L'agent secret (Секретный агент)
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B'en'eficiant de ce que la concierge de Fandor le connaissait fort bien, savait sa qualit'e d’inspecteur de la S^uret'e, Juve, apr`es avoir, en quelques mots rapides, expliqu'e `a la brave femme stup'efaite la cause du vacarme qui venait de bouleverser la maison, remontait chez Fandor.
Le policier 'etait ahuri…
— Du diable, pensait-il, qu’est-ce que cela veut dire que tout ca ? Il y a deux heures, Fandor me t'el'ephone de venir le voir d’urgence ; il m’a t'el'ephon'e qu’il ne pouvait pas sortir, qu’il m’attendait… et, non seulement il n’est pas chez lui, mais encore je tombe sur un Vagualame postiche qui s’enfuit, qui dispara^it avec une habilet'e extraordinaire. Qu’est-ce que c’est que ce bonhomme-l`a ?… O`u est Fandor ?
Il avisait sur le sol le paquet qui l’avait intrigu'e quelques minutes avant.
— L’ennemi, pensa-t-il, s’est retir'e, mais en abandonnant ses bagages… Ah ! j’aurais d^u m’en douter, c’est l’accord'eon, l’accord'eon de Vagualame…
Et machinalement, tournant et retournant l’instrument de musique, le policier, introduisant ses mains dans les poign'ees de cuir, voulut d'etendre le soufflet. `A sa grande surprise, l’appareil r'esista.
— Tiens ! qu’est-ce que cela veut dire ? est-ce que par hasard il y aurait dans cet accord'eon…
Juve n’h'esita pas. Il tira de sa poche un couteau-poignard qui ne le quittait jamais, et, d’un coup sec, fendit le cuir de l’appareil.
… Quelque chose de noir tomba sur le sol…
Juve se baissa, ramassa cette sorte de chiffon, le d'eploya.
Et soudain Juve, devenu terriblement p^ale s’abattit sur un fauteuil, an'eanti…
Ce qu’il tenait `a la main, c’'etait une cagoule… une longue cagoule noire…
Ah ! certes, Juve le reconnaissait, ce v^etement sinistre, Juve ne pouvait pas se tromper `a son sujet !…
Et, affal'e dans son fauteuil, les yeux fixes, hagards, Juve croyait apercevoir, se dressant devant lui, une silhouette `a la fois myst'erieuse et pr'ecise… la silhouette d’un homme tout gain'e dans une sorte de maillot collant, dont le visage, inconnu, disparaissait sous une cagoule, sous la cagoule que Juve venait de retrouver dans cet accord'eon 'eventr'e…
— Fant^omas ! Fant^omas ! murmurait Juve, mon Dieu, c’'etait Fant^omas que j’avais en face de moi !… Vagualame, c’est Fant^omas ! Ah ! mal'ediction ! Pourquoi l’ai-je laiss'e s’enfuir ?
***
Le policier demeura toute la nuit chez Fandor. Il attendit le retour du journaliste. Fandor ne parut point.
12 – AVATAR DE FANDOR
Le vacarme assourdissant des
Les « fauves », c’'etaient les permissionnaires qui, ce dimanche soir, 21 novembre, s’embarquaient `a la gare de l’Est pour regagner leurs garnisons respectives.
Les troupiers, surexcit'es par les bons d^iners qu’ils venaient de faire en famille ou avec des amis, avaient manifest'e au d'epart leur regret de regagner la caserne.
Mais peu `a peu, les enthousiasmes s’'etaient calm'es ; on se tassait tant bien que mal `a quinze ou seize dans les compartiments de troisi`eme, les premiers occupants assis sur les banquettes, les autres `a c^ot'e, sur le plancher. Puis au fur et `a mesure que passait le temps, une torpeur g'en'erale envahissait les troupiers.
