L'agent secret (Секретный агент)
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Et ce ne fut que lorsqu’il en eut la persuasion, qu’il se d'ecida enfin `a gagner la route.
Il faisait beau ; l’air frais, sans ^etre froid, avait un bon go^ut de puret'e. Fandor avanca `a grands pas.
— Ouvrons l’oeil ! ouvrons l’oeil et le bon ! il s’agit de ne pas manquer mes individus, il s’agit qu’ils ne me manquent pas, eux non plus…
Et Fandor se rappelait les avertissements que lui avait donn'es Vinson : – Deux indicateurs qui doivent se rencontrer et qui ne se sont jamais vus se reconnaissent, avait affirm'e le caporal, `a ceci : c’est que l’un et l’autre pr'evenus qu’ils vont `a un rendez-vous causent `a tous les gens qui leur semblent susceptibles d’^etre celui qu’ils cherchent… Ce sont autant d’alibis qu’ils se pr'eparent, autant de preuves manifestes d’une parfaite tranquillit'e d’^ame… et puis, enfin, c’est la certitude que la rencontre aura bien lieu…
Mais, en v'erit'e, Fandor ne voyait personne `a qui parler.
La grande route 'etait d'eserte et les champs eux-m^emes s’'etendaient `a perte de vue, d'esol'es. Aucun paysan ne travaillait.
Fandor marcha plus d’une heure, droit devant lui, ent^et'e dans sa d'ecision de pousser jusqu’au bout l’aventure, lorsqu’au d'etour d’un vallon, en haut d’une c^ote, il apercut une automobile arr^et'ee.
— Ce ne sont pas mes gens, pensa le caporal, qui de loin, reconnaissait de riches touristes, mais, enfin je suis content de rencontrer des ^etres humains… Et puis je vais fl^aner pr`es de leur voiture, s’ils sont en panne, cela me fera prendre patience…
Tra^inant un peu les pieds, car il 'etait fort g^en'e par les godillots r'eglementaires, le jeune journaliste s’avanca vers l’automobile… Deux personnes l’occupaient : un monsieur, tr`es chic, tout engonc'e dans une pelisse de fourrure et un abb'e assez jeune, emmitoufl'e dans plusieurs couvertures.
Au moment o`u Fandor approchait, il entendit l’abb'e qui disait d’une voix aigrelette au chauffeur :
— Alors, mon cher ami, qu’est-ce qui se passe ? qu’a-t-elle encore votre voiture ?
Sombrement, sur un ton de d'esespoir comique, l’'el'egant voyageur r'epondait au pr^etre :
— Mon cher abb'e, ce n’est plus le pneu avant droit, c’est le pneu arri`ere gauche qui vient de crever !…
— Dois-je descendre ?
— Nullement ! ne bougez pas !
Fandor n’'etait plus qu’`a quelques m`etres de l’automobile, le chauffeur ajoutait, se tournant `a demi vers ce passant :
— Malheureusement, mon cric fonctionne mal et je me demande si je vais pouvoir tout seul r'eussir `a le glisser sous l’essieu…
— 'Evidemment, pensa Fandor, d’apr`es les principes que m’a donn'es Vinson, je n’ai pas `a h'esiter…
Il proposa :
— Si je peux vous donner un coup de main ?
Le chauffeur se retourna souriant :
— Vous ^etes bien aimable, caporal… je ne refuserai pas votre aide…
D’un coffre de la voiture, il trouva un cric de fonte qui ne semblait point, `a premi`ere vue, `a l’oeil exerc'e de Fandor, devoir fonctionner si mal que cela… Fandor, d’un coup de main, en homme exp'eriment'e, l’aida `a soulever la roue dont le pneumatique, en effet, venait de rendre l’^ame…
— Voil`a, monsieur, dit-il…
Le journaliste ajouta :
— Dommage tout de m^eme que l’automobile ca ait besoin de pneumatiques… c’est toujours avec les crevaisons des retards `a n’en plus finir…
L’abb'e demeur'e dans la voiture eut un petit haussement d’'epaules et r'epondit au jeune soldat.
Le chauffeur cependant 'etalait sur le sol une chambre `a air dont il d'evissait le chapeau de valve afin de pouvoir l’introduire `a la place de la chambre 'eclat'ee qu’il venait, tr`es expertement de d'egager.
— Sommes-nous loin de Verdun ? interrogea-t-il…
— Cinq ou six kilom`etres, r'epondit Fandor…
— Seulement ?…
— Seulement, monsieur…
— Ah ! bon !… bon !… et dites-moi le long de la route que nous suivons, il n’y a pas un chemin de fer ?…
— Non, monsieur, on projette bien une voie strat'egique, mais les travaux ne sont pas encore commenc'es…
Le chauffeur sourit et approuva :
— C’est toujours si long les projets avec l’administration francaise !…
— Ca, oui !…
Un petit silence pesa.
Fandor songeait, tr`es int'eress'e, que, tout de m^eme, il 'etait bien possible que ce touriste f^ut…
— Ouf ! fit le chauffeur en se relevant soudain. Il ne va plus y avoir qu’`a rentrer cette enveloppe avec toute cette s'erie de leviers, et si vous voulez bien encore me pr^eter votre aide ?…
— Mais certainement…
— Oh, pas tout de suite… laissez-moi me reposer… j’ai les reins bris'es d’^etre rest'e accroupi…
L’inconnu parcourut quelques pas sur la route et montrant encore `a Fandor l’horizon :
— On a un joli point de vue ici… vous connaissez la r'egion, caporal ?
— Comme ca… pas trop mal…
— Alors vous allez pouvoir me donner quelques renseignements… Qu’est-ce que c’est l`a-bas cette grande chemin'ee ?…
— C’est la chemin'ee de la fonderie de cloches…
— Ah oui, c’est vrai, j’ai entendu parler de cette usine… oh ! mais ca a l’air tout pr`es…
Fandor secouait la t^ete :
— Ca a l’air, remarquait-il… par la route il y a bien encore onze kilom`etres…
— Tant que ca !… `A vol d’oiseau c’est `a c^ot'e…
— Oui, ca semble…
Le chauffeur insistait :
— Mais combien, croyez-vous donc, caporal, qu’il peut y avoir d’ici l`a-bas en droite ligne ? On doit vous apprendre au r'egiment `a 'evaluer les distances ?
Cette fois Fandor ne doutait plus. L’homme qui lui parlait 'etait assur'ement l’espion qu’il cherchait `a rencontrer. Qu’aurait signifi'e sans cela cette s'erie de questions ?