L'agent secret (Секретный агент)
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Juve, non sans difficult'e, s’'etait contenu, mais d'ecid'ement le colonel Hofferman allait trop loin. `A son tour, le policier 'eclata :
— Monsieur le sous-secr'etaire d’'Etat, d'eclara-t-il de sa voix chaude et vibrante, je ne puis accepter de pareilles observations. J’ai l`a, dans mon dossier, les preuves mat'erielles que l’assassinat du capitaine Brocq est entour'e des 'ev'enements les plus myst'erieux et aussi les plus graves. En bonne logique, qui veut conna^itre la fin doit ^etre au courant des moyens, et pour comprendre quelque chose il faut avoir commenc'e par le commencement. C’est ce commencement que j’apporte, il vaut la peine d’^etre 'etudi'e, monsieur le sous-secr'etaire d’'Etat, je vous en fais juge…
Pris entre deux feux, M. Maranj'evol faisait une figure d'esol'ee… Mais il n’y avait pas moyen de reculer !
M. le sous-secr'etaire d’'Etat, d'ecrochant un r'ecepteur de son t'el'ephone priv'e, avisa le directeur de son cabinet que, par suite d’incidents impr'evus, il ne recevrait pas de la matin'ee.
M. Maranj'evol d'esigna d’un geste las deux si`eges `a ses interlocuteurs et invita Juve `a s’expliquer.
— Mon Dieu, monsieur, commenca l’inspecteur qui avait retrouv'e tout son sang-froid, je ne vous retiendrai pas bien longtemps. Vous savez dans quelles circonstances j’ai 'et'e amen'e `a d'ecouvrir que le capitaine Brocq avait 'et'e myst'erieusement assassin'e ! Il m’importait au plus haut point de pr'eciser quels 'etaient les tenants et aboutissants de cet officier. J’avais `a me renseigner sur sa vie priv'ee, `a conna^itre ses relations, ses fr'equentations habituelles, afin de pouvoir, 'etant document'e sur sa personnalit'e, examiner qui, dans son entourage, aurait eu l’int'er^et `a le faire dispara^itre. Je me suis rendu au domicile de Brocq, rue de Lille, pour y recueillir diverses d'epositions dont j’ai le texte dans mon dossier. Je vous en 'epargne le d'etail. Il en ressort que le capitaine Brocq recevait r'eguli`erement la visite d’une femme qu’il n’a pas encore 'et'e possible d’identifier mais que nous conna^itrons prochainement. Faisons, voulez-vous, messieurs, cinq minutes de psychologie. Dans les suppositions que je vais formuler, l’avis du colonel Hofferman me sera fort pr'ecieux. Si j’en crois mes enqu^etes, le capitaine Brocq 'etait un homme simple, modeste et travailleur, un esprit s'erieux, mod'er'e. D'efinissons l’homme d’un mot : un bourgeois. Cet officier c'elibataire avait-il un temp'erament de coureur ? Vous me permettrez d’en douter ; si le capitaine Brocq avait une liaison et une liaison irr'eguli`ere, c’'etait assur'ement pour le
Hofferman, avec franchise, r'epondit :
— C’est mon avis. Je vous rends justice, monsieur Juve. Tel 'etait bien le caract`ere du capitaine Brocq. Mais je ne vois pas o`u vous voulez en venir ?
— `A ceci, reprit le policier : parmi les relations du capitaine Brocq, se trouve la famille d’un ancien diplomate d’origine autrichienne, M. de Naarboveck. M. de Naarboveck a une fille d’une vingtaine d’ann'ees, M lleWilhelmine, laquelle, au lendemain du d'ec`es a fait preuve d’un d'esespoir profond et d’une 'emotion intense ; je n’irai pas jusqu’`a pr'etendre que M llede Naarboveck 'etait la ma^itresse du capitaine Brocq… mais je vous le laisserais volontiers supposer.
— Comment savez-vous, interrogea le sous-secr'etaire d’'Etat, que M llede Naarboveck a manifest'e du chagrin `a la mort du capitaine Brocq ?
— Par un journaliste qui a 'et'e recu dans l’intimit'e des Naarboveck le lendemain du drame.
— Oh ! un journaliste ! protesta le colonel…
Juve sourit finement :
— C’est un journaliste, mon colonel, pas tout `a fait comme les autres, puisqu’il s’agit de Fandor.
Et il ajouta :
— Sa venue chez le diplomate autrichien 'etait d’ailleurs non pas la cons'equence d’une initiative priv'ee, mais bien l’ex'ecution d’une mission dont il avait 'et'e charg'e en haut lieu. D’accord avec M. Dupont (de l’Aube), directeur de La Capitale, M. le ministre de la Guerre avait d'esir'e…
Le sous-secr'etaire d’'Etat coupa la parole `a l’inspecteur.