Un caporal de ligne qui jusqu’alors, malgr'e ses galons, avait 'et'e oblig'e de se tenir debout, poussa un soupir de satisfaction au d'epart de Sainte-Menehould et s’allongea enfin sur la banquette.
Une aube p^ale montait lentement.
— Fichu temps ! fichu pays ! grommela le caporal. Quand je pense que cet animal de Vinson, b'en'eficiant de mon permis de premi`ere classe, est parti cette nuit sous mon nom et roule d'esormais dans un confortable sleeping `a destination de la C^ote d’Azur… avec des billets bleus plein la poche. Ma parole, c’est `a vous d'ego^uter d’^etre honn^ete. Actuellement, il doit avoir d'epass'e Lyon, il approche de Valence… Heureux mortel… De la chaleur, du soleil… Ensuite, que va-t-il faire, une fois arriv'e `a Menton ? gagner l’Italie, 'evidemment, mais apr`es ? Dame, je m’en fiche… G^enes ? il n’y manque pas de paquebots pour les destinations les plus lointaines… Vinson n’aura que l’embarras du choix».
Le caporal, claquant des dents, reprit son soliloque :
— C’est risqu'e en diable ce que je fais. Prendre la place de Vinson et partir pour Verdun, o`u son r'egiment tient garnison, ce nouveau r'egiment auquel il vient d’^etre affect'e… pas banale en effet, ma combinaison… Mon Dieu, cela irait encore si j’avais 'et'e soldat… ce que je vais avoir l’air bien gourde… Bah ! j’en saurai toujours assez. Pendant ces derniers huit jours, je me suis bourr'e la t^ete de th'eorie, j’ai cuisin'e Vinson de toutes les facons pour conna^itre les us et coutumes de la vie des camps… j’aime `a croire qu’avec un peu d’audace j’en remontrerai aux anciens. Mais pourtant… d'ebuter dans une garnison de l’Est, m’introduire comme ca, tout de go, dans la
Le militaire qui grelottait, seul, dans ce compartiment n’'etait autre, on l’aura compris, que J'er^ome Fandor.
Le journaliste s’'etait substitu'e au caporal Vinson, avait pris sa personnalit'e et sa tenue, afin de pouvoir 'etudier de pr`es les espions qui gravitaient autour du malheureux militaire. Coup double : car il sauvait la mise au caporal, gagnant sa confiance et lui permettant de fuir `a l’'etranger, o`u il attendrait les 'ev'enement. Fandor estimait qu’il ne risquait pas grand-chose. Au 257 ede ligne, o`u Vinson 'etait envoy'e, on ne l’avait pas encore vu. Fandor pouvait donc fort bien s’y pr'esenter `a sa place. Le journaliste qui, la veille seulement, s’'etait arr^et'e `a cet audacieux projet, avait voulu en aviser Juve et avait t'el'ephon'e au policier pour lui demander de venir le voir. Mais l’arriv'ee inopin'ee de Vagualame, que Fandor savait ^etre un agent du Deuxi`eme Bureau, l’avait fait d'eguerpir. Vagualame cherchait Vinson. Si Fandor s’'etait laiss'e prendre sous la tenue du caporal que pr'ecis'ement il rev^etait au moment o`u Vagualame arrivait, c’en 'etait fini de son projet et on arr^eterait Vinson.
Que s’'etait-il pass'e derri`ere lui ? le moyen de le savoir sans mettre la puce `a l’oreille de qui que ce soit ? La consigne qui s’imposait au caporal Vinson : motus bouche cousue. Et Juve ?
Fandor regrettait 'evidemment de ne pouvoir rassurer Juve.
Le reporter imaginait Juve sachant que son ami Fandor devait partir en vacances, allant se renseigner `a la compagnie des Wagons-Lits. On lui dirait certainement que, le dimanche soir, 21 novembre, une place de sleeping avait 'et'e occup'ee par M. Fandor. Juve, de la sorte, croirait son ami en vill'egiature et ne s’inqui'eterait plus de son sort.