Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— Quatre-vingt-dix environ, avait r'epondu l’employ'e.
Et l’Am'ericain dit `a son compagnon avec un fin sourire :
— Aoh, nous serons arriv'es dans moins de soixante minutes.
Ils regagn`erent leur v'ehicule, un mod`ele de course au capot imposant, sous lequel devait se dissimuler un moteur d’une extr^eme puissance.
Juve les suivit. Au moment o`u l’un des Am'ericains mit en route, Juve sollicita celui qui 'etait au volant.
Le policier parlait parfaitement l’anglais.
— Messieurs, leur dit-il dans la langue de Shakespeare, je serais bien d'esireux de rentrer le plus vite possible `a Paris.
— Ah.
Juve, indiscr`etement, insista :
— Je vous en supplie, permettez-moi de monter dans votre v'ehicule ?
L’Am'ericain hocha la t^ete :
— No, pas de place, fit-il.
— Pas aimable, songea le policier.
Il dissimula son m'econtentement et insista, criant `a tue t^ete, car le moteur faisait un 'epouvantable vacarme :
— Voyons, messieurs, je vous en supplie, voici ce qui se passe : je recherche une femme que j’adore, et il faut absolument que je la revoie `a Paris o`u elle m’attend. C’est une histoire d’amour et vous ne laisserez pas un amoureux dans l’infortune.
Mais l’Am'ericain, brutalement, secoua encore la t^ete.
— No, fit-il, pas de place m^eme pour les flirts.
Cette fois, le visage de Juve se crispa :
— Eh bien, puisque c’est comme ca, d'eclara-t-il, je m’en vais vous emp^echer de partir, moi ! D’abord, votre voiture n’a pas de num'ero, `a l’arri`ere, qui soit en r`egle, et je vous prie de me montrer votre permis de conduire ?
Le policier parlait absolument au hasard, mais l’Am'ericain semblait troubl'e. Il s’expliqua :
— Nous 'etions arriv'es depuis hier seulement, pas encore eu le temps de r'egulariser.
Mais avec m'efiance, l’Am'ericain poursuivit :
— Quel droit vous avez pour demander ces renseignements ?
Juve se nomma :
— Inspecteur de la S^uret'e, ajouta-t-il.
Soudain, le visage de l’Am'ericain s’'eclaira :
— Aoh, fit-il, nous autres, aimer beaucoup police. En Am'erique, tous les d'etectives sont des gentlemen, ^etes-vous aussi un gentleman ?
« Allons, pensa Juve, il y a du mieux.
— Je suis un gentleman, fit-il.
Puis, se penchant `a l’oreille de son interlocuteur, il ajouta :
— Ce n’est pas un amoureux que je suis, ni une femme que je vais chercher `a Paris, mais c’est un bandit apr`es lequel je cours. Il faut que vous m’aidiez. Emmenez-moi.
— All right, dit l’Am'ericain, je connais tr`es bien votre nom, monsieur Juve, je vous emm`ene.
Il ajouta finement :
— Moi, je n’aime pas servir les histoires d’amoureux parce que cela finit toujours mal. Mais les choses de police, c’est tr`es amusant et pas dangereux du tout en France.
— Merci pour nous, pensa Juve.
Mais il ne releva pas la pointe malicieuse. L’Am'ericain lui avait d'esign'e le marchepied du v'ehicule qui ne comportait que deux places, et `a peine Juve 'etait-il install'e que le v'ehicule d'emarrait `a toute allure.
D`es lors, ce fut une course effroyablement p'erilleuse. L’Am'ericain 'etait assur'ement un virtuose du volant, mais il conduisait avec une folle audace.
Il prenait les virages `a la corde, lancait son v'ehicule `a cent trente `a l’heure sur les lignes droites, ralentissait `a peine dans la travers'ee des villages. Vingt fois, il manqua de chavirer, mais peu importait `a Juve, il constatait, les yeux fix'es sur sa montre, que la distance qui le rapprochait de Paris diminuait de seconde en seconde. Sauf accident, il atteindrait la gare Saint-Lazare un quart d’heure au moins avant le train de Vernon.
— Marchez, marchez, disait-il `a l’Am'ericain.
Et celui-ci, quelque peu mortifi'e de voir que son h^ote ne s’'epouvantait pas de la vitesse effectu'ee, forcait encore l’allure de son v'ehicule. Il mettait de l’avance `a l’allumage et plus il allait vite, plus il 'etait content :
— Allez, allez ! criait le policier. N’ayez pas peur des contraventions, je vous les ferai enlever.
— All right, grogna l’Am'ericain entre ses dents.
Et l’on trouait l’air. Quelques kilom`etres apr`es Mantes, une brusque d'etonation retentit, puis la voiture fit d’effroyables zigzags sur la route.
Les automobilistes 'etaient devenus tr`es p^ales, Juve lui-m^eme s’'etait mordu la l`evre jusqu’au sang, il avait senti la mort le fr^oler. Cent m`etres plus loin, cependant, l’automobile s’arr^etait.
— C’est un pneu, fit flegmatiquement l’Am'ericain qui conduisait.
Mais ces pilotes 'etaient des gens de sport, ils avaient promis qu’ils seraient `a Paris avant six heures, ils allaient faire l’impossible pour cela. En une demi-minute, ils avaient enlev'e le pneumatique crev'e. Il leur fallut trois minutes pour en remonter un autre, et d`es lors, on repartit.
— C’est comme en course, d'eclara l’Am'ericain, tr`es satisfait du coup d’oeil admiratif que lui avait lanc'e Juve, et nous avons battu le record du changement de pneus.
On d'egringola la c^ote de Suresnes en trombe, l’auto franchit la grille de l’octroi sans s’arr^eter. Il 'etait six heures moins le quart lorsque l’automobile p'en'etrait dans le bois de Boulogne.
— Marchez, marchez, disait Juve. Six heures moins dix, six heures moins cinq.
`A six heures tapant, la voiture des Am'ericains s’arr^etait dans la Cour de Rome, gare Saint-Lazare.