— Nous sommes au courant de cela, monsieur Juve… Toutefois, je puis vous dire que la personne sur laquelle le ministre voulait ^etre renseign'e n’'etait pas M llede Naarboveck, mais bien sa dame de compagnie… une jeune femme appel'ee Berthe…
— … et surnomm'ee Bobinette… acheva Juve ; je sais, monsieur le sous-secr'etaire d’'Etat.
— Que pensez-vous d’elle ? interrogea M. Maranj'evol.
— Plus j’y r'efl'echis et plus je suis tent'e de croire que Wilhelmine de Naarboveck 'etait la ma^itresse de Brocq… oh ! en tout bien tout honneur… J’entends par l`a que ces jeunes gens, lorsqu’ils se trouvaient ensemble, devaient s’entretenir uniquement de sujets d’amour… mais derri`ere eux, subrepticement, une tierce personne p'en'etrait leur intimit'e, 'etait d'epositaire de leur secret et pouvait de ce chef prendre pas mal de libert'es avec eux. Cette personne, c’est M lleBerthe, dite Bobinette… Messieurs, ou je me trompe fort, ou Bobinette n’est autre qu’une fille de la plus basse extraction, capable de tout et qui aurait 'et'e m^el'ee `a la bande de criminels la plus redoutable qui soit au monde, `a la bande que j’ai maintes fois poursuivie, d'ecim'ee, d'esagr'eg'ee, mais qui rena^it sans cesse, se reforme, `a la mani`ere de l’hydre malfaisante, `a la bande, messieurs… de Fant^omas.
Juve se tut, s’'epongea le front.
La voix s`eche du colonel Hofferman rompit le silence :
— Hypoth`eses, monsieur ! Hypoth`eses vraisemblables en ce sens qu’il se peut fort bien que Brocq ait eu une ma^itresse, – nous en sommes tous l`a, – mais en r'ealit'e, c’est du roman.
Un coup discret venait d’^etre frapp'e `a la porte du cabinet du sous-secr'etaire d’'Etat.
— Qu’y a-t-il ? demanda M. Maranj'evol.
— Le capitaine Loreuil fait dire `a mon colonel qu’il est de retour `a l’instant et qu’il a une communication urgente…
— Le capitaine attendra ! s’'ecria Hofferman.
Mais l’huissier, ex'ecutant la consigne qu’il avait recue :
— Le capitaine a pr'evu cette r'eponse, mon colonel, et il m’a dit d’ajouter que la communication ne pouvait pas attendre…
Le domestique se retirait. Du regard, Hofferman avait consult'e le sous-secr'etaire d’'Etat.
— Allez-y, lui dit ce dernier, et revenez aussit^ot…
Puis, s’adressant `a Juve, M. Maranj'evol commencait :
— Le Gouvernement est fort ennuy'e de tous ces incidents qui prennent des proportions 'enormes. Nous en causions encore hier au Conseil des ministres… Savez-vous que les bruits de guerre s’accr'editent de plus en plus ?… l’opinion publique est boulevers'ee… c’est d'esolant !… `A la Bourse, la Rente continue `a baisser…
— Je n’y peux rien, monsieur le sous-secr'etaire d’'Etat.
Midi sonnait.
10 – LA TANTE PALMYRE
Ce m^eme jour, bien avant la r'eunion mouvement'ee qui se tenait dans le cabinet de M. Maranj'evol, sous-secr'etaire d’'Etat au minist`ere de la Guerre, le patron de l’ H^otel des Trois-Lunes, `a Ch^alons, 'etait fort occup'e `a mettre son vin en bouteilles.
Soudain il fut troubl'e dans ses occupations par une voix inconnue de lui qui appelait avec insistance :
— H'e ! il n’y a donc personne ici ? L’p`ere Louis, o`u est-il ?
En maugr'eant, l’h^otelier remonta jusqu’au vestibule.
— Le p`ere Louis ? fit-il, c’est moi-m^eme, quoi qu’on m’veut ?
Le gargotier 'etait en pr'esence d’une grosse femme `a la silhouette 'eminemment grotesque, v^etue d’un complet clair dont la jupe, sur le devant, 'etait soulev'ee par le ballonnement d’un gros ventre. Une voilette `a ramages dissimulait les traits de la femme, qui devait ^etre assez ^ag'ee, mais voulait sans doute para^itre jeune encore. La peau de sa figure 'etait en effet recouverte d’une 'epaisse couche de maquillage…