L'agent secret (Секретный агент)
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Juve, suivant ces traces, prenait un petit sentier `a droite, longeait des mausol'ees, et s’arr^etait un instant devant une tombe fra^ichement ferm'ee, celle du capitaine Brocq, humble s'epulture, modestement orn'ee.
Quelques violettes 'etaient 'eparses autour, toutes fra^iches, provenant, `a n’en pas douter, du bouquet apport'e par Wilhelmine de Naarboveck, mais les empreintes des pas conduisaient Juve plus loin encore, par de nombreux d'etours, presqu’au fond du cimeti`ere. Juve 'etait en face d’un caveau, richement d'ecor'e de sculptures merveilleuses, o`u, sur une plaque de bronze, se d'etachait en lettres d’or, un nom que maintes fois le policier avait eu l’occasion de prononcer :
Lady Beltham
Lady Beltham ! Des ann'ees durant Juve avait v'ecu, poursuivant derri`ere elle la grande ombre du Ma^itre de l’'Epouvante.
Or, voil`a que l’enqu^ete `a laquelle il se livrait depuis quelque temps, au cours de laquelle il avait d'ecouvert que Vagualame, l’assassin et l’agent secret du Deuxi`eme Bureau, n’'etait autre que Fant^omas, voil`a que cette enqu^ete le conduisait jusqu’`a cette tombe, vide du reste.
Juve qui voyait devant la porte du caveau le gros bouquet de violettes de Wilhelmine, dont quelques fleurs seulement avaient 'et'e distraites en faveur de la s'epulture de l’infortun'e capitaine Brocq, se demandait lequel des deux jeunes gens 'etait venu prier sur la tombe de la grande dame anglaise.
Ah ! s’il avait entendu leur conversation au moment o`u Wilhelmine et Henri de Loubersac 'etaient entr'es au cimeti`ere, le policier n’aurait pas eu `a se poser ce probl`eme. Les propos 'echang'es par les deux jeunes gens lui en auraient donn'e la solution imm'ediate.
N'eanmoins, Juve, par le raisonnement, arrivait au m^eme r'esultat.
Son intuition, sa perspicacit'e le convainquaient que, selon toute probabilit'e, c’'etait Wilhelmine qui 'etait venue apporter le pieux hommage de son souvenir sur la tombe de lady Beltham.
Et Juve, en y r'efl'echissant, se demandait encore s’il ne connaissait pas, d’autrefois, la blonde Wilhelmine aux yeux clairs et profonds, s’il n’avait pas eu l’occasion de rencontrer, enfant, celle qui 'etait aujourd’hui une grande et belle jeune fille ?
Mais qui savait que lady Beltham n’'etait pas morte ? Il y avait, bien entendu, lady Beltham elle-m^eme. 'Evidemment aussi, son amant et son complice : Fant^omas. J'er^ome Fandor enfin, qui 'etait au courant de la substitution, enfin lui, Juve, et personne d’autre.
***
Se courbant vers le sol, reprenant avec une habilet'e consomm'ee sa personnalit'e de Vagualame, le policier refit en sens inverse le parcours qui l’avait conduit devant la myst'erieuse s'epulture.
— En somme, se disait Juve, que cherche-t-on ? L’autorit'e militaire, repr'esent'ee par le Deuxi`eme Bureau, veut retrouver un document vol'e… L’autorit'e civile, repr'esent'ee par la S^uret'e, veut d'ecouvrir un assassin, coupable de deux crimes… le meurtre de Brocq et celui de Nichoune. L’assassin de Brocq, c’est assur'ement Vagualame ; le meurtrier de Nichoune, je ne sais pas encore qui cela peut ^etre, tout au moins sous quelle forme le meurtrier a commis son crime… mais ce dont je suis certain, c’est que l’auteur de ce double forfait ne peut ^etre, n’est autre que Fant^omas.
15 – L’APPRENTISSAGE DE TRA^ITRE
Bien que depuis quatre jours Fandor f^ut devenu le plus ponctuel des caporaux francais, bien qu’il remplac^at de son mieux le malheureux Vinson, ce n’'etait point sans un certain effarement qu’il se r'eveillait chaque matin dans la vaste chambr'ee.
N’ayant pas fait son service militaire puisque l'egalement il n’existait pas, Fandor avait `a peu pr`es tout `a deviner de son r^ole de caporal.
Fandor ne voulait pas s’avouer `a lui-m^eme la t'em'erit'e de sa conduite.
— `A chaque jour suffit sa peine, pensait-il, attendons les 'ev'enements !… Et il s’efforcait de vivre l’heure pr'esente sans prendre souci de l’heure qui suit. Or, ce matin-l`a, J'er^ome Fandor s’'eveilla avec un sentiment d’inqui'etude, plus pr'ecis encore que jamais.
La veille, l’adjudant de semaine l’avait attir'e `a part :
— Vous avez votre permission de la journ'ee, Vinson, avait-il fait… Mes f'elicitations d’ailleurs ! vous n’avez pas rejoint le corps depuis quatre jours et vous trouvez d'ej`a moyen d’obtenir votre soir'ee… mazette !
Fandor avait souri et 'etait all'e se coucher… Mais longtemps le sommeil avait fui ses paupi`eres.
— Ma permission de la journ'ee ? pensait-il. Du diable si j’ai jamais demand'e une permission !… qu’est-ce que cela veut dire ? qui donc a sign'e pour moi ?
Et il songeait que le matin m^eme, `a la lev'ee de dix heures, le vaguemestre lui avait remis une carte postale, dont l’adresse 'etait libell'ee `a la machine, qui avait 'et'e mise `a la poste `a Paris et qui repr'esentait la route de Verdun `a la fronti`ere…
Vainement, Fandor avait cherch'e une phrase quelconque qui lui e^ut permis de deviner qui lui avait envoy'e cette carte et ce qu’elle voulait dire : il n’avait rien trouv'e qui f^ut capable de le renseigner !
Mais maintenant la lumi`ere se faisait dans son esprit.
Alors qu’il recevait le caporal Vinson – le vrai caporal Vinson – dans son appartement, celui-ci ne lui avait-il pas d'eclar'e :
— Ce qu’il y a d’effrayant dans l’espionnage c’est qu’on ne sait jamais `a qui l’on ob'eit, de qui l’on doit suivre les ordres, qui est votre ami, qui est votre chef… un beau jour vous apprenez que vous ^etes en permission… ce jour-l`a vous recevez d’une mani`ere quelconque l’indication d’un lieu quelconque aussi… vous y allez, vous y rencontrez des gens que vous ne connaissez pas, qui vous posent des questions parfois insignifiantes, parfois graves… `A vous de deviner si vous ^etes en face de vos chefs, si au contraire vous n’^etes point tomb'e dans un pi`ege, tendu par la police.
***
Il 'etait exactement sept heures du matin lorsque Fandor tendit sa permission au sergent qui se tenait `a la porte de la caserne :
— Encore un qui va s’amuser toute la journ'ee et toute la nuit, grommela l’autre… passez, caporal…
Fandor eut un sourire joyeux… dans le fond de lui-m^eme il 'etait infiniment moins gai.
Fandor pensa qu’il n’'etait point mauvais de ruser. Au lieu de se rendre directement sur la route de Verdun, il fl^ana quelque temps dans la ville, revint sur ses pas, s’assura que nul n’avait suivi sa piste.