper ce programme, voil`a qui est fort bien combin'e, mais on ignore trop que je suis l`a.
Juve se posait une question qu’il ne pouvait r'esoudre :
« Avec qui peut-elle bien parler ? » se demandait-il.
Par moments, il croyait reconna^itre la voix de cet homme que la jeune femme avait si cordialement accueilli, puis, par instants aussi, il lui semblait que l’interlocuteur d’Alice avait un timbre de voix totalement inconnu.